Philoé P. 15/04/2022

Comme un poisson sans eau

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Philoé se scarifie depuis cinq ans. Elle est devenue addict à cette sensation, cette décharge d’adrénaline qu’elle ressent en se coupant la peau.

Ce jour-là, je me sentais tellement mal que j’ai pris ce fameux cutter, et j’ai détruit mon corps pour la première fois, sous la douche, les bras rouge sang, sans aucune hésitation, avec seulement la peur de ne rien ressentir et de ne pas exister. Je n’avais encore jamais vu autant de sang. Mais, le plus étonnant, c’est que c’était la première fois que je me sentais bien. C’était à cause de l’adrénaline je pense, parce qu’à peine une heure après je me sentais déjà mal. Alors, j’ai recommencé dans ma chambre, seule, en pleurs, recherchant cette sensation de liberté et d’existence que je venais de découvrir.

Être à la hauteur

L’automutilation pour moi, elle se présente sous forme de scarifications. Elle est addictive et destructrice. J’ai commencé à me scarifier quand j’avais 10 ans, pour me punir de ne pas être à la hauteur des autres enfants de mon âge. « Être à la hauteur » « Faire mieux que Untel ou Untel. » C’est ce que l’on me rabâchait à la maison, à l’école et même au sport. Toutes ces phrases cumulées m’ont menée à ma propre perte.

La première fois que je me suis scarifiée, j’étais en sixième. Je venais de rentrer d’une journée pourrie à récolter des mauvaises notes, des remarques dégradantes des profs qui insinuaient que j’étais juste une feignante qui ne faisait rien pour s’améliorer.

J’ai donc découvert cette façon de se vider de toutes mes émotions négatives pour un instant, de se sentir revivre et de se faire souffrir pour montrer aux gens que l’on se déteste autant que ce qu’ils nous détestent. C’est vite devenu quelque chose que je faisais à tout moment de la journée. Dans les toilettes du collège, dans des petits coins où personne ne venait, chez moi, ou parfois dans la forêt quand je partais marcher.

Personne n’était au courant et je ne cherchais pas à le faire savoir, je préférais me cacher par peur que ça incite d’autres personnes à le faire. Je cachais mes bras, mon ventre, mes jambes, mes cuisses, mon torse, enfin presque tout mon corps. On trouve facilement des façons de cacher toutes ces coupures. Avec des gros pulls pour mes bras, mon torse et mon ventre, des jupes longues ou des pantalons pour mes cuisses et mes chevilles, des foulards pour mon cou, des gants pour mes mains. J’étais tout le temps habillée de manière à me cacher.

Mon corps ne m’appartenait plus

Maintenant, voir ces centaines de cicatrices me rappelle que j’ai passé des moments extrêmement douloureux. Et aussi le bien que ça fait de le faire et de ressentir toute cette adrénaline dans mon corps. C’est une tentation de tous les jours, comme une personne en manque de quelque chose. Je lutte pour ne pas recommencer, parfois ça marche et parfois je rechute. C’est la plupart du temps trop compliqué de résister, c’est un peu ma drogue à moi.

Me détruire comme les mauvaises personnes de ce monde l’ont fait en me brisant le moral, en se servant de moi et de mon corps. Les agressions dans le bus, c’était un peu comme un rendez-vous mensuel. J’ai l’impression qu’à peu près tous les mois, je me faisais toucher, draguer, insulter ou même regarder comme un bout de viande par des hommes de tous âges. Je n’avais plus l’impression que mon corps m’appartenait dans ces moments-là, et la scarification était la solution pour moi.

Certaines personnes sont au courant, dont mes parents. Ils pensent que c’est juste une phase où je veux me rebeller contre eux. Ils ne comprennent pas comment je pense, et comment je vois le monde. Mes parents ont honte et me demandent de cacher ces cicatrices mais ils ne pensent pas à moi, à ce que je subis et ce que j’endure depuis cinq ans. Je leur en veux de ne penser qu’à eux et à leur image de famille parfaite. Ils en sont même arrivés à m’interdire pendant quelques mois de voir ma psy. Ils pensaient que j’allais devenir folle et que je devais m’en sortir par moi-même. Alors que l’aide de professionnels ne peut qu’être bénéfique, et ça ne veut pas dire que l’on est fou.

Des tatouages pour en faire une force

J’aimerais arrêter, même si je me suis construite autour de ma souffrance et de mon addiction.

