Louane P. 22/03/2024

Porno : de la honte au plaisir

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Surprendre ses parents en train de faire l’amour, à 11 ans, a excité la curiosité de Louane pour le sexe. Le début d’une consommation frénétique de films porno, que la jeune femme de 17 ans analyse aujourd’hui avec distance.

Je me souviens de cette nuit où je suis allée chercher un verre d’eau. Je tombe malencontreusement sur mes parents en plein ébats sexuels. Le choc. J’ai 11 ans. Je ne comprends pas tout de suite. Mes parents ne m’ont pas vue. Étonnamment, la scène attise ma curiosité pour la chose. J’ai besoin de voir ce que c’est et de comprendre pourquoi je ressens cette envie d’en savoir plus.

Je me lance donc dans des recherches sur internet. Je tape « sexe » sur YouTube depuis ma tablette. Je mate des vieux films français où l’histoire n’est pas seulement basée sur le cul. Il y a tout un scénario. Je suis surprise mais pas dans le mauvais sens. Je ressens une émotion inédite. Je ne savais pas à l’époque que cette émotion, c’est ce qu’on appelle le plaisir. J’avais ce besoin de revoir et d’aller de plus en plus loin dans mes recherches.

C’est très vite devenu une obsession. Je ne pouvais plus m’en empêcher : tous les soirs, je regardais encore et encore du porno. Si un jour je ne le faisais pas, je me sentais mal. Ce sentiment de plaisir inexpliqué, je ne pouvais clairement plus m’en passer.

Je n’osais pas en parler. Je me cachais pour regarder du porno, comme ce fameux soir au ski où mes parents se sont cachés pour faire l’amour. Pour autant, je ne pensais pas que c’était grave pour une personne de mon âge. Je l’ai compris quand mes parents ont découvert mon obsession.

Un regard plein de dégoût

Ce soir-là, ma mère débarque dans ma chambre. Elle fouille dans ma tablette. À l’époque, j’ai à peine 11-12 ans, je ne sais même pas supprimer mon historique déjà, et puis je ne suis pas sûre que ce que je fais soit si grave que ça. Le regard de ma mère est noir, plein de dégoût à mon égard. Elle me regarde comme si j’étais un monstre. Elle me hurle que je ne suis pas normale. Je ressens de la honte.

Après cette dispute, je me persuade que je suis un monstre. C’est une sensation que je n’oublierai jamais. Je n’ose plus aller sur aucun site porno. Et puis, désormais, ma mère me surveille constamment. Dès que j’utilise mon téléphone et ma tablette, elle vérifie l’historique juste après.

Au collège, personne ne parle de sexe. C’est un sujet tabou. Je suis seule face à moi-même. Je m’interdis de retourner sur des vidéos porno, malgré le manque grandissant qui se fait ressentir.

Pas le corps des films porno

C’est seulement au début du lycée que tout change, quand j’en parle pour la première fois. C’est à ma grande sœur que je raconte toute l’histoire et les émotions qui me traversent : la honte, le désir, la peur. Elle me regarde et me dit : « C’est normal et ce n’est pas de ta faute. » Elle me dit que je ne suis pas seule, que les autres peuvent regarder du porno et en ressentir du plaisir. C’est grâce à elle et à la façon dont elle me rassure que je finis par réussir à retourner sur des sites porno, sans en avoir honte.

Ces vidéos ont évidemment influencé ma vision du sexe. L’acte ne me semble pas du tout naturel. Tout est scénarisé. De même, ma vision du corps féminin et du corps masculin est biaisée : les corps sont parfaits et faits pour plaire et créer du désir. Les femmes ont une poitrine soutenue, aucun poil, aucune vergeture, ni bourrelet ni imperfection. Mais ça n’est pas la réalité. Dans la vraie vie, les femmes ont les seins qui tombent, des poils sous les bras, sur les jambes et le vagin. C’est à cause de ces représentations que les filles stressent à l’idée d’avoir un rapport sexuel, car elles n’ont pas le corps des films porno.

Au moins trois cours d’éducation à la sexualité par an. C’est ce qui est inscrit dans la loi depuis 2001, mais entre les murs des établissements scolaires, la réalité est tout autre. Cinq jeunes témoignent pour la ZEP.

Capture d'écran de la série : "L'éducation sexuelle, la grande absente de l'école". Elle est illustré par un dessin, représentant une salle de classe, de couleur rose, avec cinq élèves s'interrogeant chacun à leur manière sur l'éducation sexuelle.

Aujourd’hui, je me rends sur des sites porno par plaisir, quand j’en ai envie, sans ressentir de manque et surtout sans en être obsédée. Pour les rapports sexuels, c’est autre chose : j’ai peur d’en avoir et de ne pas savoir faire ou de ne pas avoir le corps attendu. Je travaille sur ça avec ma sœur. Elle m’aide à comprendre que tous ces films ne représentent pas la réalité. Si je réussis à comprendre tout ça petit à petit, c’est grâce à une chose : j’ai osé en parler. Je ne suis plus seule.

Louane, 17 ans, volontaire en service civique, Hauts-de-France

Crédits photo Unsplash // CC Yash Parashar

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