Paul R. 22/03/2023

Réforme des retraites : 22 heures en garde à vue pour une manif

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Notre journaliste Paul Ricaud a passé le week-end en cellule, dans un commissariat parisien. Son tort : être descendu dans la rue crier sa colère.

Une dizaine de mètres carrés, deux semblants de matelas pour trois, du sang sur les murs et un néon blanc, le tout dans une odeur de transpiration et de renfermé. Je suis blanc, je n’ai pas vécu dans des quartiers populaires et je ne me suis jamais battu. Je savais que si un jour je me retrouvais en garde à vue, ce serait après une manif.

Il y a quelques jours, le gouvernement a annoncé le passage en force de la réforme des retraites à coup de 49.3. Depuis jeudi soir et même avant, plusieurs jeunes font le même constat. Notre énergie dépensée en manif et nos heures de grève retenues sur les salaires ne suffisent pas. Alors on se donne rendez-vous sur les coups de 18 heures, après le travail ou la journée de cours. Les rassemblements sont spontanés et réunissent des centaines de milliers de personnes dans toutes les grandes villes. À Paris, je me rends vite compte que la majorité des manifestant·es ont moins de 25 ans.

Vendredi 17 mars au soir, sur la place de la Concorde, la foule reste compacte face au palais Bourbon. Ça chante et ça rit fort. Tout le monde sait qu’il n’est pas question de dialogue social mais de lutte des classes. Les slogans sont outrageants mais l’ambiance festive. « Louis XVI, on l’a décapité. Macron, on va recommencer. » Une effigie de Macron est brûlée sous les applaudissements. Derrière ces airs de carnaval, tout le monde sait que la place sera bientôt noyée dans les lacrymogènes. La veille, 292 personnes ont été interpellées à Paris lors d’une manifestation quasi-identique. Dans les ministères et les préfectures, on ne voit pas ces rassemblements spontanés d’un bon œil. L’après-midi même, le ministre de l’Intérieur a annoncé qu’il serait « intransigeant ».

La pire brigade qu’on puisse croiser

Quand je quitte la place de la Concorde, la police est partout et quelques centaines de personnes résistent encore aux charges de plus en plus violentes. Avec mes amis, on se retrouve à errer dans les beaux quartiers de la capitale. On croise un petit groupe de manifestant·es sauvages. Elles et ils sont moins de 100, pas les plus déterminé·es. Personne ne porte de masque pour se protéger des caméras et des gaz, personne ne sait quelle direction emprunter, mais l’ensemble est d’accord pour continuer la manif dans le cœur touristique et bourgeois de la ville. Le boulevard des Capucines est à peine bloqué par notre passage. Quelques poubelles, laissées là par les éboueurs en grève sont éparpillées sur la route, même pas brûlées.

Au niveau de l’Olympia, la BRAV-M débarque. Les manifestant·es parisien·nes connaissent leur silhouette, la pire qu’on puisse croiser. Les casques blancs et noirs descendent de leurs motos et fondent sur nous. Après la première charge, la manif est déjà dispersée. On continue de marcher sur le trottoir et on se dit qu’on sera bientôt rentrés. De toute façon, il ne reste plus grand monde. La deuxième charge vient de derrière nous et on doit se remettre à courir. Une crampe s’élance dans ma cuisse et ralentit ma course. Je sens les bras d’un robocop m’agripper en hurlant de me laisser faire. Je me retrouve par terre en une seconde et je place mes mains devant moi pour arrêter le coup de matraque qu’il s’apprête à m’envoyer en pleine gueule.

J’obéis à chacun de ses beuglements. Je me couche sur le ventre et je donne mes mains derrière mon dos. Les Serflex se ferment sur mes poignets et je n’ai aucune idée de ce qui va m’arriver. Le temps commence à ralentir à ce moment-là. Je suis fouillé debout face à un mur. Dans ma poche gauche, il tombe sur ma carte de presse. « C’est la presse en plus, ça va être marrant », s’esclaffe le flic interpellateur.

Dans le fourgon, on a tous et toutes entre 20 et 25 ans. On s’arrête à Concorde pour ramasser trois autres jeunes hommes et on les dépose dans le 3e. Pour certain·es, c’est leur première manif. Et pas la dernière, elles et ils le précisent d’emblée.

Une garde à vue dans l’incertitude

Quand on arrive au comico du 20e, le chauve chargé de nous accueillir essaie de nous dissuader de prendre un·e avocat·e et de voir un·e médecin. C’est sa manière à lui de nous annoncer qu’on est placé·es en garde à vue et de nous déclarer nos droits. À l’écouter, en bénéficier serait inutile et ça ne ferait qu’allonger la durée de notre séjour. Je me souviens du nom d’une avocate. Elle fait partie de la legal team qui s’organise contre la répression des militant·es. Ça fait rire les flics. Ils disent qu’on nomme toujours les mêmes et qu’elles ne seront pas dispo.

