La sororité a changé mon regard sur les femmes
Le 15 décembre dernier, j’ai fait une surprise à ma petite sœur pour ses 19 ans. Je l’ai emmené à la Butte-aux-Cailles pour retrouver Julie, co-créatrice de Feminists of Paris ; notre guide pour une visite guidée intitulée « Street Art et Féminisme ». Leur démarche est de mettre en lumière les femmes effacées de l’Histoire et de la ville. Ce dimanche de décembre, Julie nous a guidées à travers les murs décorés du quartier en nous parlant exclusivement du travail de femmes street artists. Il y avait, par exemple, la célèbre Miss.Tic ou Intra Larue, dont les sculptures de seins nus sont disposées partout dans l’espace public. Ce jour-là, j’ai découvert un sentiment qui m’unit aux autres femmes. J’ai découvert la sororité.
Avant, j’aimais beaucoup avoir des amis garçons et je passais beaucoup de temps avec eux. Je vantais même les mérites des amitiés avec les mecs en disant « Ils sont moins chiants », « Ils ne sont pas prise de tête », « On rigole bien », etc. J’avais parfois des mots durs pour parler de certaines femmes, comme pour montrer que j’étais de leur côté. C’était le chemin le plus facile à prendre : imiter et se mettre du côté du dominant. J’étais moi-même très exigeante avec les femmes et j’en attendais plus de leur part. Au contraire, un homme avait peu à faire pour que je sois impressionnée. Avant, je me sentais plus forte entourée d’hommes, dans une bande de mecs. Aujourd’hui, je trouve ma force entourée de « sœurs ».
Mes rivales sont devenues mes sœurs
Cette visite et la découverte de la sororité ont changé beaucoup de choses pour moi : dans mon combat féministe, dans mes relations avec les hommes, avec les femmes, dans mes sensibilités, dans ma façon d’appréhender l’art… Je me suis rendu compte qu’il y avait dans les rapports entre femmes une concurrence que je ne retrouve pas entre les hommes. Je me sentais très souvent mise en compétition et comparée aux autres filles, sur nos physiques notamment. C’est dans ce contexte que je pouvais avoir des paroles dures envers les autres. C’est de là que venaient les forts sentiments de jalousie. La sororité l’a remplacée par de l’admiration, de l’inspiration et de la fierté. La solidarité est venue remplacer la concurrence. Mes rivales sont devenues mes « sœurs ».
Après la visite, j’ai commencé à recenser le nombre de femmes dans ma vie, surtout dans la culture. J’ai trié mes vinyles pour voir combien d’artistes femmes j’y trouverai. Résultat : seulement six sur cinquante. Je suis ensuite passée aux DVD. Sans grande surprise, le résultat était identique. J’ai décortiqué les sélections des Oscars et des Césars de cette année : il n’y avait presque que des hommes représentés.
J’ai alors crée des playlists exclusivement avec des femmes qui m’inspirent ou me font me sentir plus forte. Je suis constamment à leur recherche. Dans un musée, mon œil est attiré par les témoignages de femmes, je frissonne aux voix des femmes. J’ai développé une plus grande sensibilité à leur travail et à leurs histoires.
De la force et de l’inspiration
La sororité, c’est aussi la compréhension d’une oppression commune. Je me suis mise à pleurer devant des scènes de sororité de la dernière saison de Sex Education. Comme celle où une des personnages, agressée sexuellement par un homme quelques épisodes plus tôt, est accompagnée par un groupe de femmes pour affronter sa peur et remettre les pieds dans le bus, le lieu de son agression.
J’ai ressenti un sentiment de fierté pour notre guide, Julie, après cette visite particulière. Pareil quand j’en parlais à mon entourage. J’ai mis du temps à comprendre et expliquer d’où venait cette fierté pour une femme inconnue. Maintenant, je crois que j’ai compris. Elle vient des récits qu’elle nous a racontés sur ces femmes qui composent le street art de la Butte-aux-Cailles. Passer deux heures à marcher sur leurs pas m’a apporté de la force et de l’inspiration.
Depuis sa puberté, les autres ont défini à la place de Clémence ce que ça voulait dire que d’être une femme. Sa mère, ses potes, les mecs. Mais, pour elle, ça veut dire quoi ?
Finalement, ce qui me lie à Julie, c’est le simple fait que nous sommes des femmes. Et je suis très fière de voir le travail de toutes celles qui se battent pour faire entendre les voix des femmes de l’Histoire et d’aujourd’hui.
Chloé, 23 ans, volontaire en service civique, Paris
Crédit Unsplash // Gemma Chua-Tran