Nina S. 21/07/2022

La police contrôle et les mères s’inquiètent

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Dans le quartier de Nina, la police fait des rondes, contrôle les jeunes, et les mères se préviennent quand leurs fils sont dehors.

En rentrant des cours, j’ai l’habitude de regarder par la fenêtre de mon bus, et encore plus quand j’arrive dans mon quartier. La police fait encore une ronde en plein après-midi, surtout près du spot habituel où les garçons restent entre amis. Un trottoir plutôt large et long, couvert de quelques arbres devant l’un des nombreux grillages du parc. Une ronde qui dure une éternité, comme quand on attend la fin d’un cours. Même arrivée chez moi, je peux les voir faire demi-tour, une fois arrivés à la frontière qui sépare notre ville d’une autre.

Je pense que leur ronde peut durer 15-20 minutes. Je les vois souvent regarder deux, trois fois par la fenêtre et checker les ruelles, surtout quand ils arrivent au niveau du spot. Ils s’arrêtent pour parler aux jeunes. Ce qui entraîne un contrôle, la plupart du temps. Surveiller et contrôler des garçons juste parce qu’ils sont d’origine africaine, ce n’est pas juste. On n’a même plus le droit de parler dans la rue avec ses amis sans que nos familles s’inquiètent. Personne n’est jamais rassuré quand on voit la police. Voir les personnes de mon quartier, des personnes avec qui j’ai grandi se faire contrôler, ça me donne des frissons. Mon frère fait partie de ce groupe d’amis.

Je revois ses yeux

Il y a quelques mois, quand la police était encore garée à côté du spot, j’ai vu qu’ils contrôlaient un garçon plus jeune que moi, deux ou trois ans de moins. La police l’avait positionné dos au grillage et mains sur la tête. Il avait l’air totalement paniqué, ses yeux étaient en détresse. Il a croisé mon regard, il m’a transmis son émotion. J’ai ressenti de la peur, de la détresse, et du stress. Je me suis dit : « Imagine si t’étais à sa place, ou si c’était quelqu’un que tu connais. » Je me suis sentie coupable de l’avoir laissé là et d’être partie, comme s’il ne s’était rien passé.

Mais qu’est-ce que je pouvais faire, en y réfléchissant ? Il avait l’air d’être là depuis assez longtemps, vu que le deuxième policier semblait préoccupé par autre chose, sûrement sa radio ou un appel, je ne sais plus vraiment. Mais ses yeux ont marqué mon esprit. Depuis, je peux encore les revoir.

L’inquiétude des mères du quartier

À chaque fois qu’une mère voit un enfant dans le quartier, elle prévient la mère de celui-ci pour qu’il ne reste pas trop longtemps dehors. Quand mon frère ne répond pas au téléphone, ma mère s’inquiète, de peur qu’il se soit passé quelque chose.

Elle s’inquiète parce que des situations similaires sont déjà arrivées à d’autres. Et qu’au lieu de répondre, c’était la police qui appelait pour les prévenir que leur enfant se trouvait au poste. Donc ma mère préfère que mon frère réponde le plus vite possible, et elle lui a donné un couvre-feu. Quand on a un enfant, on le protège coûte que coûte. Toutes les mères de mon quartier essaient de laisser le moins possible leurs enfants dehors. Encore moins quand la soirée s’apprête à commencer. De ce que je sais et vois, leur technique a fonctionné.

J’ai peur pour lui

Quand mon frère ne répond pas (parce que son téléphone est déchargé ou qu’il n’a pas vu l’heure) et qu’il rentre quelques heures après son couvre-feu, ma mère lui fait une leçon de morale pendant dix minutes… Certes, ça devient de moins en moins fréquent, mais ça arrive.

Yassine en a marre d’entendre les gyrophares en même temps que la sonnerie de la récré. Les flics ne veulent pas les lâcher, même au lycée. Un épisode de notre série « Notre police de (trop grande) proximité ».

Capture d'écran de la miniature de l'article "La police rôde tout le temps autour de notre lycée".

Moi aussi, j’appelle souvent mon frère pour lui dire de rentrer le soir. Mais ça reste un sujet tabou de discuter avec lui de la police, de son groupe qui restait dehors avant. C’est vrai que je ne l’ai jamais dit, mais à l’époque ça m’inquiétait énormément, et ça continuera toujours à m’inquiéter au fond, parce que j’ai peur pour mon frère.

En ce moment, les contrôles de police ont diminué… ou je passe trop de temps à l’école. Mais les jeunes ont retrouvé un peu plus de liberté.

Nina, 15 ans, lycéenne, Colombes

Crédit photo Hans Lucas // © Xavier De Torres – Contrôle sur la voix publique par la police municipale de Colombes, en France, le 1er décembre 2015. Maraude avec les agents de police municipale, nouvellement armée.

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