Clovis P. 04/01/2021

Ma transition pro est écolo

tags :

J'étais au sommet de ma carrière quand ça m'a frappé : j'avais un boulot à la con. Alors à 30 ans, j'ai décidé de faire une transition pro et écolo.

Je célèbre ce soir l’accomplissement du rêve de mes 20 ans. Le jour de mes 30 ans. Je profite de la vie parisienne avec mes amis : concerts et verres tous les soirs. Mon salaire me permet de dépenser sans penser. Je suis directeur dans une start-up du digital. Je me suis arraché pour en arriver là. J’ai commencé il y a six ans en tant que deuxième employé, je suis maintenant au comité de direction et associé d’une entreprise avec des bureaux parisiens et aux États-Unis.

Je fais aussi ce soir le deuil de ce rêve qui prend fin dans dix jours. Je vais quitter mon entreprise, je vais partir de Paris et je vais me retirer de l’absurdité de ce mode de vie. La première action de ma transition.

Le travail faisait bugger ma vie

J’ai commencé à m’éveiller de ce rêve il y a deux ans. Mon travail de directeur marketing pour une start-up me prenait entre cinquante et soixante-dix heures effectives par semaine. Les réflexions pour celui-ci occupaient mon esprit jour et nuit. Mes rêves me réveillaient la nuit. J’ai toujours aimé rêver : penser à un monde imaginaire, me voir comme un super héros avec mes amis combattant les dragons. Mais à 30 ans, mes rêves se sont transformés. Ils parlent de boulot, de salles de réunion, de lignes de code sur un écran. Ils me prennent la tête et me réveillent en sursaut à 3 heures du matin. Le travail fait bugger mon imaginaire, il hacke mes rêves.

Le travail a aussi hacké ma vie amoureuse. Lors des dates Tinder, je ne parlais plus de moi mais de lui. Lors de mes rares et précieuses relations, je passais certaines de mes soirées à répondre à mes e-mails, à planifier ma journée du lendemain. Ou à me plaindre de celle qui venait de passer plutôt que de profiter d’un dîner romantique à deux, d’embrasser tendrement à en oublier tout le reste et de rêver ensemble des prochaines vacances. Logiquement, mes relations se sont toutes terminées pour la même raison.

L’argent du travail a hacké mon apprentissage. Je n’avais plus besoin d’apprendre, je pouvais demander ou même juste cliquer. Plus besoin de savoir cuisiner, je peux commander au restaurant le midi et taper sur mon écran de téléphone le soir pour qu’un livreur Uber Eats me ramène un Bo Bun. Plus besoin de savoir faire le ménage, je peux payer une personne pour s’en occuper à ma place. Le dimanche me permettra de récupérer dans mon lit. J’en ai besoin, la semaine de travail m’épuise et, pour l’oublier, je sors avec mes collègues toute la nuit profiter des bars et joies du 20ème arrondissement. Bien sûr, je n’ai pas besoin de savoir comment revenir. J’ai juste besoin de savoir cliquer sur mon téléphone pour qu’un chauffeur Uber me ramène chez moi.

J’ai longtemps considéré cette incapacité à échapper au plaisir du quotidien comme une fatalité. En janvier 2019, la lecture du Bug Humain de Sébastien Bohler me l’a confirmé.

« Lorsque vous vous habituez à tout avoir instantanément, vous perdez la fonction physiologique qui permet de renoncer à quelque chose maintenant au profit d’autre chose plus tard. »

Ce livre m’a fait prendre conscience de mon bug. Mon corps n’évolue plus. Je perds mes capacités physiques car je n’en ai plus besoin dans mon quotidien. Si je perds mon corps, je me perds. Je dois renoncer à ce mode de vie.

Ma bullshit company

Pour la rentrée 2019, je prends mon courage à deux mains et je me lance dans la lecture de Bullshit jobs. J’ai peur de le lire, peur de réaliser que je ne suis qu’une merde.

Ce livre me rassure, j’y vois l’intérêt de mon métier : j’ai embauché plusieurs dizaines de personnes dont certaines personnes ont eu une carte de séjour grâce à cela. Je suis fier.

