Quartiers Nord : ce n’est pas notre premier deuil
Je me souviens avoir pleuré quand on a recouvert Rayanne, le gamin de 14 ans tué par balles. Il était 22 heures quand j’ai entendu plusieurs bruits assourdissants. J’ai tout de suite compris que c’était des tirs, mais ça ne m’a pas perturbée plus que ça. J’ai levé les yeux quelque secondes vers la fenêtre, puis j’ai continué ma lecture. Ça ne me choque plus d’entendre des tirs dans les quartiers Nord. Cependant, quelque chose clochait.
Vers l’entrée de la cité, je voyais les lumières des voitures de police et celles de pompiers se refléter sur les murs. Mais aucune voiture ne montait. C’est en regardant depuis le balcon que j’ai compris que les tirs avaient eu lieu chez moi, dans mon garage. Beaucoup de résidents sont descendus pour voir si ce n’était pas un de leur proche.
S’il est mort chez moi alors je pourrais mourir aussi
C’est dur de décrire les sentiments que j’ai ressenti ce jour-là. J’étais évidemment triste, mais je pleurais tout simplement parce que j’étais effrayée par toute cette violence. S’il est mort chez moi, alors je pourrais mourir à tout moment dans les mêmes conditions. Les cris et les pleurs de ses proches m’ont horrifiée.
C’était déjà arrivé peu avant le premier confinement, en février 2020 [affaire Mehdi Bourogaa, ndlr]. Au début de la soirée, j’étais dans ma chambre. Je regardais une série quand, soudain, j’ai entendu des bruits de tirs. J’ai compris qu’on avait affaire à une fusillade. Je suis restée immobile, mais ma mère a paniqué et m’a dit de reculer de la fenêtre…
Pour mieux comprendre cette affaire et ses causes, Libération a retracé l’événement et l’incompréhension des gens dans les quartiers Nord. Portée devant l’IGPN, l’affaire a depuis été classée sans suite pour légitime défense.
Jeune tué par la police à Marseille : «Il y a de l’incompréhension et de la colère dans le quartier» https://t.co/5oPbAu1Ysk pic.twitter.com/sUsG94qWut
— Libération (@libe) February 18, 2020
Il y a dix ans, je suis passée du 3e au 14e arrondissement de Marseille, en plein quartiers Nord, à la cité des Marronniers. Ce déménagement a changé ma vie.
Je pensais que le trafic n’allait pas se répercuter sur nos vies. Erreur !
Avant, je vivais dans un studio avec mes deux parents, ma grande sœur et mes deux petits frères. Quand j’ai appris qu’on allait déménager, j’étais heureuse d’enfin quitter ce studio. J’imaginais mon nouveau chez moi comme un endroit sans souci. En grandissant, j’ai appris qu’en face de chez moi se trouvait une cité avec un réseau de drogue. Je me disais que ce n’était pas très grave. Le trafic en face de ma nouvelle résidence n’allait pas se répercuter directement sur nos vies… Quelle erreur !
Tous les jours, en bas de chez moi, je vois des guetteurs à l’air terrifiant qui surveillent le passage de la police. Ils crient quand les policiers arrivent. Leurs cris, je ne m’y habituerai jamais. Ils me font vraiment peur. Avec toutes ces arrestations, toutes ces descentes de police (environ tous les deux mois), on pourrait croire qu’on s’habitue… mais pas du tout.
Surtout qu’avec les années, ma résidence des Marronniers est aussi devenue un point d’accueil pour les dealers.
Tout le quartier était en deuil
En 2020, je n’ai rien pu voir de l’accident. J’ai seulement vu la police arriver et bloquer la cité. Tout s’est passé si vite ! Les tirs resteront toujours dans ma tête. Et au moment où la police a bloqué la cité, j’ai compris que le jeune homme était mort… Pas à cause des dealers cette fois, mais à cause du policier.
Après les affrontements, la police a accueilli la famille. La mère du jeune homme criait et a fini par s’évanouir. Ses proches demandaient pourquoi il était mort. J’avais l’impression que tout le quartier était en deuil avec eux.
Vivre en face d’une cité, c’est un sentiment assez complexe. Malgré la violence, j’aime le partage, la solidarité entre voisins et cette chaleur humaine. Mais, cet été, avec ce nouvel évènement triste, j’ai supplié mes parents que l’on déménage. Ils m’ont simplement dit que c’était à moi de fuir cette violence en me battant pour avoir une meilleure vie.
Dès le départ des policiers les dealers reprennent leur place
Le lendemain, un guetteur est revenu à sa place, comme si de rien n’était. Les patrouilles de police sont devenues plus fréquentes. Les cris pour prévenir leur arrivée aussi. Malgré tout, dès le départ des policiers, les dealeurs reprennent leur place tranquillement et bloquent l’entrée de la cité selon leurs envies.
J’ai une haine profonde envers eux. Ils ont tout détruit et ont enlevé aux jeunes leurs seules chances de survie. Je ne pense pas que l’arrivée de Macron à Marseille changera quelque chose.
Les rues, les immeubles, les arrêts de bus… Tout est sale là où vit Mouctar, dans les quartiers Nord de Marseille : « Si l’État ou les autorités prenaient plus de mesures en faveur des quartiers Nord de Marseille et les nettoyaient plus souvent, je suis sûr que ça serait différent. »
Je souhaiterais que l’État vienne voir comment les habitants vivent. Je veux qu’ils voient le taux de chômage dans la cité, les infrastructures catastrophiques, la moitié des jeunes qui arrêtent l’école et ne font absolument rien. Qu’ils voient que, quand les jeunes voient les dealeurs se faire de « l’argent facile », ils suivent forcément leurs pas ; se disant qu’ils n’ont plus rien, que c’est leur destinée.
En tant qu’habitante de quartier populaire, ce que je veux de la part du président de la République, en visite ces jours-ci à Marseille, ce sont des solutions.
Lucie, 15 ans, lycéenne, Marseille
Crédit photo Hans Lucas // © Fares El Fersan (Marche blanche aux Marronniers, dans les quartiers Nord de Marseille, février 2020)