Je me suis remise de mon viol
J’avais 14 ans quand mon viol a eu lieu. Je fêtais mon anniversaire avec deux de mes meilleurs amis. Je les ai invités à dormir chez ma mère, présente ce soir-là, pour qu’on profite de la soirée jusqu’au dernier moment. Vers 5 heures, fatigués après s’être tapés plein de films, on s’est couchés, on s’est endormis. Puis est venu le moment fatidique où mon meilleur ami a commencé à me toucher… Je vous passe les détails. Je peux juste dire que c’était douloureux. La confiance que j’avais placée en lui, que je connaissais depuis deux ans, s’est volatilisée en quelques secondes. J’étais perdue, je ne comprenais pas. Il est parti de chez moi quelques heures après.
Juste après que ça se soit passé, je me sentais sale et impure. Je ne sais pas combien de fois je me suis lavée. Je me sentais honteuse. J’ai mis quatre jours à en parler à ma mère. Je ne savais pas du tout comment elle allait réagir. Elle avait tout autant confiance que moi en mon meilleur pote.
Elle était choquée, dans l’incompréhension totale, elle m’a même demandé si c’était une blague. Quand je me suis mise à rire en pleurant, elle a tout de suite compris. Elle m’a dit que c’était de sa faute si ça m’était arrivé. Elle s’en voulait de ne pas s’être rendu compte de quelque chose plus tôt. On s’est consolées mutuellement. On en a beaucoup parlé. Ça m’a libérée psychologiquement, de tout sortir.
Ma mère me soutient tous les jours
C’est grâce à elle que j’ai réussi à me remettre. Elle me soutient tous les jours. Aujourd’hui, elle m’aide encore beaucoup. Mon petit frère n’est toujours pas au courant. Pour le coup, je n’ai pas eu envie de lui dire. Je ne veux pas qu’il se dise que j’ai souffert, que j’ai vécu quelque chose de dur. J’ai envie qu’il garde l’image de sa grande sœur toujours forte qui sait se débrouiller toute seule. Je lui en parlerai sûrement un jour, quand je le sentirai.
Comme on s’est connus très jeunes, mes amis et moi, on s’est toujours tout dit. Ça n’a donc pas été difficile de leur raconter mon viol. Ils ne m’ont absolument pas jugée. Je ne les avais jamais vus autant compréhensifs et sérieux. Ils voulaient absolument m’aider. Qu’ils me soutiennent autant m’a énormément rassurée. Si mes amis n’avaient pas été là, je crois d’ailleurs que je ne l’aurais jamais dit à ma mère. Ils m’ont expliqué que si je ne le faisais pas, je le regretterais. Et que plus j’attendrais, plus ça me ferait du mal. Les connaissant, je suis sûre qu’ils auraient fini par lui en parler à ma place !
Grâce à ma mère, j’ai porté plainte le lendemain. C’était mon anniversaire. Au commissariat, une dame m’a prise en charge. Elle a été incroyablement gentille et patiente, elle me souriait, elle m’a demandé de parler dès que je me sentirais prête. C’était dur. La procédure n’aide pas, car il faut tout raconter dans les moindres détails. Ça force à se souvenir, à revivre le moment. C’est grave désagréable ! La commissaire était très à l’écoute, me laissait le temps de prendre des pauses. Je me sentais mal à l’aise de raconter mon histoire à une personne que je venais juste de rencontrer. On est filmé, pour qu’ils puissent remplir leur rapport s’il manque des informations. Après, je comprends. C’est pour ne pas déformer la réalité. Pour rester dans la vérité et nous soutenir jusqu’au bout.
Rester sur mes gardes
Au début, je ne voulais pas m’en sortir. Je me répétais : « Si je vais mieux, ça recommencera. Reste sur tes gardes… » Puis, je me suis rendu compte que c’était nul de ma part. Quand on a le moyen d’aller mieux, ne pas saisir les mains tendues c’est abandonner sans même avoir essayé. Les personnes de notre entourage et les professionnels peuvent vraiment nous aider.
