Mo C. 12/07/2022

La nuit, on explore le quartier entre potes

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Tant qu’il travaille à l’école et qu’il aide sa mère, Mo a le droit de traîner avec ses potes jusque tard dans la nuit.

J’habite dans le quartier Jaurès à Paris. La nuit, vers 22 heures, mes potes sonnent chez moi. Ils s’appellent Abou, Hakim et Mamadou et ils me disent de descendre pour qu’on se voie.

Quand je demande à ma mère si je peux sortir, elle me dit toujours oui. Elle sait que je travaille à l’école. Et puis, elle trouve ça normal. Elle me fait confiance. Je peux rester dehors jusqu’à maximum 3 heures du matin. Il n’y a qu’elle qui m’impose ça car elle m’élève toute seule.

Elle aussi, elle sort. Elle va chez ma tante à Pantin, donc elle ne voit pas quand je rentre. Ma sœur est bloquée à la maison, c’est la seule qui n’a pas le droit de sortir le soir.

Au quartier, je me débrouille

J’ai deux frères de 26 et 22 ans, et une sœur de 19 ans. Seul mon frère aîné est parti de la maison. Je suis le plus jeune. Je sors quand je veux. Tant que je rentre en vie, c’est bon. Personne ne me pose de questions. Mes frères traînent dehors, eux aussi, donc ils ne me disent rien. Juste de ne pas traîner à la Grange aux Belles, un quartier voisin. Comme je suis d’une autre cité, ça peut créer des embrouilles. C’est le quartier ennemi. Une histoire de terrain de drogue et de descente avec des couteaux. Il y a eu beaucoup de blessés, du coup, on se fait la guerre. Nous, on n’a pas envie de faire des embrouilles. Jusqu’à présent, aucun gars ne s’est aventuré à la Grange aux Belles.

Avec mes frères, on sort chacun de notre côté. On n’a pas les mêmes délires. Ils font trop les anciens. On va être dehors à délirer et, d’un coup, ils vont me dire : « Toi, travaille ! » Ils font comme s’ils avaient du vécu, alors que rien du tout ! Eux, ils n’ont pas travaillé. Moi, je n’écoute que ma daronne !

Être libre de sortir dans le quartier le soir, ça rend autonome. En mode, si il y a une embrouille demain, je n’ai pas besoin d’appeler mon grand frère, je sais gérer. Ça prépare fort pour la vie. Tu peux pas être là, à 46 ans, à devoir encore appeler ton grand reuf ! Faut savoir se défendre tout seul. Moi, je sais me débrouiller. C’est comme ça que tu grandis mentalement.

La nuit, ça ne nous fait pas peur

Avec mes potes, on traîne aux Buttes Chaumont, mais à 23 heures, le parc ferme. Du coup, on grimpe et on entre, alors que c’est interdit. Ça ne me fait pas peur du tout. Je cours vite et les gardiens ne pourront pas m’attraper. Une fois dans le parc, on marche, on parle de foot. On s’est jamais fait courser par un surveillant donc on ne sait pas ce qu’on risque. On veut absolument aller dans ce parc même si c’est interdit car la nuit, là-bas, on est tranquille.

Dans les Buttes Chaumont, il y a les rails de la Petite Ceinture. Quand on va sur les rails, on ne sait pas à quoi s’attendre parce qu’il y a tout le temps les gitans et les drogués. Il y a des gitans qui sont musclés, et les drogués sont toujours par terre, mais ils ne nous parlent pas. Ils sont toujours tous ensemble. Un jour, il y a eu une baston entre deux drogués. C’était drôle parce qu’ils ne savaient pas se bagarrer. Nous, on n’a pas peur d’eux.

Bouger et aider ma mère

Quand je rentre chez moi, il doit être 2 heures. Ma mère ne me dit rien, je l’avais prévenue. Elle ne s’est jamais inquiétée. Elle me laisse sortir parce qu’elle donnait la même liberté à mes frères quand ils avaient mon âge. Une fois rentré, je me fais à graille. Je suis autonome : je peux me faire à manger, je n’attends pas après ma mère.

Elle part de la maison à 7 heures, donc moi aussi je dois travailler. C’est moi qui prépare mon petit déj’, tout ça. À la maison, je l’aide. Je fais le ménage, je fais à manger. C’est normal d’aider sa mère, tout le monde devrait le faire. C’est elle qui m’a appris. Elle veut qu’on bouge. Si elle te voit assis sur le canapé, elle ne va pas kiffer. Faut l’aider ! Elle veut qu’on sache tout faire. Comme ça, quand on vivra tout seul, ce sera carré. Ça va me servir plus tard dans la vie.

Elisa a toujours entendu qu’elle ne devait pas sortir la nuit. On lui a répété qu’elle était pleine de dangers, surtout quand on est une femme.

Deux personnes sont assises sur un banc. On les voit de dos. Ils voient la ville d'en haut.

C’est pareil pour mes devoirs, personne ne m’aide, je les fais seul. Parfois, je peux demander à ma sœur, mais pas à ma mère, elle travaille trop. Elle fait tout pour qu’on ait de quoi se nourrir, des habits de marques pour pas qu’on se moque de nous à l’école. Donc, en retour, il faut l’aider. C’est ça la vie, il faut bouger, aider sa mère ! C’est comme ça qu’on apprend la vraie vie ! Faut savoir se débrouiller tout seul et ne compter sur personne.

Mo, 15 ans, lycéen, Paris

Crédit photo Unsplash // CC Justin Chrn

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