Petit dernier d’une famille recomposée, je cherche ma place
Quand j’ai vu le jour le 27 janvier 2000 à Neuilly-sur-Seine, mon grand (demi) frère est venu me voir à l’hôpital en scooter. Il était déjà âgé de 17 ans alors que j’étais vieux de seulement quelques dizaines de minutes. On me considère souvent comme le petit dernier de la fratrie au sein d’une grande famille. Mais, paradoxalement, quand je discute avec ma mère de mes problèmes d’intégration dans un groupe, elle me rétorque souvent la même réponse bateau : « C’est parce que t’es fils unique. » Un fils unique avec un frère et quatre sœurs tout de même ! C’est dû à la différence d’âge entre mes aînés et moi. Onze ans d’écart entre moi et ma sœur la plus jeune.
Mais là n’est pas la seule complication dans ma situation familiale. Quand on apprend une langue, l’une des premières phrases qu’on apprend à dire c’est combien nous avons de frères et sœurs. Alors très bien, je veux bien répondre, mais ce n’est pas si aisé : je dois inclure ou exclure les sœurs dont je n’ai aucun souvenir à part le prénom (et logiquement le nom de famille que nous avons en commun) ? Mes parents répondaient à ma place « quatre sœurs et un frère », alors que l’enfant que j’étais n’avait rencontré que moins de la moitié. Mon père a un problème dans ses relations avec les autres personnes sur cette planète (un problème qu’il m’a transmis…), mais sur ce coup, on parle bien de mes deux sœurs (on a onze et treize ans d’écart) ! Je n’ai aucune information ni nouvelle d’elles, mon père ne leur adresse plus la parole.
Fort heureusement, il reste mon frère de dix-sept ans de plus que moi, le seul enfant avec qui je partage le sang de mon père : il lui a adressé la parole à nouveau il y a quelques années. Génial pour la construction d’un individu d’apprendre que son frère existe réellement quand on a 13 ans !
« Pourquoi tes sœurs elles sont marrons ? »
Du côté de ma mère, elle est toujours en contact avec mes deux sœurs, ne les a jamais abandonnées ni laissées tomber. Je les considère davantage comme ma famille du fait que j’ai grandi avec ; ça aide dans l’assimilation des liens de sang.
Pas facile de jongler, même hors famille recomposée : partagée entre sa famille française et sa famille sénégalaise, Awa a eu du mal à se trouver.
Mais le problème, si on peut vraiment appeler ça un problème : ma mère, avant de rencontrer mon père, s’est mariée et a eu des enfants avec un Algérien noir. Ce qui a valu à mes sœurs d’énormes confusions quand elles venaient me chercher à la garderie quand ma mère finissait le travail tard. Cela a suscité aussi les questions innocentes d’enfants que ma mère me raconte souvent avec un sourire en coin : « Pourquoi tes sœurs elles sont marrons ? » Paradoxalement, ce sont les sœurs dont je me le sens le plus proche alors que ce sont celles avec lesquelles la différence physique est la plus grande.
Enfant unique, avec des parents divorcés, comptant pour unique repère ma mère… Je me sens pour la plupart du temps seul. Pour autant, quand j’ai besoin d’aide, mon frère est toujours là pour moi, mes sœurs que je côtoie encore également. Avec du recul, pendant ma construction en tant qu’individu, cela a pu me perturber. Mais maintenant, je prends ça comme une force : je peux comprendre le point de vue d’un enfant unique comme d’un enfant à famille nombreuse. J’ai un point de vue élargi.
Lucas, 19 ans, étudiant, Ermont
Crédit photo Unsplash // CC Jehyun Sung