Les podcasts m’ont libérée
Allongée sur mon lit, je me déconnecte de mon environnement et je me reconnecte à moi, à ce que je vis à l’intérieur. Écouter des podcasts, ce sont mes moments privilégiés. Petit à petit, je déconstruis les fragments de ma vie. Il y a cinq ans, je n’avais pas conscience que le peu de choses que je connaissais de mon corps, ma sexualité et mon désir n’étaient pas seulement liés à une question personnelle, mais aussi à la manière dont fonctionne la société. Tous ces podcasts que j’écoute émanent d’un mouvement général : #MeToo.
J’ai réalisé que ma sexualité, et celle des femmes en général, appartenait aux autres, et que la norme l’enfermait dans un regard masculin. En écoutant les témoignages de parfait·es inconnu·es, j’ai pris du recul vis-à-vis de mon intimité. En m’identifiant à ces anonymes, j’ai appris à ne plus me sentir coupable ou prisonnière d’une vision que l’on m’imposait. Ça a été un grand soulagement.
À l’adolescence, mes conversations avec mes proches ne traduisent qu’une partie limitée de ma sexualité. Avec mes parents, nous abordons très peu ces sujets. Non pas qu’ils soient tabous, mais les sujets intimes me gênent. Je ne parle de sexualité avec ma mère qu’au moment où il est question de prendre la pilule ou d’aller chez la gynéco, rien de transcendant.
Adolescente et enfermée dans les normes
Au collège, j’entends parler de rapport sexuel, de pénétration, de l’homme qui donne et la femme qui reçoit, comme un cadeau auquel je ne peux me soustraire. La sexualité d’un homme est davantage explicitée, mise en avant. J’ai une plus large connaissance sur ce corps extérieur masculin, au sens propre comme au figuré, et c’est de lui dont je dois me protéger. Mais de quoi et comment ? Pas de réponse, sinon un préservatif qui préserve et une pilule qui obstrue. C’est aussi lui qui s’adonne à des pratiques qui lui sont propres comme la masturbation. Ça, ce n’est pas pour moi. Je l’associe à des vidéos pornographiques qui me rebutent, tant elles façonnent une image à laquelle je ne peux m’identifier.
Dans mon entourage amical, nous découvrons au même moment notre sexualité. Il est difficile de prendre position en dehors des normes et des clichés : « Ne pas coucher avec trop de garçons » ; « Se masturber ? Je ne sais pas c’est plutôt un truc de mec » ; « Le porno, ça ne m’intéresse pas » ; « Tu lui as fait une fellation ? » ; « T’as eu mal ? C’est normal » ; « Les seins, c’est déterminant » ; « Pourquoi tu l’as fait si t’en avais pas envie ? » Si ce n’est pas ce type de sommations qui domine, c’est le silence qui l’emporte, la pudeur ou même la peur. La peur d’être différente, ou perçue comme telle.
Un besoin d’être comprise
Je ne savais pas comment raconter ce que moi-même je n’arrivais pas à percevoir et, pourtant, je brûlais de désir de m’extraire de ces carcans et de libérer ma parole. Pendant ces années, je vivais des expériences traumatisantes amoureusement et sexuellement. Je ne me sentais ni comprise, ni entendue.
C’était en 2012, une nuit, une fête en comité restreint, une personne que je connaissais depuis des années et qui se prétendait être un ami. Six ans plus tard, une prise de conscience. Ce que j’avais vécu ce soir-là ne s’apparentait pas à un acte sexuel consenti comme mon entourage m’obligeait à le penser. « Tu étais bourrée et quand t’as bu, tu sais que tu peux être proche des gens, t’es tactile. Et puis, à t’entendre tu ne peux pas nous faire croire que tu ne prenais pas du plaisir. » Je suis restée là-dessus pendant des années. Mes ami·es, présent·es ou non ce soir-là, ne sont jamais revenu·es sur ce qui fut qualifié à l’époque d’« erreur de jeunesse ».
Elles et ils avaient décidé de l’image que je devais avoir de moi-même. Je me remettais en question, je me sentais coupable, mais une part de moi laissait entendre le son d’une victime. Aux yeux de tous et toutes, j’étais consentante. Au fond de moi, j’étais incapable de retracer les évènements de cette soirée. Je gardais en mémoire un épisode traumatisant. Je n’avais aucun souvenir, alors comment avais-je pu être à l’initiative de cette relation sexuelle ? Cette question m’est restée en tête pendant six longues années.
Les podcasts deviennent une addiction
À cette époque, je n’avais pas conscience de ce que signifiait le consentement. Un soir, en 2018, j’écoute des histoires intrigantes avec mon petit cousin, comme nous avons coutume de le faire. Il me fait découvrir la chaîne de podcasts Transfert et je tombe rapidement dans une écoute prolongée, presque addictive, tellement les témoignages, ancrés dans le réel et l’intime me fascinent. Je commence à creuser. Les Pieds sur Terre sur France Culture, Transfert sur Slate, Profils sur Arte, Les Couilles sur la table sur Binge. Ils donnent le micro à des inconnu·es qui souhaitent témoigner d’une expérience personnelle en lien avec des sujets de société.
Ces histoires, parfois invraisemblables, parfois ordinaires, prennent vie dans mes oreilles. Elles m’ouvrent petit à petit les yeux sur l’infinie possibilité de l’univers audio, mais aussi sur la vision que j’ai de moi-même. Je me souviens de la récurrence d’histoires de femmes sous l’emprise d’un homme. Que ça soit lors d’une soirée trop arrosée, un entretien d’embauche, dans une secte… toutes ont un dénominateur commun : elles ont été privées de consentement.
Plus j’écoute ces podcasts, plus j’enrage face à ce que j’ai vécu : un acte subi, qu’on me force à voir comme un rapport sexuel banal. Je me suis enfin sentie libérée d’un poids quand j’ai appris que je pouvais, comme ces femmes, appeler cela un viol, un abus sexuel commis par un agresseur sexuel.
La force de m’exprimer
Je peux enfin assumer mon statut de victime dans cette histoire qui m’a valu des insultes, des rejets et qui a terni mon image. Les témoignages m’ont donné la force de m’affirmer en tant que femme dans ma sexualité. Je me suis sentie délivrée d’un environnement malsain, qui donne la parole à tout le monde sauf aux principales concernées.
Avec #MeToo, June a compris les violences qu’iel a subies. Suite à quoi iel a organisé plusieurs actions pour briser les tabous.
J’ai commencé à me positionner en tant que femme face à des discours irrecevables ou des actes inacceptables. Grâce aux podcasts, ma pensée s’est faite de plus en plus claire sur ce que subissent les femmes face aux comportements des hommes. J’ai compris que nous avions été privées d’un droit. Celui de prendre nous-même possession de notre corps.
Je continue d’en prendre possession aujourd’hui, en écoutant du porno en podcast. Les yeux fermés, je me laisse bercer par une voix et me connecte avec mon corps. Je me détache des images préconçues qui rebuteraient, je dépasse le visuel et je me concentre sur les autres sensations.
Lisa, 27 ans, salariée, Montreuil
Crédit photo Pexels // CC Darina Belonogova
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