Ma mère a pris rendez-vous chez un psychiatre sans que je le veuille. C’était un moment horrible ! J’avais l’impression qu’il me prenait pour une imbécile. Des fois, j’ai trouvé que ses questions étaient déplacées. Elles étaient un peu trop directes. Il demandait beaucoup de détails. Après, peut-être qu’il avait tellement l’habitude de poser ces questions qu’il ne s’est pas rendu compte que ça me gênait. Malgré tout, ça m’a aidée à avancer psychologiquement.
Devant la justice
Il y a eu plusieurs procès. Mais je n’ai assisté à aucun d’eux. J’avais cours et ma mère ne voulait pas que je sois absente. Le dernier jugement s’est déroulé le 27 octobre 2022. Je ne sais pas s’il y en aura d’autres. Pendant cette période, il m’a écrit une lettre que j’ai lue, et brûlée. C’était extrêmement culotté de sa part. Ça se sentait qu’il était désolé, mais il a écrit des choses déplacées comme : « J’aimerais que notre relation s’améliore et redevienne comme avant. » Et plein d’autres trucs dans ce genre. Je n’ai pas du tout apprécié.
J’ai encore peur des garçons. J’aurai toujours un petit blocage, je le sais. Mais au moins, maintenant, je le vis bien plus normalement ! Dormir avec un garçon, c’est toujours un moment assez compliqué. Je ne suis jamais tranquille, toujours sur mes gardes. Dès qu’il bouge, je le supplie mentalement de ne pas me toucher. Cet été, j’ai dormi chez un ami, qui n’est pas au courant. J’ai été soulagée que rien ne se soit passé…
Comme un soldat
À part ma mère, mon cousin de mon âge et mes amis, peu de gens sont au courant. Mais ceux qui le sont me considèrent comme un « soldat ». Une femme qui ne montre pas ses faiblesses malgré ce qui lui est arrivé. Qui s’en est sortie courageusement et fièrement. Même si ce passage de ma vie m’a laissé des séquelles. J’en aurai toujours, je le sais, mais ça peut s’arranger. Au niveau physique, je pense que ça va se débloquer tout seul. J’y crois, parce que j’ai envie de passer le cap. Grâce ou à cause de cela, je vois les choses différemment. Je sais mieux maintenant quand accorder ma confiance ou non.
Lila, elle, n’a jamais pu se remettre du viol qu’elle a subi : écrasée par le poids des traditions, elle s’est sentie obligée de se marier avec l’homme qui l’a violée, et sa mère a préféré couper les ponts avec elle.
Quand j’en ai parlé à mes amis, certains d’entre eux – des gars, la plupart du temps – m’ont dit que j’aurais dû faire comme si tout ça ne s’était jamais passé. Ils ne savent pas ce que j’ai ressenti… ce que ça fait d’être violentée sexuellement ! Un viol, ça peut même arriver avec des gens de son entourage. Si vous êtes victime, parlez-en ! Même si vous avez peur de la réaction des gens, on s’en fiche ! C’est super important.
En parler, ça libère énormément de poids. C’est dur, ça fait peur, au début et encore maintenant. Mais depuis que j’en ai parlé, je me sens mieux. Même si ça ne changera jamais ce que j’ai vécu, c’est un sujet qui me donne de la force. En parler, c’est toujours un peu compliqué. Mais je ne souhaite pas oublier.
Sarah, 16 ans, lycéenne, Montpellier
Crédit photo Pexels // CC Liza Summer
Kintsugi, l’histoire de ma reconstruction
Le kintsugi, c’est l’art ancestral japonais de réparation de la porcelaine brisée. Plutôt que de cacher les fêlures, on les sublime avec de la poudre d’or. Un peu comme Julie, qui a décidé de participer à une série de podcasts pour raconter sa lente reconstruction après des agressions sexuelles subies dans l’enfance.
Elle ne cache pas ses traumas, raconte la réappropriation de son corps, laisse entrevoir sa résilience. On te conseille cette série de sept épisodes, si le sujet t’intéresse et que tu te sens prêt·e à les écouter.