Riko E. 29/10/2021

Je vis dans un village… virtuel

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Sur son serveur Amino, Erik alias Riko s’est créé son petit monde et sa communauté avec qui le partager. Une vraie vie virtuelle.

Erik, c’est mon prénom, mais je préfère qu’on m’appelle Riko. C’est mon pseudonyme, notamment sur internet. J’ai à peine 16 ans, et, si ma culture générale est assez… restreinte, je suis incollable sur les jeux vidéo : je peux vous citer les 900 Pokémon et le nom de chaque bloc de Minecraft. PC, Nintendo DS et Switch, Playstation 4 et Xbox 360, téléphone et casque de réalité virtuelle (VR) n’ont plus de secret pour moi. Même si ma famille n’apprécie pas que je passe mon temps dans cet « outre-monde » qu’est la techno, je ne suis pas non plus « décérébré » : je vis autant dans le virtuel que dans le réel. Le téléphone et internet sont des portails miniatures vers les quatre coins de la France. Que dis-je ? Du globe !

Ma « maman » virtuelle : Sylver Foxy

Il y a trois ans, j’ai rejoint le serveur Amino (un réseau social initialement conçu pour les mangas). On y fait du roleplay (jeu de rôle) en incarnant des personnages. Le matin, je parle avec ma « maman » virtuelle : Sylver Foxy. Je dis « maman » parce que, dans le roleplay, mon personnage était son fils et, quand on devait parler l’un de l’autre, elle m’appelait « fiston » et moi en retour « mima » (une référence à un film Pokémon).  Je n’ai pas cherché à connaître son vrai nom ni son âge. Sur internet, nous avons été éduqués à ne pas rompre notre anonymat.

J’ai aussi un père virtuel, Foxy le gameur, ainsi que des frères et sœurs, et même des neveux parfois, même si ce sont des personnes que, pour la plupart, je n’ai jamais croisées IRL (in real life, dans la vraie vie). Avec ma « maman », on parle de sujets classiques qu’on peut avoir dans n’importe quel groupe d’amis. Mon père et ma mère savent que je vois mes « parents virtuels » plutôt comme des amis. J’ai eu la chance de rencontrer l’un d’entre eux, par pure coïncidence. Il habite à deux kilomètres de chez moi. On s’est fait une petite séance de sport, un basket, des débats… c’était génial.

Mon serveur Amino, ce village paumé

Malheureusement, je n’ai que 16 ans et je n’ai pas de voiture ou de scooter pour aller voir mes autres amis d’internet qui habitent en Bretagne. Mais ça ne m’empêche pas de pouvoir faire des soirées d’enfer avec eux : Ottrox, Barjo, Tenko, Mad, Kiddo, Toaster, Crystal, Doudouille, King, Karma, Merline, Dave Sally. On peut être plus de trente à mourir de rire face à des vidéos sélectionnées par les plus grands clowns du groupe. On fait des soirées jeux où l’on oublie tous nos problèmes. Toujours dans l’anonymat.

Je compare souvent ce petit serveur Amino aux réseaux sociaux en général. Facebook et Instagram sont des capitales de pays : Paris, Londres ou Madrid, vastes avec de grandes célébrités. Mon serveur, lui, est un village paumé de cent personnes. Personne n’en a jamais entendu parlé mais, là-bas, tout le monde se connaît, s’amuse et se soutient ; même dans les moments les plus difficiles.

On fait des « dodo voc »

Même l’amour, je le vis à distance. Je n’avais jamais vraiment été très proche d’une fille, et j’étais loin d’avoir le profil pour en intéresser une. Mi-mars 2020, nous voilà confinés… Plus rien à faire, plus de sortie, plus de copains ni d’école ! Quel terrible destin ! Cela dit, les geeks comme moi ne s’en plaignent pas ! Alors, j’ai appris à connaître Mad. On a été très complices : on faisait des farces avec nos autres amis virtuels, on était toujours ensemble ! À force d’être quasiment « confinés » ensemble, on s’est rapprochés, et je vis l’amour au travers de mon téléphone comme je vivais déjà la majorité de mes occupations.

S’immerger dans un monde totalement virtuel, c’est le nouveau rêve de Facebook ! On appelle ces univers en ligne des « métavers » et leur histoire est passionnante, comme le retrace The Conversation.

Bien qu’on ne puisse pas se prendre dans les bras, qu’on ne puisse pas avoir de contact physique, on arrive quand même à faire des choses ensemble. Par exemple, on fait des « dodo voc » : c’est le fait de rester en appel toute une nuit et que, le lendemain, on puisse se réveiller avec tous les participants, que ce soit en soirée ou entre tourtereaux. On joue, on fait du roleplay sur des sujets de fantasy comme des sujets banals. En fait, on fait ce qu’on ferait si on était ensemble physiquement, dans un même appart : pas toujours des choses passionnantes, ce qui, au final, ne nous distingue pas tellement d’un autre couple.

