Laura D. 16/12/2019

Ma mère n’aura que 1 000 euros de retraite

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Malgré un long CV, la mère de Laura ne touchera que 350 euros de retraite, plus une pension de réversion de 667 euros.

Ma maman vient d’avoir 64 ans, elle va bientôt demander sa retraite. Ma mère a travaillé toute sa vie. Elle a trois diplômes : un BTS en économie familiale et sociale, une licence en sciences de l’éducation, une formation de documentaliste. Elle a été professeur en lycée agricole, documentaliste, responsable d’association, élue, formatrice en insertion professionnelle et elle a travaillé auprès de jeunes handicapés.

Elle a surtout donné vie à quatre enfants et les a élevés tous les jours, de 1979 à 2014. Des enfants qui écrivent des articles, soignent des malades, ont participé au fonctionnement d’une institution de la République, bref, qui cotisent. Elle a pris en charge chez elle des membres de sa famille, malades, handicapés, et j’en passe.

Je considère que ma mère a de la chance

Elle fait partie de toutes ces femmes dont le travail, qualifié de domestique, n’est pas comptabilisé dans la production de valeur. De ces étudiantes qui ne verront pas leurs années de formation initiale prises en compte dans le calcul de leur retraite. Elle est le témoin de ces carrières maintes fois interrompues, parce que trois gamins en bas-âge et un compagnon cadre sup’ qui rentre à 21 heures tous les soirs – rajoutez-moi par-dessus la charge mentale du foyer, ce n’est pas tenable : le corps finit par lâcher. Et parce qu’on est le salaire faible, alors on est celle qui s’arrête.

Quand j’étais petite, ma mère était formatrice en insertion professionnelle, à temps partiel. Elle gagnait 800 euros par mois. Elle prenait en charge des individus dont Pôle Emploi ne voulait plus : ces chômeurs longue durée qu’il faut écouter, comprendre, accompagner, afin de les aider à retrouver le chemin du travail. Quand on daigne leur en donner, du travail.

Ma mère va demander sa retraite et comme elle a souvent mis sa carrière entre parenthèses, et qu’elle a exercé des emplois peu rémunérés – pourtant si précieux pour la société, elle peut prétendre à 350 euros de pension par mois. 350 euros. Mais pour elle, ça va. Elle bénéficie de la pension de réversion de son ancien conjoint, 667 euros par mois. Elle va dépasser de justesse la fameuse barre de la retraite à 1 000 euros. Sans compter la complémentaire : elle fait partie des privilégiées.

Pourquoi évoquer cela ? Parce que même si je trouve révoltant que les années de travail de mes parents accumulées et combinées n’ouvrent qu’à 1 000 euros de retraite de base par mois, je considère que ma mère a de la chance.

Comment elles vont faire, les autres ?

Parce que ce qui me révolte encore plus, c’est ce gouvernement qui entretient le flou et en profite pour nous faire croire que la réforme Delevoye [abandonnée depuis, ndlr] va améliorer la situation des femmes. L’indécence. L’enfumage. L’insulte.

Ma mère a eu de la chance. Lorsque son conjoint est décédé brutalement à 55 ans, elle a pu percevoir sa pension de réversion. Elle ne travaillait pas à l’époque, parce qu’elle avait décidé de suivre son mari dans une autre ville et qu’elle avait dû démissionner. Le taux de chômage des 50-64 ans en France, aujourd’hui, c’est presque 40 %. Allez vous remettre au boulot à 55 ans. Elle avait une lycéenne à charge, et ces 667 euros mensuels, c’était vital.

En France, 90 % des bénéficiaires des pensions de réversion sont des femmes. Avec la réforme Delevoye, la pension de réversion ne sera versée que lorsque le conjoint survivant est à la retraite. De plus, elle ne sera plus accessible aux couples divorcés. Comment on fait, quand on se retrouve amputée du salaire le plus important du foyer – voire du seul salaire du foyer, et qu’on a une jeune à charge dont on doit financer les études, sans pension de réversion ? Et le divorce, depuis quand c’est un malus ? Comment elles vont faire, les autres à venir ?

Plus tu as d’enfants, moins tu perçois de retraite

Ma mère a eu de la chance, parce que si elle peut prétendre à 350 euros de retraite par mois, c’est grâce à la majoration de durée d’assurance (MDA). Vous savez, celle qui permet aux femmes de valider huit trimestres par enfant, pour compenser les fameuses interruptions de carrière. Le projet Delevoye supprime la MDA. En remplacement, il propose une majoration de 5 % de la retraite pour chaque enfant, dès le premier enfant… appliquée sur la pension d’un des deux conjoints, au choix.

Maman solo, Sara cherche un boulot. Avec conviction et motivation ! Faute de possibilités pour faire garder son enfant, elle est pourtant passée à côté de plusieurs offres d’emploi.

Capture d'écran de l'article "Pas de garde d'enfant, pas d'emploi", de Sara. On y voit une femmes penchée sur une poussette. Elle met la main d'une enfant dan la ceinture de sécurité d'une poussette.

Pas besoin de faire un dessin : dans une société où les femmes gagnent 9 % de moins que leurs conjoints, à compétences égales, quelle est la pension que l’on va majorer ? Celles des pères, inévitablement. Double peine pour les femmes. Selon l’Institut de la protection sociale (IPS), cela correspondrait à une perte de 9 % pour les mères d’un enfant, et de 17 % pour les mères de deux enfants, et crescendo. Plus tu as d’enfants, plus tu as de difficultés à maintenir un parcours de carrière sans interruptions, et moins tu perçois de retraite. À ce train-là, ça donne pas envie de faire inverser la courbe démographique.

Merci Jean-Paul. Merci de te foutre de nos gueules, encore et encore. Sur la croix des femmes sacrifiées, tu t’es bien appliqué pour planter les derniers clous.

Les copines, on se voit dans la rue le 17 décembre. Ma maman, la chanceuse, je suis sûre qu’elle y sera.

Laura, 23 ans, étudiante, Paris

Crédit photo Hans Lucas // © Valentin Belleville

 

 

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1 réaction

  1. Beau témoignage bravo

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