Inès G. 30/06/2023

Dans mon quartier, on veut tous déménager

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Squats, dégradations, trafics… Dans le quartier d’Inès, la vie est rythmée par la délinquance. Quand les habitants interviennent, ils subissent des représailles.

Ça fait huit ans que j’habite dans ce bâtiment. Des « délinquants » le squattent, si je peux les appeler comme ça. D’année en année, ils le dégradent, en cassant nos boîtes aux lettres, nos ascenseurs. Ils remplissent nos murs et nos portes de graffitis. Ils mettent de la bombe noire sur les lumières. Jour et nuit, le bâtiment est sombre. Il font ça pour avoir le temps de courir quand la police débarque. Leurs familles ne vivent pas là, c’est pour ça qu’ils dégradent. Nous, on est obligés de sortir avec des flashs.

Matin, midi, soir, il y a de la musique à fond dans le bâtiment. Il y a des familles africaines avec beaucoup d’enfants et de personnes âgées. Les parents se lèvent tôt pour aller travailler, les jeunes vont à l’école. Ils n’arrivent pas à dormir à cause du bruit.

Peur des représailles

On en a marre, mais nous ne pouvons rien faire. Ma famille n’a jamais reçu de représailles, mais j’ai un voisin qui s’est déjà fait agresser par eux.

Il y a un an, un ami de la famille que tout le monde aimait dans le quartier a été tué suite à un règlement de comptes entre mon quartier et le quartier ennemi. Il est mort sous nos yeux, suite à un coup de feu. J’ai tout vu, son corps au sol, du sang… Cette nuit-là, le quartier n’a pas dormi, toutes les familles étaient en pleurs.

Depuis ce drame, je ne suis plus la même, je suis même allée voir une psychologue, j’étais traumatisée. Quand je dors, je revois les scènes en boucle. Je reste choquée et sur mes gardes. J’ai peur pour mes frères, ma famille, mes amis. D’ailleurs, les gens du quartier aussi, ils ne laissent plus trop leurs enfants sortir.

La drogue est partout

La drogue est planquée dans mon bâtiment, plus précisément dans les appartements en face de chez moi. Les Grands essaient de recruter des jeunes de 12 ans, dont mon frère, pour vendre leurs drogues. Il était intéressé, car on sait ce que ça fait quand on te propose d’énormes liasses de billets. Ma mère ne lui a pas laissé le choix, elle l’a empêché de sortir et est allée menacer les Grands de porter plainte.

Depuis que je suis arrivée, ça a toujours été comme ça. Aujourd’hui, c’est encore pire. La plupart des jeunes qui vendaient de la drogue sont en prison… alors il y a beaucoup de nouveaux.

Dehors, les acheteurs de drogue me regardent avec des comportements pervers. Ils me suivent…  Je me fais insulter de tous les noms, je me suis même fait agresser. Je ne peux plus être moi-même, sortir comme je veux, par exemple en mettant des crop-tops ou des robes.

Dans le quartier de Youssef, on se bat contre les cités voisines depuis plusieurs générations. Pour la réputation, et pour l’honneur.

Un jeune homme debout de dos devant les barres d'immeuble de son quartier

Récemment, j’ai été agressée par des dealeurs. Ils savaient que mes parents, mes frères et sœurs étaient en vacances. Ils en ont profité pour faire énormément de bruit et salir mon étage. Je me suis plainte auprès d’eux pour leur dire d’arrêter, et ils m’ont violentée… Mon sentiment, à ce moment-là, c’était une sorte d’impuissance.

Silence des pouvoirs publics

Face à ce vandalisme, la police intervient tout le temps, mais rien n’y fait. Il y a eu des agressions et des bavures policières.

Avec une association de la cité, les locataires et moi, on s’est rendus devant la mairie. On a fait une sorte de manifestation avec des pancartes. L’asso a aussi envoyé un courrier au syndic ou bailleur, et au commissariat. Beaucoup de plaintes, de démarches ont été faites, mais le maire ne fout rien, il ne réagit pas.

Il y a beaucoup de locataires qui veulent partir, fuir ce quartier. Le travail de ma mère est en train de lui trouver un logement. Elle fait des recherches depuis septembre 2022, mais nous n’avons toujours pas eu de proposition. C’est compliqué de déménager.

Inès, 17 ans, lycéenne, Seine-Saint-Denis

Crédit photo Hans Lucas // © Dragan Lekic – L’entrée d’un immeuble tagué, au Blanc-Mesnil, le 2 novembre 2021.

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