Jean-Paul C. 25/01/2023

Mon quartier, c’est pas du cinéma

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Le quotidien de Jean-Paul dans son quartier lui rappelle certains films sur la banlieue. Mais sa réalité est plus contrastée que ce qu’il voit à la télé.

Parfois, quand je pense à ma vie, je me dis qu’elle ressemble vachement à certains films sur la banlieue, genre La Haine. Quand le mec se fait contrôler, que le flic sort son flingue et qu’Hubert débarque pour pousser le condé et qu’ils se cassent, bah c’est réaliste. Ce genre de scène, ça arrive souvent dans mon quartier.

J’ai l’impression que quand on a créé Paris, on a décidé de mettre toute la saleté au nord et toute la beauté au sud. Moi, j’habite au nord, dans le 18e arrondissement. Attention, pas du côté du Sacré-Cœur. Non. Je ne savais même pas que ce monument était à quelques kilomètres de chez moi. Mon quartier, c’est celui de la Porte de la Chapelle. C’est autre chose, c’est un quartier chaud.

Je vois tous les jours la police en train de courser des gens que je connais. Il y a beaucoup d’embrouilles. De guerres de quartier en mode baston. Du trafic de stupéfiants. Des flics corrompus. Tu les reconnais car ils connaissent tous les Grands du quartier. Pendant les contrôles, ils sont moins agressifs avec eux. Mon quartier est passé plusieurs fois à la télé pour dire que c’était l’un des plus chauds de Paris.

Je dis quartier car ça n’a rien à voir avec une cité, là où je vis. Un quartier, c’est plus ouvert, il y a plus de commerces. Des pharmacies, des parcs, des boulangeries, des épiceries, des résidences. Les bâtiments sont plus petits, douze étages max. Dans les cités, ça part en vingt étages. Tous les bâtiments sont collés et t’as beaucoup moins de commerces.

On joue à la Révolution

À Porte de la Chapelle, il n’y a pas de chef. Celui qui fait le chef, il va sombrer direct. Ce n’est pas Athéna non plus, un film sur la banlieue où on voit un mec diriger un gros groupe de jeunes contre la police dans une cité. Et n’allez pas croire que, comme dans ce film, ça va balancer des cocktails molotov contre les commissariats.

Les seuls moments où ça chauffe entre la police et nous, c’est le 14 juillet. C’est la rencontre annuelle. Le seul moment où on est à égalité avec eux. Là, c’est mortier contre Flash-Ball. L’été dernier, l’équipe des mortiers (la nôtre) a gagné. Du coup, les flics étaient vénères et ils nous ont cassé les couilles le reste du temps. C’est le seul jour où c’est comme ça. Le reste de l’année, c’est eux qui nous coursent. Je ne sais pas trop pourquoi c’est à cette date qu’on fait ça. Peut-être parce que c’est la fête nationale ? Qu’on rejoue à la Révolution ?

Porte de la Chapelle, c’est aussi une des portes de Paris les plus sales. Les rues sont délabrées. Il y a souvent du boucan. Puis, t’as tous les crackeurs qui squattent. On est obligés de les virer parfois car ils font peur. Ils nous demandent de l’argent et sont prêts à vendre leur corps pour qu’on leur donne un truc. Je souhaite à personne de vivre près du coin où ils sont. À cause d’eux, cette partie du quartier a hérité de différents surnoms : capitale du crack, capitale de la mort, capitale de la drogue. Moi, j’évite d’y traîner, alors je reste près de chez moi, à côté du métro Marx Dormoy.

Les scènes coupées de mon quartier

Dans Les Misérables, quand il y a une émeute, là aussi c’est réaliste. C’est un truc progressif. Ça monte doucement et après ça pète. Pareil dans La Cité rose, quand on voit comment les guetteurs bossent, qu’ils se font courser par les tcheuy (policiers), et qu’ils sont obligés de taper à la porte des voisins pour se cacher, c’est réaliste. Des courses-poursuites comme ça, j’en ai déjà vécu. On va se planquer chez des potes et les gens ouvrent direct.

Au quartier, Dixo et ses potes ont l’habitude de se faire contrôler par la BAC. De chaque côté, on se provoque, puis on s’affronte.

Capture d'écran de l'article "Police : dans mon quartier, la bac c'est des voyous", publié le 26/10/2019 sur le site de la ZEP. Image du film Les Misérables de Ladj Ly : photographie des trois policiers de la bac, de face, debout dans la cité, le visage sévère, avec des gilets pare-balle.

Le cinéma a ses limites. On ne voit pas les parents qui sont payés 1 000 euros alors que la facture d’électricité est à 400 euros et que la nourriture coûte 150 euros pour la famille. On voit pas les parents qui partent à la CAF tous les matins pour avoir plus d’aides et que la CAF ne répond pas. Ni leur angoisse quand les enfants sont en garde à vue. On ne voit pas les menaces d’expulsion. Pas une image. À croire que c’est coupé au montage, le train de vie des jeunes de cité et des parents qui se battent contre la misère. Les gens qui bossent. Les enfants qui partent à l’école. Ou ceux qui traînent dehors, mais juste pour traîner.

Moi, toutes ces scènes, elles font partie du film de ma vie. J’ai déjà dormi dans des hôtels délabrés, dans des tentes… Je pourrais même pas tout raconter si je le voulais car j’étais très jeune et que je ne me souviens plus de tout. Aujourd’hui, je ne sais pas combien gagne ma mère mais je sais qu’elle galère à payer le loyer et la nourriture. Attention, je ne dis pas qu’il faut forcément venir d’un quartier chaud pour faire un film, mais les réalisateurs pourraient davantage enquêter et surtout venir sur place et voir comment vivent les gens. Hey, ne vous inquiétez pas, on n’est pas des sauvages, on ne va pas vous manger.

Jean-Paul, 27 ans, Paris

Crédit photo : capture d’écran La Haine de Mathieu Kassovitz (1995) // © StudioCanal

 

 

 

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