Mais deux questions me mettent face aux absurdités.

« Et si votre entreprise disparaissait, que se passerait-il pour la société ? »

J’ai réfléchi, et je réfléchis encore à cette question. Pour le moment, ma réponse est la suivante : la perte de plusieurs dizaines emplois, mais rien d’autre à part quelques mini-perturbations dans des boîtes cotées en bourse.

Selon une étude du Crédoc (centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), plus le revenu est élevé, plus l’empreinte écologique l’est également. Pour autant, ces riches sont statistiquement plus sensibles à l’écologie du fait de leur capital culturel. Un paradoxe à mieux comprendre sur Reporterre : « Riches et diplômés : écolos en paroles, pas dans les faits ».

« Et si vous ne travaillez plus, seriez-vous plus utile à la société ? »

Pour y répondre, j’ai pris une semaine de vacances, pour voir comment j’occuperais mes journées. Et la réponse est oui. Durant mon temps libre, j’ai livré à vélo des plats pour des SDF et des réfugiés. J’ai pris du temps pour discuter avec des personnes que j’ignorais et ignorées par la société. Aider les plus démunis, au lieu d’accompagner les plus grandes entreprises, m’a redonné une place dans cette société. L’urgence n’est pas dans les cours de bourse, mais dans nos rues. Je dois m’occuper du réel avant de faire progresser un cours de bourse.

Mon métier m’a suffisamment rémunéré, je peux maintenant agir sans travailler l’espace de quelque temps.

6,6 planètes par an

Plusieurs lectures m’ont amené à prendre conscience que nous dépensons trop d’énergie. J’ai calculé le nombre de planètes que je consommais grâce à l’outil « Footprint Calculator ».

Le résultat m’a stupéfié et effrayé : 6,6 planètes par an. En regardant le détail, j’ai réalisé qu’une grande partie de cela était liée au mode de vie et aux actions que j’effectuais pour mon travail : je passe plus de soixante heures dans l’avion pour le travail. Prime de l’absurdité avec un ParisNew York en trente-six heures pour une réunion de deux heures qui n’a rien donné. Je me déplace en Uber et taxis entre deux réunions pour ne pas perdre vingt minutes derrière mon écran à arranger des rendez-vous. Je rentre après 21 heures fatigué et mange quasi exclusivement des produits transformés par flemme. J’ai arrêté le calcul à ce moment, j’ai eu trop peur de connaître celui de mon entreprise qui stocke des gigas de data dans le cloud et a une direction nomade entre Paris et New York.

Ce calcul m’a permis de tirer ma conclusion : pour agir, je dois partir.

Alors, le jour de mes 30 ans, après quelques verres, tous les regards se tournent vers moi. Je vais prendre la parole pour annoncer la suite de ma vie. Je vais devenir explorateur. Explorer de nouveaux projets qui me permettent d’acquérir des compétences et de découvrir de nouveaux modes de vie. Chacun de ces projets aura une ligne rouge. Il ne doit pas dépenser plus d’une planète.

Pauline n’a jamais su ce qu’elle voulait faire « plus tard ». Lors d’une expérience de wwoofing, elle a trouvé sa vocation. Une transition de son CDI parisien vers le maraîchage.

Je suis parti en Bourgogne vers ma transition. J’ai pédalé depuis Paris jusqu’à la Saône pour écouter mon corps. Et à l’avenir, je réaliserai un jardin-forêt dans ma maison de famille pour redonner des rêves à mon imaginaire. Je vivrai sobrement et en consommant localement pour respecter l’environnement. Ce sera facile, je mangerai uniquement du bon chèvre.

J’espère que ma transition en inspirera d’autres. J’espère que cela m’amènera et amènera plus de gens vers la sobriété et le respect de l’environnement.

 

Clovis, 30 ans, en transition, nomade

Crédit photo Unsplash // CC Romain V

Partager

1 réaction

  1. Je félicite Clovis d’avoir réussi à franchir le pas vers un avenir que je lui souhaite être le meilleur pour lui et notre planète. Merci Clovis pour ton témoignage.
    Très très inspirant.

Voir tous les commentaires

Commenter