Gilets jaunes : j’ai vécu dans la rue avant de la prendre
La première nuit, c’était au plan d’eau de Cournon. Une nuit d’angoisse. Est-ce que quelqu’un va m’agresser ? Est-ce que je vais avoir froid ? Comment je vais manger ? Je n’avais pas de boulot depuis deux ans. Mon père m’avait posé un ultimatum : au 1er novembre, je devais dégager. J’ai fait mon paquetage et je suis parti. Je suis resté deux semaines, je faisais la manche, certains jours je ne mangeais pas.
Puis, le père d’un ami m’a trouvé un petit 9 mètres carrés, j’y suis resté deux ans. Mais c’était insalubre, ça s’effondrait, je suis retourné dehors. Je buvais toute la journée. Plus la drogue. Je vivais du RSA et de la manche. Je suis retourné chez mes parents, puis à l’hôpital. Il a fallu que je me fasse hospitaliser de longs mois car je suis alcoolique. J’ai trouvé une copine avec deux enfants, puis je me suis séparé pour retourner SDF. Mes parents m’ont repris chez eux, ce qui m’a permis de me remettre bien. J’ai fait des petits boulots, jardinage et bricolage chez des personnes âgées.
Puis, j’ai été pris à la Régie pour un contrat d’insertion en maraîchage. Le travail de maraîchage m’aide beaucoup. J’ai passé mon Caces 1/3/5 (Certificat d’aptitude à la conduite en sécurité) pour conduire des engins de levage, j’ai aussi passé un diplôme de secouriste du travail. Le moral est remonté.
Je me suis reconnu dans les Gilets jaunes
Et l’année dernière, je me suis engagé avec les Gilets jaunes. J’ai fait des ronds-points, des blocages de points d’essence, des manifestations… Ça m’a permis de connaître beaucoup de gens, des gens bien. Je me suis reconnu en eux. Comme eux, je vois que l’État nous abandonne. Il n’y a pas assez de logements sociaux alors qu’il y a plein de bâtiments vides.
Quand j’ai demandé de l’aide aux assistantes sociales pour trouver un logement, à Pôle emploi pour trouver un emploi, à l’hôpital public pour mon alcoolisme, je n’ai pas été aidé. Avec les Gilets jaunes, j’ai découvert de l’entraide. J’ai découvert qu’il n’y avait pas que des cons, qu’il y avait des personnes qui se souciaient des autres, des personnes qui sont dans la même galère que moi : pas de logement, pas de boulot.
Ce récit est un extrait de notre livre Vies Majuscules – Autoportrait de la France des périphéries, aux éditions Les Petits Matins. Loin des clichés, c’est la France des invisibilisé.e.s qui se raconte. Disponible en librairie !
Puis, j’ai quitté les Gilets jaunes. J’ai arrêté de me plaindre car ça ne sert à rien, mis à part de voir des gens se prendre du gaz lacrymogène et d’autres casser du matériel dans la rue. Rien ne bouge, c’est désespérant.
Sébastien, 35 ans, Cournon-d’Auvergne
Crédit photo Unsplash // CC ev