Shae Y. 19/06/2023

Trans et harcelé·e dans la rue, c’est la double peine

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Shae ne se définit pas comme femme. Pourtant, ça ne l'empêche pas de subir des violences sexistes dans la rue.

Je suis transmasculin·e*. Être trans et subir le harcèlement de rue… c’est la double peine. On est à la fois victime de sexisme et de la cis-hétéronormativité*. Les agressions sont sexistes et transphobes.

Pour ma part, je me considère comme chanceux·se. Depuis tout·e petit·e, je ne subis pas beaucoup cette forme de violence sexiste. Peut-être parce que j’ai eu très tôt une expression de genre* neutre/masculine. J’ai toujours été considéré·e comme un « garçon manqué » : je n’ai jamais porté de maquillage, de robes, de jupes, rien de ce qui est – à tort – automatiquement associé à la femme/la féminité.

Cette absence de passing* et ma discrétion vis-à-vis de mon identité de genre* me protègent, au moins, des agressions transphobes.

Cependant, je n’ai pas de pilosité faciale, j’ai une voix assez aiguë, de la poitrine, des formes, une petite taille. Donc le harcèlement de rue, j’ai l’impression que ça m’arrive de plus en plus d’en subir.

Malaise, colère et peur

Récemment, un homme de près de 40 ans s’est permis de me draguer et de me poser des questions sur ma sexualité, tout en présumant que j’étais une femme lesbienne.

Il y a aussi eu des mecs en voiture qui m’ont crié des choses obscènes par la fenêtre…

Étant assez peu habitué·e à vivre du harcèlement de rue, je suis toujours surpris·e quand ça m’arrive. Je n’arrive pas à m’imposer, je ne sais pas comment réagir, et je me retrouve à juste subir. Je me sens affreusement en colère et j’ai peur.

Et comme si ça ne suffisait pas, ça me déclenche d’énormes crises de dysphorie*. En effet, ces agressions me rappellent que, socialement, je suis perçu·e comme une femme, alors que je n’en suis pas une, ce qui génère un sentiment de malaise et de dépersonnalisation en moi.

 

Ainsi, quand je rentre chez moi après avoir vécu ça, il m’arrive de pleurer. Je remets en question mon passing pendant des heures. Je me demande si j’en fais assez au niveau de mon expression de genre. J’ai des pensées violentes envers les parties de mon corps qui me rendent dysphorique…

C’est tellement d’énergie mentale dépensée, tellement de fatigue et de douleurs pour une phrase que ces personnages auraient pu s’abstenir de prononcer… Et cet état peut durer des jours et des jours.

Pour vous donner une idée d’à quel point ça peut avoir des conséquences sur ma vie au quotidien : ça m’a poussé·e à faire de la musculation. Alors même que ma neurodivergence (TDAH, trouble du déficit de l’attention avec/sans hyperactivité) fait que j’ai une réserve d’énergie limitée.

Ça renforce aussi ma haine envers ma poitrine. Ça m’a poussé·e à acheter des binders – un sous-vêtement compressif servant à dissimuler la poitrine, ce qui n’est pas donné et qui est une charge à porter.

Avant que je sorte, ça me pousse dans un état d’hypervigilance vis-à-vis de mon apparence…

Un mal-être viscéral

En bref, quand tu es transmasculin·e et que tu subis du harcèlement de rue, non seulement, tu ne te sens pas safe dans l’espace public à cause du sexisme et de la queerphobie mais, en plus, ça te suit bien au-delà de l’espace social.

Kyle fait sa transition pour se sentir mieux dans son corps, dans sa tête, et dans l’espace public. Se faire mégenrer en allant faire du shopping, être agressé en allant prendre son train… être perçu comme femme est pour lui un danger.

Capture d'écran d'un autre article de la ZEP. On voit une personne, blanche avec les cheveux bleu. Elle est dehors et derrière elle il y a une sorte de bâtiment flou

Je sais que mes adelphes* femmes font aussi attention à ce qu’elles portent pour éviter le harcèlement de rue. Pour moi, c’est pareil, avec en plus cette sensation de mal-être viscéral qui te colle à la peau et dont tu ne peux jamais totalement te débarrasser.

Shae, 21 ans, étudiant·e, Dijon

Crédit photo Unsplash // CC Rene Böhmer

 

 

*PETIT LEXIQUE SUR LA TRANSIDENTITÉ

– Personne transmasculine
Être transmaculin·e signifie que son identité et/ou son expression de genre tendent plus vers le masculin que vers le féminin.

– Personne cisgenre
Être cisgenre, c’est avoir une identité de genre qui correspond au sexe qui nous a été assigné à la naissance. C’est l’inverse d’une personne transgenre.

– Hétéronormativité / Cisnormativité
L’hétéronormativité, c’est le fait de considérer l’hétérosexualité comme « normale », comme la référence par défaut. Elle entraîne donc la mise à l’écart des personnes qui ne sont pas hétéros. La cisnormativité, c’est quand il est considéré qu’être cisgenre, représente la norme, la référence par défaut. Elle entraîne donc la mise à l’écart des personnes trans. Parfois, on peut lire ces deux mots réunis en « cis-hétéronormativité » car ces deux normes fonctionnent l’une avec l’autre et se renforcent mutuellement.

– Trigger
Un trigger est quelque chose qui évoque un traumatisme survécu ou un trouble en cours.

– Mégenrage
Mégenrer une personne, c’est parler d’elle en utilisant un genre grammatical et/ou pronom qui ne correspond pas à son identité de genre, c’est-à-dire au genre auquel elle s’identifie.

– Expression de genre
L’expression de genre est un ensemble d’éléments qui déterminent la façon dont on perçoit socialement le genre d’une personne : vêtements, occupations, attitude…. L’expression de genre est indépendante de l’identité de genre (genre auquel une personne s’identifie). Par exemple, un homme peut adopter des codes sociaux dits « féminins » (porter une jupe, mettre du maquillage…) sans que cela remette en question le fait que ce soit un homme !

– Passing
On parle de « passing »  lorsqu’une personne trans n’est pas perçue comme telle, quand son apparence correspond aux codes sociaux de son genre.

– Dysphorie de genre
La dysphorie est le sentiment de mal - être qui apparaît lorsqu’il y a un décalage entre la manière dont les autres voient notre genre, et la manière dont nous le percevons nous-mêmes. Par exemple, une femme trans peut souffrir de dysphorie si les autres la perçoivent comme un homme.

– Adelphe
Le terme « adelphe », c’est l ’équivalent du mot « frère » et du mot « soeur », mais de manière non genrée.

 

Sources : Agressively Trans, Léon Salin, Parlons Sexualités

 

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