Zoé F. 06/02/2024

Le Tamagotchi n’est pas mort : il sauve des vies !

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Animal virtuel né dans les années 1990, le Tamagotchi est bien plus qu'un divertissement. Pour Zoé, c'est un moyen toujours à portée de main de détourner son attention quand les angoisses de mort s'invitent à l'improviste. Et de mieux les gérer.

À la caisse du supermarché, je sens mon estomac se tordre. Comme s’il dansait la Macarena dans mon ventre. Je commence à trembler, mes yeux clignotent. L’anxiété est trop forte : j’ai peur des situations inconnues et des gens qui m’entourent. Il y a trop de monde dans le magasin et, dans deux clients, il va falloir parler au caissier… Je sors mon Tamagotchi de ma poche.

Les autres personnes dans la file d’attente semblent déconcertées par mon petit compagnon électronique et ses notifications sonores en 8-bit. Peu importe, j’ai l’habitude d’être un oiseau étrange, un sacré Pokémon. Comme tous les jeunes adultes équilibrés, j’ai bien évidemment une passion pour les t-shirts de dessins animés, les chaussettes multicolores et ma salopette rose à fleurs.

Les clients qui me fixent ne savent pas que ce Tamagotchi est nécessaire pour gérer mon trouble anxieux. C’est le même depuis 2004. En âge humain, ça fait 19 ans, mais lui ne peut toujours pas passer le permis. Il tient dans le creux de ma main, avec sa petite coque rose translucide et son minuscule écran central.

La squatteuse fantôme

Mes doigts pianotent sur les trois minuscules boutons. Je regarde ses constantes vitales, s’il a faim, s’il est triste, s’il est malade. Je fais ça très sérieusement. Imaginez qu’il meure ! Je suis quelqu’un de très sensible : ma mère pourrait vous parler de ma grande période de deuil en 2012, quand j’ai perdu ma plante verte. Alors ne tentons pas le diable pour le Tamagotchi.

Plus qu’un seul client devant moi dans la file. Je commence à réussir à dépasser mon anxiété. Me concentrer sur mon ami virtuel m’a permis de reprendre le contrôle sur l’angoisse irraisonnée mais aussi de me reconnecter à la réalité par le toucher. Ma respiration est moins saccadée et la petite voix dans ma tête a arrêté de crier : « ON VA TOUS MOURIR, LA FIN DU MONDE ! »

Je range le Tamagotchi pour payer mes articles à la caisse. Merde. Trop désarmée par ce début de crise, je n’ai pas vu les clients avancer, je n’ai pas entendu le caissier me parler. Je ne lui ai pas répondu immédiatement. « ON VA MOURIR ! » Mon cerveau me hurle de m’enfuir, et pourtant, j’ai les jambes en coton. Le trouble anxieux rend tout irrationnel. Je me pose des questions qui n’ont plus de sens et je ressasse les moindres détails.

J’inspire et expire à fond, jusqu’à transformer mes poumons en pruneaux secs. C’est ma procédure habituelle au supermarché. Mais j’entends la respiration des gens, j’ai l’impression que tous les regards sont posés sur moi. Mon anxiété continue de grimper, il faut que je sorte. Je quitte le supermarché avec le Tamagotchi à nouveau dans la main, pour diriger mon cerveau vers d’autres pensées. Au bout de quelques minutes, l’anxiété se tapit au fond de moi, comme une squatteuse fantôme.

Le jingle de la Française des Jeux

À 25 ans, je commence à accepter mon trouble anxieux et à réussir à vivre avec. Enfant, dès que quelque chose semblait transgresser une règle, j’étais saisie d’un affreux sentiment de panique. Ma vie est jalonnée de crises de panique plus ou moins intenses. Certaines fois, le trouble anxieux me fait chanter le jingle de la Française des jeux ou prononcer des bouts de phrases, sans même que les idées soient passées par mon cerveau. Je me demande parfois si l’anxiété n’a pas passé un deal avec ma bouche sans me prévenir.

Mes psychiatres m’ont expliqué que je souffre d’un syndrome de stress post-traumatique, associé à une forte anxiété. Quand j’avais 5 ans, ma maman est tombée sous l’emprise d’un pervers narcissique, qui nous a torturés mentalement et physiquement pendant dix ans. Pour nous endurcir, mes frangin·es et moi-même, il nous faisait subir des sessions d’entraînement au self-défense. Il nous faisait des clés de bras ou nous donnait des coups. Quand je l’agaçais, il me privait de nourriture ou ne me donnait que la peau du saumon, ou la tête du lapin. Son credo ? « La douleur n’est qu’une information, on ne chiale pas. »

Occuper mes doigts

Le Tamagotchi n’est pas un remède miracle. J’ai dû me tourner vers des spécialistes de la gestion des traumatismes, des médecins et des psychologues qui m’ont montré des techniques de respiration et des exercices de la pensée pour réguler l’afflux de stress dans le corps. Je prends également des médicaments au quotidien. Mais la médication n’évite pas toutes les crises de panique. C’est à ce moment que mon Tamagotchi devient essentiel.

Cette idée ne m’a pas été soufflée par un professionnel de santé. Je suis tombée sur Instagram sur le merveilleux compte @oeildesaturne, qui documente sous forme de bandes dessinées son quotidien avec ses troubles, avec sa famille, ses angoisses, ses combats et ses découvertes. J’y ai appris l’existence des fidgets toys, des petits objets antistress que l’on peut tordre, moduler ou actionner, pour occuper ses doigts. Ça peut être des pop its, des cubes multifaces, des bagues… Il en existe autant qu’il y a de consonnes dans le nom d’un meuble IKEA.

Depuis, mon Tamagotchi ne me quitte plus. Il m’offre une pause dans mon combat quotidien contre l’anxiété. C’est un de mes cheatcodes [codes pour tricher dans les jeux vidéo, ndlr]. Grâce à lui et aux exercices de la pensée appropriés, mes crises de panique peuvent passer en cinq minutes d’une tornade dévastatrice à une petite tempête bretonne.

Zoé, 25 ans, en recherche d’emploi, Carhaix

Crédit photo Unsplash // CC Cosmoh Love

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