Assane I. 09/03/2022

Ma punition : six mois à l’école coranique

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À cause de ses fréquentations, Assane a été envoyé au Sénégal. Sa punition : étudier dans une école coranique.

Le 8 août 2018, la douane tamponne mon passeport à l’aéroport. C’est là que je réalise que c’est bien réel : mon père m’a renvoyé au Sénégal. Avant, je pensais que ce n’était que des menaces en l’air, mais non. À ce moment, je n’étais pas allé au Sénégal depuis 2012. La majorité de ma famille était là-bas, mais je ne me rappelais plus de rien. 

Quand on était en Italie avec ma famille, mon père m’avait déjà interdit de voir mes amis car je faisais des conneries avec eux. Il me disait qu’ils n’étaient pas de bonnes fréquentations. Il pensait que c’était à cause d’eux que j’étais devenu si désobéissant, que je ne faisais plus ce qu’il me disait. Je faisais seulement ce que je voulais, j’étais toujours dehors, j’avais de mauvaises notes et parfois même, je séchais l’école.

Il m’a juste dit qu’il m’emmenait au Sénégal

Après quelques mois en Italie, mon père ne pouvait plus supporter mon comportement et nous avons eu une forte dispute. La goutte qui a fait déborder le vase, c’est quand j’ai sauté par la fenêtre, une nuit, pour aller à une fête. Quand je suis rentré à la maison, mon père m’attendait sur mon lit et m’a juste dit qu’il m’emmenait au Sénégal. Il n’avait pas l’air en colère, juste très déçu de mon comportement, et cela m’a fait beaucoup plus mal. 

Le premier jour au Sénégal, j’ai retrouvé ma grand-mère, mes tantes, mes oncles. Après deux semaines, mon père m’a dit qu’il voulait m’amener à l’internat pour étudier le Coran : c’était ça ma punition. Il m’avait déjà dit que je devais l’étudier, mais je n’imaginais pas qu’il m’emmènerait à l’internat. J’ai senti le monde s’effondrer sur moi, c’était comme si j’avais été poignardé au cœur, j’étais terrifiée. D’après ce que je savais d’un ami qui s’était retrouvé dans la même situation, l’internat au Sénégal, c’était un cauchemar.

Heureusement, ma grand-mère et mes tantes ont parlé avec mon père et lui ont dit non, mais en insistant sur le fait que c’était bien que je connaisse ma famille et que j’apprenne les traditions. Alors je suis allé dans une école coranique, mais sans internat. Lui, il est parti au bout d’un mois. Moi, je suis resté. Et j’ai dû apprendre le Coran. En Italie, je ne l’étudiais que le dimanche alors j’étais en retard par rapport à mes camarades restés au Sénégal. 

Dix coups de fouet si tu ne récites pas tes versets 

Mes journées étaient toujours les mêmes. Je me levais à 6 h 30, je prenais une douche et j’allais directement à l’école, à une dizaine de minutes de marche. Elle avait deux étages. Le rez-de-chaussée pour les enfants, et au-dessus pour les adultes. Elle était dirigée par une dame d’une cinquantaine d’années et il y avait trois professeurs. On devait porter un uniforme composé d’un pantalon et d’un t-shirt vert, mais je ne le mettais jamais. 

Nous commencions à 7 heures, tous les matins. Tous les élèves étaient à l’heure : ils savaient qu’ils seraient battus en cas de retard. Le matin, nous devions réciter les versets de la veille et faire ça jusqu’à 10 heures. Là, nous avions une pause de trente minutes pour prendre le petit-déjeuner. Après, les professeurs nous en donnaient d’autres que nous devions étudier l’après-midi. 

La matinée était très calme et le professeur était bon. Si vous ne connaissiez pas vos versets par cœur, il vous laissait un peu de temps pour étudier. Mais l’après-midi, c’était exactement le contraire. L’autre professeur arrivait avec son énorme fouet, et tous ceux qui n’avaient pas bien travaillé le matin faisaient la queue pour être battus. Car là-bas, on a encore le droit de frapper les élèves. Heureusement, je n’ai jamais fait partie de ceux-là mais je l’ai vu battre des camarades qui discutaient à la place d’étudier : ils ont pris dix coups de fouet. 

