Etienne S. 09/12/2022

Trop poilu, pas assez fort, je déteste mon corps

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Étienne n’a jamais aimé son corps. Il s’est réfugié dans la nourriture, et dans le sport. Pour se sentir plus fort.

Je ne m’aime plus. J’ai le sentiment d’être coincé dans un corps qui ne me ressemble pas, ou ne me ressemble plus. Je ne l’ai jamais supporté. Mon corps, je voudrais tellement le changer ou, à défaut, apprendre à l’accepter.

Je ne me contrôle plus. Quand tout va mal, je me mets dans une bulle, une sorte de petite sphère de confort. Un confort illusoire car je mange beaucoup, des gâteaux en particulier et du Red Bull. Tout ça dans le but de détruire ma santé. Le pire, c’est que c’est tellement confortable que je ne parviens plus à en sortir. C’est ce qui m’arrive depuis longtemps. Tellement longtemps que je ne saurais pas vous dire quand ça a commencé exactement.

Je ne veux pas satisfaire ce corps qui me maltraite ! Ce corps qui se rebelle, qui me déprime chaque jour. C’est normal à 17 ans, on se cherche, on change, on se découvre.

Je me cache

Ce corps justement, environ 1 m 67 pour 67 kg ! Je n’aime pas me mesurer et me peser. Je trouve aussi que j’ai des kilos en trop. Alors, je me cache dans des vêtements larges et je ne suis pas à l’aise avec un simple t-shirt. Ces vêtements sont majoritairement tout noirs, cette couleur symbolise ce que je ressens intérieurement.

J’ai une pilosité supérieure à la moyenne et cela se traduit par des cheveux très épais. Quand je me vois dans le miroir, mes cheveux ne prennent jamais la position que je souhaite. J’ai eu une puberté prématurée, et j’ai donc eu de la barbe et de la moustache avant mes amis qui sont plus vieux que moi. J’ai aussi les sourcils excessivement épais, au point que les deux se rejoignent.

Le pire dans tout ça, c’est que je mène une vie paisible. On ne m’a jamais fait de remarques négatives sur mon corps. Mis à part quelques fois, au collège, où des amis me faisaient des blagues sur mes sourcils. Mais cela n’était pas systématique et j’arrivais à en rire. Je rigole pour tout et n’importe quoi, mais surtout n’importe quoi, et je me sens justement être n’importe quoi.

Je me réfugie dans la nourriture

Mais comment j’ai fait pour en arriver là ? Depuis tout petit, je peux manger n’importe quoi. Cela me procure beaucoup de plaisir, comme de malheur. Et, aujourd’hui, c’est pire. Je suis prêt à détruire mon corps pour ressentir un semblant de bonheur, une douloureuse illusion qui me fait oublier un peu ma souffrance.

Personne avant n’était au courant de ma consommation de Red Bull. J’ai découvert cette boisson avec des amis, on était dehors et c’était pour s’amuser. Je disais à mes parents que je ferais attention de ne pas en prendre trop souvent mais, après chaque canette, je pensais très profondément à la prochaine pour retrouver ce sentiment d’évasion que j’avais découvert. Le temps entre deux canettes a rétréci peu à peu. J’ai commencé à ne plus voir le bout du tunnel par lequel j’étais entré.

J’aimerais être fort

Ce serait un rêve de ressembler à ces personnes musclées comme dans les films ou à la salle de sport ! Je trouve qu’il y a de la force et de l’affirmation de soi dans un corps musclé. Je ne me vois pas du tout dedans et, pourtant, c’est parce que je manque de confiance en moi, d’assurance et de force que je souhaite tendre vers cet idéal.

Je recherche juste à avoir des muscles qui seraient visibles parce que ça témoignerait d’une force et m’aiderait à m’imposer en société. Je me vois être plus sûr de moi et assumer mes choix dans un corps fort qui me plaît. Surtout aujourd’hui, car mes choix définiront mon avenir et je dois les assumer. Mais je me dis tous les jours que je ne pourrais jamais changer si je continue à fantasmer sur des rêves idéaux. Je n’arrive pas à m’accepter tel que je suis et je voudrais sortir de cette spirale infernale. Heureusement, j’ai fini par découvrir l’escalade.

Emporté par l’adrénaline que procure l’escalade

C’était en 2019. J’étais en seconde et nous sommes allés à l’association sportive du lycée, le midi. Avec le professeur de sport, nous avons appris à faire les nœuds et à assurer les personnes qui grimpent. Une fois les binômes constitués, nous nous sommes placés devant le mur. Ce mur était immense et donnait le vertige même d’en bas. Les premiers instants, quand les pieds sortent du sol pour se placer sur les prises, sont magiques. On se sent emporté par l’adrénaline et l’envie de monter plus haut. Arrivé tout là-haut, le vertige revient, mais arrivé au sol, l’envie de remonter revient vite.

Quand je vais à la salle d’escalade de Vertical’Art à Montigny-le-Bretonneux, je vois très souvent des jeunes d’une vingtaine d’années, avec des bras très massifs et des corps super bien dessinés. Il y a même une salle de musculation. Mais le plus important quand je rentre dans cet endroit, c’est de me concentrer sur la pratique du sport, et non la jalousie.

Ali a subi des moqueries sur son poids pendant des années. Il rappelle que les injonctions et la grossophobie concernent aussi les garçons.

Capture d'écran de l'article "Ce corps que je déteste" publié sur le site de la ZEP le 26 juillet 2022. Photo d'un jeune homme dans l'ombre.

Depuis cette première fois, je pratique plus souvent du sport à l’AS sur mon temps le midi, quitte à sacrifier le peu de temps que j’avais pour manger. Je me suis même ouvert à d’autres sports : le badminton et le basket. Quand j’en fais, je me sens actif et je prends un peu plus le contrôle de mon corps. Cela me procure plus de plaisir que quand je mange, et c’est plus durable.

Étienne, 17 ans, lycéen, Yvelines

Crédit photo Pexels // CC Tima Miroshnichenko

 

 

Les TCA ne touchent pas que les filles

20 % des diagnostics de TCA concernent des garçons. En réalité, le pourcentage de garçons malades est plus élevé : ils sont moins diagnostiqués que les filles.

 

Pourquoi ? Déjà, parce que dans la tête de beaucoup de médecins comme de familles, les TCA sont une histoire de filles : ça ne peut pas concerner un garçon.

 

De manière générale, les maladies psys sont assez taboues, d’autant plus chez les hommes, parce qu’elles mettent à mal les stéréotypes de virilité. Du coup, les garçons osent moins appeler à l’aide que les filles.

 

Chez les garçons, les TCA ne se manifestent pas toujours comme chez les filles, ce qui explique aussi les difficultés à les repérer : sport très intensif, consommation excessive de protéines, hyperactivité…

 

Ce diagnostic tardif peut avoir des conséquences dramatiques : plus on attend, plus les TCA s’installent, et plus les séquelles peuvent être importantes. Dans le cas de l’anorexie, 7 % des malades meurent de dénutrition ou se suicident.

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