Le moment où je ne serais plus addict à ça, je sais que j’aimerais me faire tatouer pour mettre en valeur les cicatrices que j’ai, et les voir comme une force dans ma vie. Je voudrais me faire tatouer une dague à côté ou autour, sur l’avant-bras. Un motif floral sur mes jambes, pour les « contourer ». Un autre tatouage qui partira de dessous l’oreille et qui ira jusqu’au bout de la main, tout le long du bras, une ligne qui passera sur mes cicatrices.

Adolescente, Luna s’est mutilée. C’est vite devenu une obsession. Et si aujourd’hui, elle a réussi à arrêter, elle lutte encore pour ne pas replonger.

Capture d'écran de la miniature de l'article à propos de la scarification et l'automutilation : "Ça passe ou ça coupe".

Je sais très bien que c’est quelque chose de très destructeur et j’en prends conscience parfois. Mais, une addiction, ça ne s’en va pas tout seul. Essayer de s’en sortir, c’est un peu comme demander à un poisson de nager sans eau : il ne pourra pas survivre longtemps.

Philoé, 15 ans, lycéenne, Nancy

Crédit photo CC Pexels // cottonbro

 

Ressources

L’analyse de Marie-Rose Moro, pédopsychiatre et directrice de la Maison de Solenn :

L’automutilation est une pratique qui s’est développée ces dernières années, et qui est plus fréquente chez les jeunes filles. Elles attaquent leurs corps et cherchent à diminuer leurs angoisses en faisant couler leur propre sang. C’est effectivement une dépendance qui, comme toutes les dépendances, est tenace, et elle vous choisit autant que vous la choisissez. Elle devient indispensable, et on a très vite de grandes difficultés à s’en passer.

Elle vous oblige à répéter, souvent selon le même rituel, des gestes qui parfois font mal mais toujours donnent l’illusion d’apaiser. Jusqu’au moment où on devient dépendant de ce geste, angoissé si on ne peut le faire dans les conditions habituelles, et dans la contrainte absolue de le répéter pour se sentir exister.

Il est important de ne pas rester seul·e avec cette dépendance, d’en parler, de consulter, de sortir du cercle vicieux qui oblige à recommencer et parfois à se faire de plus en plus mal, de prendre de plus en plus de risques pour sentir l’apaisement éphémère et parfois dissimuler ce qui est derrière, comme des inquiétudes ou des idées noires.

Soigner ce qui est caché et endormi par l’automutilation permet d’arrêter de se faire mal. Ensuite, on réapprend progressivement à se passer de ce geste, de cette attaque de son corps. On réapprend à protéger son corps.

 

Si tu es dans la même situation que Philoé, voici une liste de personnes/structures vers lesquelles tu peux te tourner :

– Tes parents ou un autre adulte en qui tu as confiance

– L’infirmier·e ou l’assistant·e social·e scolaire, ton/ta CPE, ton/ta prof principal·e

– Ton/ta médecin généraliste

– Il y a aussi des numéros d’écoute qui sont là pour répondre à toutes tes questions et t’aider, sans aucun jugement et avec beaucoup de bienveillance. Il y a Allo Ecoute Ado (06 12 20 34 71), c’est anonyme et confidentiel, du lundi au vendredi de 17  à 20 heures ; et aussi, Fil Santé Jeune (0800 235 236), pour les 12-25 ans, ce sont des psys et des médecins qui te répondent, de 9 à 23 heures tous les jours. Et c’est anonyme et gratuit.

– Un·e psy. Il y en a par exemple dans les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), qui accueillent des enfants / ados (0 à 20 ans). Ta famille n’a pas besoin d’avancer les frais de soins qui sont pris en charge par la Sécurité sociale.

– Les Points Accueil Écoute Jeunes (PAEJ). Sur le site, il y a une carte de France de tous les PAEJ pour que tu puisses trouver celui le plus proche de chez toi.

– les Maisons Des Adolescents (MDA). Pareil, tu trouveras une liste de toutes les adresses sur leur site.

 

 

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1 réaction

  1. Bonjour Philoé,
    Merci pour ton témoignage, il est très poignant.
    Ne perds pas espoir, les choses finiront par s’améliorer, je ne sais pas quand et cela pourra être long, mais tu finiras pas voir le bout du tunnel.
    Il faut que tu restes forte comme tu l’as été jusqu’à présent.
    Prends le temps de te connaitre et de t’aimer tel que tu es, de construire et de développer ta confiance en toi.
    Et un jour, tu deviendras la personne exceptionnelle que tu rêves d’être et tes tatouages dépeindront ton chemin de vie.
    En cas de doute ou de moment de faiblesse, n’hésite pas à te tourner vers les structures indiquées dans les “Ressources” de la page.
    N’oublie pas de vivre et prends soin de toi.

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