Emma S. 03/02/2023

Mes proches nient mes troubles psys

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Dans la famille d'Emma, on ne parle pas, ou peu, de sa santé mentale : c'est honteux et c'est tabou.

« I’m invisible, understand, simply because people refuse to see me. » Les mots de Ralph Ellison résonnent dans ma tête et, comme le narrateur de son livre, j’ai parfois été invisible. Invisible pour les « normaux », ceux qui vivent sans accroc. Ceux qui ne comprennent pas la dépression, les troubles du comportement alimentaire (TCA) et le trouble borderline. Qui peuvent se lever, aller en cours et ne pas craindre la crise d’angoisse à tout moment. Qui peuvent déjeuner au fast-food avec des amis sans aller se faire vomir après. Ceux qui rentrent des courses en ayant oublié les pêches, la seule chose que je peux manger car tout le reste me dégoûte… J’erre comme un fantôme en attendant de rencontrer quelqu’un qui me comprenne.

« On était heureux, non ? »

Le diagnostic a été long. Pendant des mois, je pleurais, tremblais, en actualisant la page Doctolib dans l’espoir d’avoir un rendez-vous plus tôt. Cinq mois après le début de mes problèmes, le couperet est tombé. Épisode dépressif sévère. J’allais être hospitalisée. Je me suis retrouvée à faire ma valise à l’arrache, vider la moitié de ma bibliothèque, emporter tout mon dressing et quelques doudous. Direction la clinique.

Mon père a longtemps été dans le déni de mes troubles. À l’annonce de mon hospitalisation, il n’a pas compris. « Mais on a passé de belles vacances, on était heureux. » « Non Papa, on n’était pas heureux. Tu as choisi d’être heureux et tu m’as abandonné avec mes angoisses. » Ces vacances avaient été un enfer. J’étais très nerveuse, j’avais des crises d’angoisse régulières. Je vous parle de celles qui coupent la respiration, vous font trembler de la tête aux pieds, font exploser votre cœur, et couler vos larmes.

Mon père refusait le diagnostic. Pour lui, je n’étais pas bien à cause de la prépa, mon traitement pour l’endométriose, ou mon régime végétarien. Rien à voir avec ma vie désastreuse, les humiliations, le harcèlement. Pour lui, c’était « juste » un mauvais dosage d’hormones ou des carences en protéines. Même après plusieurs prises de sang, il en était convaincu.

À chaque trouble, son tabou

Quand je suis sortie de l’hôpital, mon petit frère est venu me voir pour la première fois depuis trois mois. Il me racontait son Noël. « Et tu sais, ils te souhaitent tous bon courage pour ton burn-out, Amandine en a fait un aussi. » Mon père l’avait présenté ainsi. On rejette la faute sur les études, et puis ce n’est pas grave, faut juste qu’elle se repose et ça va aller.

Dans ces moments-là, je me rends compte à quel point la maladie mentale est honteuse. Je me rappelle qu’un jour, on était chez ma grand-mère. On farfouillait les vieux dossiers et les albums photos. Je suis tombée sur une photo en noir et blanc de trois jeunes hommes, plutôt souriants. Quand j’ai demandé à mon père qui ils étaient, il m’a répondu qu’un d’eux était son cousin et qu’il avait fini en asile psychiatrique. Il a fui mes questions, et il est resté très évasif.

Je n’avais jamais entendu parler de ce cousin. Pourtant, ma grand-mère me parle de tout notre arbre généalogique depuis petite. J’aimerais pouvoir vous en dire plus, vous le présenter. Mais, la vérité, c’est que je ne sais même pas s’il est encore en vie. Dans ma famille, être malade, c’est avoir « mal tourné ».

« Ils saoulent avec leurs nouveaux diagnostics »

Je m’efforce de faire comprendre mon fonctionnement aux autres. Pour ça, je dois constamment enfiler la blouse de la bonne pédagogue. Moi qui voulais être enseignante, me voilà servie. Sauf que je ne parle pas de littérature anglaise, mais de moi. Je dois me mettre à nu, être vulnérable, et ça me fatigue.

Quand j’ai été diagnostiquée borderline, j’ai dû rassurer ma mère, lui dire que ça allait aller, qu’avec la thérapie ça se soignait. Neutralité, froideur et objectivité. Alors qu’au fond, j’étais morte de trouille.

Pour compenser, j’ai eu besoin d’en parler avec mes amis. Ils comprendraient mieux. Téléphone en main, je lisais les caractéristiques troubles de la personnalité limite. Je leur faisais un petit exposé, citant mot pour mot ma psychiatre. J’avais vraiment mis le paquet. Alors que je m’attendais à de la compassion, j’ai eu le droit à de la suspicion. « Mais tu es sûre que tu l’es vraiment ? » ; « Ça ne te ressemble pas » ; « Fais gaffe, on dirait que tu es parano » ; « Ils saoulent avec leurs nouveaux diagnostics. On dirait que tu n’as pas envie de t’en sortir. » Ça fait mal, très mal. Donc je n’en ai plus parlé, je faisais comme avant. J’endossais le rôle d’une morte.

Ma mère a été plus compréhensive. Même si je fais toutes les démarches pour me soigner toute seule, elle prend rendez-vous avec ma psychiatre pour essayer de comprendre ce qui m’arrive.

À 20 ans, Violette a eu besoin de voir une psy. Elle se sent encore fragile mais la dépression est partie. Ses parents n’ont jamais rien su.

Titre de l'article "de voir une psy, je n'en ai plus honte". En dessous, on voit une femme avec une chemise blanche et un pantalon bleue qui tient un mouchoir face à une femme en jean bleu clair et pull gris, avec un stylo et une feuille dans la main. On ne voit pas leur visage.

Je vais vous faire une confidence : j’en ai ras-le-bol. Ras-le-bol de devoir me justifier quand je ne veux pas sortir de mon lit le matin ou que je me mets à trembler devant un professeur. Ras-le-bol que les autres doutent de mes diagnostics, qu’ils s’improvisent psychiatres : « Tu devrais prendre sur toi et te bouger. » Marre de devoir sourire sur les photos de famille, alors que ma vie part en lambeaux. J’ai l’impression que tout le monde croque la vie à pleine dents, pendant que j’ai du mal à la grignoter.

C’est décidé, je ne veux plus être Bertha Mason, la femme folle qu’on enferme au grenier parce qu’elle dérange. Je ne sais pas si mon père comprendra un jour ce que je vis, mais j’avance. Je veux être libre.

Emma, 20 ans, Hauts-de-Seine

Crédit photo Pexels // CC Sofia Alejandra

 

 

 

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