Anaïs N. 03/12/2021

TCA : mon isolement n’était pas thérapeutique

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Anaïs s’est battue pendant dix-huit ans contre ses troubles du comportement alimentaire (TCA). Hospitalisée et placée en isolement thérapeutique pendant plusieurs mois à 17 ans, elle réclame aujourd’hui une meilleure prise en charge des malades.

8 h 30. Lundi 27 septembre 2021. Cela fait deux ans, jour pour jour, que je suis entrée à l’hôpital Sainte-Anne pour traiter en profondeur les troubles du comportement alimentaire (TCA) dont je souffre depuis l’âge de 14 ans. Aujourd’hui, c’est aussi l’ouverture des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie.

J’allume la radio. Sur les ondes, on déroule le programme de ces deux journées qui réuniront élus, politiques, médecins et « grands témoins ». Je suis curieuse de connaître l’aboutissement de leurs réflexions. Rendez-vous dans vingt-quatre heures. En attendant, direction la salle de sport.

Entre mes 14 ans et mon bac, l’errance médicale

9 heures. Je foule le tapis de course. À ma droite, une jeune ado émaciée achève son circuit de cardio. Au fond de la salle, cramponnée à son vélo elliptique, je distingue la silhouette décharnée d’une sexagénaire en bout de course. Nos regards se croisent mais nos trajectoires bifurquent. Aujourd’hui, je suis guérie de mes TCA, en rémission, quand d’autres portent encore sur leur peau les stigmates de la maladie. Pourtant, mon parcours fut chaotique.

À l’âge de 14 ans, je suis diagnostiquée anorexique. Pendant trois ans, j’erre d’un cabinet à l’autre et me plie aux injonctions familiales et à celles des éminences en blouse blanche. Je surnage jusqu’à l’obtention du baccalauréat. Arrive le mois d’août, une période d’aménorrhée inquiétante précipitée par un poids en chute libre. Au terme de cet été brûlant, le couperet tombe. J’écope de six mois d’internement. J’ai 17 ans. Déscolarisée, mise au ban, je découvre avec horreur la cellule où je vivrai, recluse, au cours des prochains mois.

C’est une piaule miteuse de huit mètres carrés. Sur la gauche, un lit une place monté sur un matelas à ressorts, une table de chevet, pas de tapis. Un lavabo noirci par la crasse qu’éclaire la lumière rouge du néon. Pas de tablette, ni de miroir. Une imposante armoire sur laquelle sont placardées quatre affiches blanches au format A4. Sur l’une d’elles on peut lire en lettres capitales : GRANDIR C’EST ACCEPTER LES FRUSTRATIONS. Les murs rose saumon sont fissurés. Au centre, une petite table dédiée à la dinette quotidienne. C’est ici que je m’installe pour écrire, dessiner. Dehors, les oiseaux chantent la fin de l’été. La fenêtre est condamnée.

« Ce sont les asiles de fous qui rendent les gens fous »

10 h 30. Après l’entraînement, je profite des quelques rayons de soleil pour commander un café en terrasse et poursuivre la lecture du nouveau roman de Justine Lévy, Son fils. L’autrice écrit le journal imaginaire de la mère d’Antonin Artaud, poète génial, artiste maudit, interné contre son gré, jugé « dangereux pour l’ordre public ». Condamné à l’enfer carcéral, il connaîtra la camisole, les électrochocs.

Alors, comme un flash, le souvenir de la clinique me revient. Ici, les nuits sont froides. La couverture mince et l’absence de chauffage ajoutent à l’hostilité ambiante. Vers 2 heures du matin, je suis réveillée par les gémissements de ma voisine. Elle est en manque. L’infirmière de garde allume la veilleuse du couloir et se précipite à son chevet. Elle y restera de longues minutes avant que la patiente ne retrouve son calme.

Chaque nuit, le même scénario se répète. Et quand une fille devient immaîtrisable, on la sangle. Les damnées sortiront de leur isolement au terme de longues semaines de lutte sauvage contre leur folie, emportant avec elles de lourdes séquelles. Au petit matin, une odeur d’urine vient taquiner mes narines : le seau en plastique qui fait office de toilettes de chambre n’a pas été vidé depuis la veille. Aucune sortie n’est tolérée, même pour aller pisser.

Nolwenn a du mal à l’avouer, mais elle a toujours admiré les filles souffrant d’anorexie. Un TCA avec lequel elle a appris à vivre et qu’elle essaie de dompter, avec les années.

Photo d'une jeune fille noire en robe bleue à motifs blancs, bras croisés sur une table, le regard tourné vers la droite.

12 heures. En m’engouffrant dans la station de métro située à proximité de la salle de sport, j’aperçois cette affiche en 4×3. Le bal des folles, l’adaptation cinématographique du roman de Victoria Mas. Une fiction réalisée par l’actrice Mélanie Laurent, sous forme de réquisitoire contre les méthodes du professeur Charcot envers les patientes internées à la Salpêtrière au 19e siècle. De retour chez moi, je m’assois un court instant pour mettre en perspective tous les sons, les images, les bribes de cette drôle de matinée. Ces témoignages concordent. Il s’agit de dénoncer une méthode psychiatrique ancestrale, carcérale et liberticide qui aujourd’hui perdure : l’isolement thérapeutique.

