Lisa O. 29/10/2021

Sans avion, adieu la famille

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Face au réchauffement climatique, Lisa ne prend plus l’avion. Une décision difficile quand on a de la famille partout dans le monde.

« On se rejoindra en Nouvelle-Zélande et on observera les kiwis ensemble, promis ?

– Promis. »

Et une promesse de plus qui ne sera pas tenue…

Combien d’heures ai-je passées, enfant, à élaborer les plans de mon futur tour du monde ? M’imaginer, une fois grande et indépendante, voyager de pays en pays. Je rêvais de retrouver une amie dans une destination « exotique » ou de faire visiter à mes frères l’endroit dans lequel j’avais passé les dernières semaines, avant de m’envoler découvrir une nouvelle culture et de nouveaux paysages. Ça m’a aidée à m’évader et je ne regrette pas ces rêves. Cependant, il est douloureux de les abandonner alors que j’ai enfin les moyens techniques de les mettre en œuvre.

J’ai décidé de dire adieu à ce rêve de tour du monde

Le monde connaît une crise environnementale sans précédent et le réchauffement climatique menace de plus en plus d’aboutir sur une catastrophe globale irréversible. Les débats sur comment réduire ces risques se multiplient, à différentes échelles. La honte de prendre l’avion se développe de plus en plus chez les personnes soucieuses de réduire leur propre impact individuel.

Pour donner un ordre d’idée, il suffit d’un aller-retour Paris – Marseille en avion pour annihiler un an d’efforts à manger local ou à avoir un mode de vie zéro-déchet. Et, selon l’étude de Carbone 4, il faudrait adopter un régime végétarien pendant un an pour espérer compenser un aller-retour Paris – New York en termes d’émissions carbone.

Face à ce bilan, j’ai décidé de dire adieu à mon rêve de tour du monde. Cela m’attriste, même si j’ai eu la chance de voyager à plusieurs reprises et je me suis bien rendu compte que ça peut être une merveilleuse source d’enrichissement. Jusqu’à mes 10 ans, je me suis envolée chaque été vers la Syrie pour y rejoindre ma famille paternelle. J’étais alors immergée dans une culture qui ne m’était pas tant familière, entourée de personnes dont je ne parlais pas la langue. Je sais à quel point un tel dépaysement peut être enrichissant. Vivre en Europe permet d’accéder à de nombreuses destinations intéressantes en transports terrestres, mais le dépaysement et le choc culturel ne pourront être aussi intenses.

J’ai des cousins qui vivent à six heures d’avion

Il existe également une sorte de pression sociale. Voyager en avion est une norme implantée dans le milieu géographique et social dans lequel je vis. Pourquoi le remettrions-nous en question si ça nous est présenté comme positif et viable ? Un de mes meilleurs amis compte passer son prochain semestre d’études en Finlande. Sa proposition que je l’y rejoigne pendant un week-end a suscité en moi une joie spontanée à l’idée de vivre cette aventure. Cette joie s’est vite transformée en tristesse en me rendant compte que ça impliquait une entorse à mes valeurs. Ça a été difficile de soutenir son jugement et de rester fidèle à mes convictions. Questionner notre consommation du secteur aérien peut rapidement être perçu comme anormal, voire extrémiste.

Médias, citoyen·ne·s et politiques ont été frappé·e·s par le rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). À sa sortie le 9 août 2021, le constat des expert·e·s de l’ONU est sans appel : « Alerte rouge pour l’humanité », a mis en garde Antonio Guterres le secrétaire général de l’ONU.

C’est d’autant plus douloureux lorsque ce sont des êtres très chers qui vivent à l’étranger. J’ai des cousins qui vivent à six heures d’avion, au Canada. J’ai eu la chance de pouvoir leur rendre visite pendant deux semaines tous les étés pendant six années consécutives. Une tradition rompue par la pandémie. J’ai vécu là-bas des moments parmi les plus heureux de ma vie. Comment trouver le courage de leur dire que ça n’arrivera pas de sitôt ?

La question se pose également vis-à-vis des futures générations, à commencer par celle de mes petits frères qui deviendront adultes à leur tour dans quelques années. Comment leur refuser des choses auxquels ils rêvent alors que tant d’autres avant eux y ont eu droit sans ressentir aucun remord ?

« Que vous êtes courageux, je n’étais pas pareil à votre âge… »

Je ne pense pas que ce soit juste et envisageable d’imposer de telles choses aux autres. Nous ne pouvons qu’espérer montrer l’exemple. Cependant, il est parfois accablant de se rendre compte que ces efforts ne suffiront sûrement pas. Le cas utopique où plus aucune personne ne prendrait l’avion n’éviterait pas une catastrophe environnementale. Ce sentiment peut être terrassant.

J’ai l’impression que c’est un poids qui pèse particulièrement lourd sur les épaules des jeunes. La perspective d’un avenir sombre à réparer dans lequel il faudrait tenter de boucher des trous qui ne cesseraient de se reformer. C’est dur à vivre. J’éprouve une sorte de colère lorsque des gens d’une autre génération nous flattent avec des « que vous êtes courageux, je n’étais pas pareil à votre âge… ». Nous, nous n’avons pas le choix. Est-ce un acte de courage que de vouloir un avenir décent ? Et surtout, les adultes plus âgés ne devraient pas se déresponsabiliser. Au vu de l’urgence, c’est un chemin que nous devrions prendre tous ensemble.

Étudiante, Marguerite essaie de consommer écologique, malgré le prix à payer. Des petits gestes qui lui semblent vains tant que gouvernements et industriels ne changent pas de modèle.

Je n’ai pas de mots apaisants qui apporteraient de réponses à ces questions. Je pense cependant que l’apaisement arrive quand on sent que l’on fait de notre mieux, tout en préservant notre santé mentale. Si l’on est en mesure d’en faire, et c’est bien souvent le cas, il est juste de faire les efforts possibles. Mais c’est ok de ne pas pouvoir sauver le monde.

Lisa, 22 ans, en service civique, Lyon

Crédit photo Pexels // CC Vitaliy Mitrofanenko

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