Antoine R. 19/03/2020

Huit ans après l’attentat de Merah, j’y pense encore

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Il y a huit ans, le collège d'Antoine a été la cible de l'attentat antisémite de Mohamed Merah. Cet événement a marqué sa vie à tout jamais.

Le 19 mars 2012, le jour de l’attentat, quand Mohamed Merah est passé dans le collège-lycée Ozar Hatorah, j’étais en sixième. Je m’en souviens comme si c’était hier. Prêt pour l’école, je me dirigeais vers la voiture. Mon père m’a dit d’aller prendre mon blouson. Ce sont ces cinq minutes qui m’ont sauvé la vie.

En arrivant, on a entendu les sirènes de police et de pompiers. La rue était bloquée. Une policière nous a dit calmement de nous écarter et de sortir de là. « Vous ne pouvez pas passer, il y a eu des morts dans le collège… » Je n’y croyais pas mais en descendant de la voiture, au barrage de police, j’ai vu une grande bâche verte et des parents et des élèves pleurer toutes les larmes de leur corps. Apeurés.

Mon cousin était dans l’établissement lors de la tuerie, toute la famille s’est beaucoup inquiétée. Plusieurs heures après, nous apprenions les victimes : un professeur, ses enfants, la fille du directeur et un jeune, Bryan Bijaoui, qui s’était mis en travers de ce meurtrier et Myriam… Juste après l’attentat, une chanson en son honneur a été faite. Tué parce que juif, en 2012 ; c’était pour la communauté un « retour » à l’antisémitisme pur. J’avais 12 ans et je le voyais aussi.

Les journalistes se ruaient sur nous pour nous poser des questions et faire le buzz… Ils nous demandaient comment c’était à l’intérieur alors que nous leurs répétions que nous étions arrivés cinq minutes après le drame.

Un objet qui tombait nous faisait sursauter

Nous avons repris les cours après une semaine. Les cérémonies s’enchaînaient. Le directeur, sa femme et sa famille étaient énormément touchés, on voyait qu’ils étaient sous le choc. Les prières étaient plus fortes et avec une émotion particulière.

Une cellule psychologique a été mise en place. Les élèves étaient attristés, apeurés, et avaient une haine contre ce monstre, qui à ce moment n’avait toujours pas été retrouvé. Le bruit d’un objet qui tombait (même une semaine après) nous faisait sursauter. On croyait à des bruits de pistolet. 

En avril 2019, France Inter consacre une émission aux événements de mars 2012 : le déroulement des attentats, la vie de Mohamed Merah, son parcours et ses motivations.

Tous les jours en rentrant, je regardais les infos pour voir où en était l’enquête, pour savoir si cet assassin avait été retrouvé. Une fois tué par le Raid le 22 mars 2012, une marche blanche a eu lieu dans Toulouse pour les victimes de ce traître. 

J’en ai encore la chair de poule

Plusieurs mois après, c’était les barbelés, les caméras, un nouveau portail et puis des policiers qui tournaient H24. Une sécurité permanente et les impacts de balles effacés. Nous ne pouvions plus sortir sans que ce soit nos parents qui viennent nous chercher. Sauf autorisation. Quelques mois plus tard, la vie avait repris son cours mais la communauté vivait toujours dans la peur. Beaucoup avaient changé d’établissement. L’affluence baissait d’année en année.

Aujourd’hui encore, quand je vois l’établissement, j’ai la chair de poule. À chaque fois qu’une chose similaire se produit (par exemple au lycée Tocqueville à Grasse), j’y repense et ça me fait mal. À chaque fois qu’une personne évoque ce passage, j’ai toujours un pincement au cœur.  

Je n’oublierai jamais le geste de Bryan Bijaoui qui a essayé de sauver Myriam. Ni le silence après l’horreur.

Mohamed Merah c’était un attentat pas une « tuerie »

Quelques années plus tard, Charlie Hebdo était attaqué et cela m’a beaucoup touché. Je repensais tous les jours au moment où j’étais arrivé devant le collège. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression que « le monde » va penser à un Charlie Hebdo mais va oublier ce drame. Quand j’essaie d’en parler autour de moi, à des gens autres que ma famille et la communauté, ils ont oublié. Ce qui est malheureux car cet attentat était une sorte de prédiction de ce qui allait arriver en France. Charlie Hebdo, la promenade des anglais, le Bataclan… ne sont qu’une suite. Et en parlant d’une « tuerie » au lieu de l’attentat de Merah à Ozar, les médias ont aussi « dédramatisé » la chose. J’accuse donc les médias comme BFM ou iTélé d’être à l’origine de cet oubli.

Joseph fait parti de la communauté juive. Mais hors du cadre familial, difficile de l’assumer sans se sentir en danger.

Un jeune homme se tient de profil. Il porte la kippa sur la tête.

Chaque année à Yom Kippour (le Jour du Grand Pardon), lors du discours du rabbin, du président de la communauté et du Maire de Toulouse, l’attentat est évoqué. Tous demandent aux élèves juifs de se réinscrire dans le seul lycée juif de Toulouse qui se nomme maintenant Ohr Torah.

Il ne faut pas oublier ce qu’il s’est passé en ce jour. Pour moi, cette cicatrice restera à vie.

Antoine, 20 ans, en formation, Toulouse

Crédit photo Hans Lucas // © Antony Gad Garcia

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