J’avais le trac de les rencontrer

J’habite vers Vitré, elle à Versailles. C’est clairement trop loin pour y aller avec nos moyens mais, après quelques semaines, on a mis au point un plan. Surtout pour se voir mais aussi troller nos amis, en une pierre deux coups. Nos parents se sont appelés pour mettre au point le voyage, tout était prévu ! Ça m’a fait bizarre de quitter mon nid pour partir seul en train, rencontrer une famille dont j’avais juste entendu parler. J’avais le trac de connaître leur réaction face à ma venue et idem pour ses frères, mais ça valait le coup ! On s’est rencontrés après sept mois en couple. Mon père m’avait tout de même prévenu de ne pas me faire trop d’espoir, que cela pouvait ne pas se passer exactement comme on voulait, et il avait raison : c’était encore mieux que ce que je pensais. On a passé une super semaine et on se rappelle tous les deux que j’ai pleuré quand j’ai dû la laisser. On a pu se voir deux fois en un an, et quasiment toute l’année au bout du fil.

Lors des fêtes, on n’oublie pas non plus de s’offrir des cadeaux, même sans occasion particulière. Des poèmes, des objets livrés sur Amazon… À Noël, je lui ai même envoyé une peluche à l’effigie de mon personnage, un Pokémon particulier (d’une espèce spécifique, avec une couleur unique qui le représente, « Riko »). Le plus fou, c’est qu’elle a eu la même idée, sans même se concerter ! J’ai donc reçu aussi une peluche unique à son effigie à elle.

« Le réel se passe de virtuel, pas l’inverse »

Il y a un côté poétique à ce qu’on soit chacun tombé amoureux du caractère et de la beauté intérieure de l’autre sans s’être intéressé à la beauté extérieure. Et de pouvoir communiquer constamment fait qu’on peut toujours se soutenir mutuellement. On rit, on pleure, on se console…

Je m’exprime toujours bien plus facilement par sms ou au travers d’un jeu de rôle sur les réseaux : je laisse parler mon cœur avec celui des autres, j’ai découvert des faces cachées de moi-même et je ne suis certainement pas le seul à avoir développé des amitiés qui s’épanouissent encore. Aujourd’hui, je n’ai plus honte de m’affirmer comme « spécial » en public.

Vu comme ça, Amino n’a aucun défaut. Le problème, c’est que je suis tombé addict. J’ai fini par être tout le temps dessus, et mes résultats scolaires ne suivaient pas. Et, honnêtement, moi non plus. J’ai déjà passé quasiment vingt-quatre heures sur du roleplay sans bouger de mon lit, alors qu’il y avait un beau soleil dehors. À peine réveillé, je passais à peine dire bonjour, je descendais vite fait pour manger (au lance-pierre), et je remontais illico. Pas de sport, pas d’activités ménagères. En bref, je prenais de plus en plus au sérieux cette vie virtuelle.

J’ai fini par passer outre le contrôle parental

Mon père est passé par plusieurs étapes pour régler le problème. Un contrôle parental pour désactiver le téléphone à certaines heures (22 heures jusqu’à 8 heures du matin) et me laisser l’utiliser seulement trois heures par jour. Ça ne me plaisait pas, alors je monnayais quelques heures de plus en aidant mes parents dans les tâches ménagères. Mais j’ai fini par passer outre le contrôle parental. L’application parentale ne m’empêchait pas de passer mes appels (notamment à ma copine) toute la nuit.

Les nouvelles restrictions se faisaient par wifi, et il suffisait que je coupe internet pour avoir un accès illimité (pas très pratique pour aller sur les réseaux sans internet). Pour finir, mon père a changé de téléphone… Entre-temps, j’ai réussi à récupérer l’ancien pour désactiver les limites. Mon père a fini par me faire confiance, et j’ai (en partie) respecté cette confiance.

Luc a rencontré ses amis sur un de ses réseaux favoris, Discord. Timide, il y a appris à s’ouvrir aux autres et à s’affirmer.

Un enfant est assis dans le noir devant deux écrans d'ordinateur éclairant son visage.

Les choses que je ne pouvais plus écrire dans mon téléphone, j’ai commencé à les écrire dans un carnet qu’on m’avait offert à Noël : des poèmes pour ma petite amie, des histoires pour du roleplay… Faire un point avec moi-même comme dans un journal intime et finir par créer un univers où mes personnalités deviennent les protagonistes de leur petite fable.

 

Riko, 16 ans, lycéen, La Bouëxière

Crédit photo Unsplash // CC Pier Monzon

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3 réactions

  1. Hey Loulou, j’avais pas laissé de commentaires. J’avais oublié comme ton article était mignon, et je suis contente que tu aies pu partager ton ressenti ! J’aime le relire de temps en temps, dire que ça fait déjà plus d’1 ans !

  2. Bravo Riko, tu m’épates

  3. très sympa le récit de ma vie virtuelle. Bravo Riko

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