Dans la cellule, mes camarades de galère et moi essayons de dormir, allongés sur les maigres couchettes dégueulasses posées sur le béton. Les deux manifestants enfermés avec moi sont en jogging. Ils n’en sont pas à leur premières emmerdes avec la police et ils m’expliquent que leur apparence joue un rôle dans leur interpellation. L’un me raconte que souvent, on le prend pour un arabe.

À 9 heures, mon avocate m’attend dans une petite pièce. On a le droit de s’entretenir pendant une demi-heure et je compte bien utiliser tout ce temps. Elle m’apprend les motifs de ma garde à vue. Pour la police, je serais coupable de « participation à un groupement en vue de commettre des violences », « rébellion » et « dégradations ».

Le premier motif ne me surprend pas vraiment. Je sais qu’il a été introduit dans le droit par des lois anti-casseurs et que ses contours sont vagues. Je suis plus surpris par les deux autres accusations. Je ne sais pas où ils sont allés chercher tout ça, ni quelles sont les preuves contre moi. Même si je n’ai rien à me reprocher, je ne peux m’empêcher d’avoir peur. Je crains de me retrouver devant une justice « intraitable » qui me condamne pour l’exemple. Je ne peux m’empêcher de penser à toutes celles et ceux que j’ai vu·es comparaître devant les tribunaux quand je suivais les procès comme journaliste.

Quand je suis auditionné quelques heures plus tard, je me suis fait des dizaines de films dans ma tête et je suis épuisé. Mais j’ai confiance en mon avocate et je sais que les flics n’ont rien contre moi. Dans ses questions, l’OPJ (officier de police judiciaire) veut que je lui avoue que je suis un méchant casseur. Mon pantalon et mon blouson noirs m’incriminent, tout comme la présence d’un masque anti-Covid dans mes poches. Je ne réponds à rien et je ne reconnais pas les faits.

L’OPJ veut la jouer good cop. Il m’assure que lui non plus, il n’est pas pour la réforme, mais que quand même ce qu’on fait, c’est de la prise d’otage. Je ris intérieurement de la formule, sortie tout droit de la bouche de celui qui me maintient dans une cage qui pue depuis plus de douze heures.

Quand je signe le PV d’audition et que je retourne sur mon banc en béton, je sais que les prochaines heures seront décisives. C’est le procureur qui va décider de la suite. Il a jusque 21h40, heure de notre interpellation la veille, pour décider de nous enfermer 24 heures de plus.

« Vous ne retournez pas à la manif, hein ? »

Samedi après-midi, la lenteur à laquelle les heures passent est infernale. Par le soupirail de la cellule, on voit le soleil décliner et on désespère à l’idée de passer une deuxième nuit ici. Il faut attendre quasiment 20 heures pour que sonne la libération. On nous fait sortir un par un, et on signe le papier qui annonce l’abandon des poursuites. Tout ça pour ça. Parce que j’ai manifesté et que je me suis fait attraper, mon ADN, mes photos et mes empreintes sont fichées.

Lors du précédent mouvement pour les retraites, la mère de Clément a été victime de violences policières. Depuis, elle conserve des séquelles de ce traumatisme.

Capture d'écran de la miniature de l'article "blessée par un tir de LBD, ma mère n'ose plus manifester".

Quand ils nous rendent nos lacets et nos affaires, les flics nous glissent une nouvelle remarque : « Ce soir vous retournez pas à la manif, hein ? » De toute façon, je suis bien trop fatigué pour aller taper dans les mains où que ce soit. Les manifs, je sais que j’aurai toute la semaine prochaine pour les faire.

Ils peuvent tenir le rôle des flics sympas aussi longtemps qu’ils le souhaitent, ils ne nous feront pas oublier qu’au même moment, d’autres manifestant·es sont tabassé·es et interpellé·es dans Paris. Certain·es finiront jugé·es et condamné·es si elles et ils n’ont pas la même chance que nous. Avant de passer la porte de la sortie, l’OPJ me donne un dernier conseil : « J’espère que vous écrirez un joli papier sur votre séjour au commissariat du 20e. »

Paul, 24 ans, salarié, Paris

Crédit photo Hans Lucas // © Benoit Durand – La BRAV-M, durant la manifestation contre la réforme des retraites à Paris le 20 mars 2023. Place Vauban, devant les Invalides. Après le vote de la motion de censure, des manifestant·es ont défilé dans les rues de la capitale.

 

 

Réforme des retraites : des interpellations en série

Jeudi 16 mars, 292 personnes ont été arrêté·es durant une manif à Paris, après l’utilisation du 49.3 par le gouvernement. Depuis, plusieurs centaines de personnes sont arrêtées chaque jour partout en France en marge des manifestations.

Parmi les interpellé·es, seules neuf ont été poursuivi·es à l’issue de leur garde à vue. Ça veut dire que dans 97 % des cas, la police n’a retenu aucune charge contre celles et ceux qui ont passé plusieurs heures en cellule.

Pour le préfet de police de Paris, « il n’y a pas d’interpellations injustifiées » et la police « interpelle pour des infractions qui, à [ses] yeux, sont constituées. »

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