Entrer en thérapie comme on entre en religion

Septembre 2006. Je suis hospitalisée depuis près d’un mois à la clinique Saint-Vincent-de-Paul de Lyon et j’ai l’impression de flotter. Ma tête est lourde, prisonnière d’une enveloppe ouatée. La vie s’est arrêtée net un matin d’août 2006. Progressivement, sous l’effet des psychotropes que l’on m’attribue plusieurs fois par jour, je renonce à l’inertie qui me clouait au sol pour « entrer » en thérapie. En silence et sans conviction. Renoncement ou victoire de l’institution ? Un peu des deux sans doute.

Ils m’ont eu à l’usure, mais pour quels résultats ? D’après les statistiques, 50 % des cas d’anorexie mentale pris en charge s’accompagnent d’une rechute, les effets de l’isolement thérapeutique étant limités dans le temps.

Échapper à la stigmatisation des malades

14 heures. En scrollant sur mon feed LinkedIn, je tombe sur le post du professeur Nicolas Franck, psychiatre à l’hôpital du Vinatier à Lyon. Dans une interview au Monde.fr, il dénonce « la contention et l’isolement en France », et prône la « réhabilitation psychosociale » des patients. Qu’ils souffrent de TCA, schizophrénie ou troubles bipolaires, il s’agit d’échapper à la mise à l’index, à la stigmatisation d’une catégorie d’individus toute entière, par peur, par méconnaissance, par lâcheté.

À l’image de l’unité pilote du Vinatier, j’ai eu la chance d’être prise en charge à Saint-Anne il y a deux ans. L’hôpital héberge une unité spécialisée dans les troubles des conduites alimentaires. Ici, on appréhende le patient dans sa complexité, celle de son héritage familial, neuropsychologique, biologique, psychiatrique. On évalue sa plasticité cérébrale, sa capacité à embrasser de nouvelles règles, à s’extraire de schémas dits pathogènes pour (se) reconstruire sur des fondations saines. Il n’y a ni contrainte ni isolement et les chances de succès de la thérapie reposent sur l’engagement et la volonté du patient.

Vers qui se tourner quand on a passé l’âge ?

17 heures. À bord du taxi qui me conduit jusqu’à la gare de Lyon, je passe devant la Maison de Solenn fondée en 2004 par Bernadette Chirac et Patrick Poivre d’Arvor. C’est un établissement référent et reconnu à l’échelle nationale. Les efforts de publicité et promotion de ses fondateurs ont largement contribué à sensibiliser et prévenir parents, familles et proches d’adolescents en souffrance.

Mais qu’en est-il des autres ? À qui s’adresser quand on a passé l’âge ? Quels sont les parcours de soin, les prises en charge possibles ? En juin 2021, on se mobilisait à l’occasion de la première journée mondiale de lutte contre les TCA, une maladie mentale qui touche près d’un million de personnes en France.

TCA : le parcours de soin doit être clarifié

20 heures. Je reçois une notification du Monde.fr sur mon téléphone. L’heure est au bilan. Au cours de son allocution, en clôture des Assises de la santé mentale, Emmanuel Macron a annoncé, entre autres, le remboursement des consultations de psychologue. Un premier pas. Mais comment savoir à qui s’adresser ? Psychologue ? Psychanalyste ? Psychiatre ? Trouver le bon thérapeute s’apparente à une loterie, on vous offre un ticket de tombola, sans lot de consolation, alors à quoi bon se risquer ?

Les TCA sont une affaire sérieuse et le parcours de soin doit être clarifié. D’après les chiffres de la Fondation pour la Recherche Médicale, on estime que 10 % de la population pourrait être touchée par les troubles alimentaires. Et chez les anorexiques, le risque de mortalité est multiplié par cinq par rapport à la population générale. Une statistique effrayante pour ces vies en suspens, qui valent sans doute mieux qu’un ticket de tombola.

Anaïs, 32 ans, enseignante, Paris

Crédit photo Pexels // CC Erkan Utu

 

L’anorexie mentale

L’anorexie mentale, c’est quoi ?

C’est une maladie qui pousse la personne qui en souffre à la privation alimentaire stricte et volontaire. Cette maladie altère la vision de son propre corps. Contrairement aux idées reçues, une personne souffrant d’anorexie mentale ne se fait pas toujours vomir.

Ce n’est pas qu’une maladie de jeunes filles

Elle est diagnostiquée à 80 % chez des femmes, en immense majorité adolescentes. En réalité, la maladie touche aussi les adultes et les hommes, mais ils et elles sont moins souvent diagnostiqué·e·s à cause de cet a priori.

Cette maladie n’est pas que psychologique

Elle peut être déclenchée à la suite d’autres maladies, par exemple celles qui affectent l’appétit ou qui dérèglent le métabolisme. Certains chromosomes ont aussi une influence sur l’apparition de la maladie. L’anorexie est, dans certains cas, une maladie génétique.

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1 réaction

  1. Cet article pose le problème essentiel des différentes approches, l’une répressive et désuète l’autre neuro comportementale et innovante. L’enjeu est de taille quand on sait l’impact du problème tant au plan somatique que psychiatrique. Il est temps d’aborder le problème sérieusement au plan national en regard de ce témoignage bouleversant

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