Cette école, ça ne me plaisait pas. Nous n’avions qu’un seul jour de repos, le jeudi. On devait s’asseoir sur le sol, accroupis, toute la journée. Si on ne s’asseyait pas comme les profs voulaient, ils nous frappaient avec un bâton ou une corde. C’était l’enfer. 

Un retour inespéré 

Là-bas, le professeur le plus gentil me disait toujours que, comme j’étais l’aîné de ma famille, je devais être un exemple pour mes frères, m’engager et devenir une personne responsable pour pouvoir les guider. Le dernier jour, il m’a dit qu’il était très fier de moi, qu’il avait vu que ma foi religieuse avait augmenté et que je pouvais revenir quand je voulais. Moi, je ne voulais pas revenir à l’école coranique, mais je savais qu’il avait raison.

Le jour où mon père m’a téléphoné et m’a dit que je pouvais rentrer les retrouver en Italie, je n’avais jamais été aussi heureux ! On avait déménagé et je devais être présent pour faire mes papiers et avoir la résidence en Italie. C’est ça qui m’a sauvé ! 

Je n’aimais pas cette école mais je pense que cette discipline de fer et les conseils de mon professeur ont été les seuls moyens pour me faire comprendre que je devais commencer à penser à mon avenir, et à ce que je voulais faire de ma vie. Aujourd’hui, je pense que sans cette expérience, j’aurais fini comme beaucoup de mes anciens amis : à ne rien faire de mes journées, à faire la fête tout le temps. 

Après l’école coranique, la remise en question

Quand je suis rentré en Italie, je ne voulais pas refaire les mêmes erreurs. Je me suis excusé auprès de mon père. Il a dit qu’il jugerait d’après mon comportement si j’avais changé. J’étais déterminé à me construire un avenir et à aider ma mère. Je n’ai pas repris contact avec mes anciens amis, je ne sortais plus qu’avec mes cousins. L’école coranique m’a fait comprendre que mon comportement ne devait pas changer selon l’endroit où j’étais, ou selon les personnes avec lesquelles je sortais.

Pour le punir, le père d’Assane a pris la décision de l’envoyer onze mois au Sénégal dans sa famille. Une expérience qui l’a assagi.

Au loin, un homme attend sur son téléphone avec sa valise dans un aéroport quasiment vide. Il y a un coucher de soleil derrière lui.

Cette punition au Sénégal à l’école coranique m’a permis de me remettre en question. J’ai compris que ce que je faisais en Italie, c’était très immature, c’est pour ça que j’ai été renvoyé. En fait, je ne savais pas ce que je voulais. Maintenant, je sais ce que je veux. J’ai trouvé un emploi qui me plaît et j’ai un projet pour terminer mes études et obtenir mon diplôme.  

M’envoyer là-bas a été une bonne décision. J’ai pu apprendre à mieux connaître ma famille. J’ai pu voir ma mère aussi, car mes parents sont séparés. J’aimerais y retourner pour les vacances, mais pas pour une punition.

À mon retour en Italie, j’ai continué à prier cinq fois par jour, alors qu’avant, je préférais aller faire la fête. J’ai gardé la foi, mais je trouve que leur façon d’enseigner le Coran est stricte, trop stricte. 

Assane, 19 ans, en formation, Paris

Crédit photo Pexels // CC Rahmi Aksöz

 

15 % des enfants sénégalais·es sont inscrit·e·s dans une école coranique. *

LES ABUS

Au Sénégal, certaines écoles coraniques maltraitent leurs élèves (violences physiques, sexuelles et psychologiques, privation de soins, mendicité forcée). Beaucoup d’écoles sont insalubres, ce qui met directement en danger la santé des enfants.

LA LOI 

Depuis les années 2000, les gouvernements sénégalais promettent de mieux encadrer ces écoles, mais se heurtent à l’opposition de certain·e·s religieux·ses et d’une partie de la population. L’intervention de l’État permettrait de lutter (en partie) contre les violences, et aussi de financer les rénovations et le matériel des daaras.

* En comparaison, 20 % des enfants français·es sont scolarisé·e·s dans des écoles catholiques.

 

 

 

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