Maëlys T. 03/06/2024

Un père entre deux pôles

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Maëlys a subi les phases d'exaltation et de dépression de son père, bipolaire. Malgré le diagnostic du médecin, qui réfute cette hypothèse, elle craint encore parfois d'avoir hérité de cette affection.

J’ai crié, j’ai même hurlé. Je n’ai jamais été autant en colère qu’à cette soirée-là. J’avais accumulé trop de frustration. J’avais trop pris sur moi face à mon père et ses changements de comportement, face à ses états d’âme. Face aux soirées misérables passées à éviter le conflit et face aux conversations prônant la communication mais pleines de non-dits. J’ai explosé, là, devant mes parents, dans le salon de notre ancien appartement. J’ai explosé, puis blackout. Je ne me souviens pas de grand-chose d’autre. Imaginez un vase fissuré par l’usure, que l’on remplit à ras bord et dans lequel on essaie encore de faire passer quelques gouttes du même liquide. Il finit par se briser. Remplacez ce liquide par de la colère et ce vase brisé c’est moi. J’en étais trop pleine. À 16 ans, j’avais la boule au ventre. Constamment.

Ce soir-là, ma colère était suffisamment palpable pour que ma mère se questionne. Au cours d’un rendez-vous de routine chez le médecin, quand j’ai exprimé mon mal-être et le fait que, parfois, je ne me sentais plus moi-même, elle a lâché : « Son père est bipolaire, est-il possible qu’elle le soit aussi ? » Bipolaire. Quel choc d’entendre ce mot pour la première fois. Pour parler de lui, et pour parler de moi.

« Papa en mode off »

Alors oui, toute mon enfance, je l’ai passée aux côtés d’un père pas tout à fait comme les autres. J’ai souvent ressenti qu’il y avait un décalage dans nos interactions, qu’il n’était pas toujours le même. Parfois, en rentrant de l’école, je pouvais tomber sur l’homme joyeux avec lequel je discutais de manière constructive. Celui qui m’apprenait des choses comme la définition du mot « diurétique », ce mot pour dire qu’un aliment comme l’asperge ça nous fait beaucoup faire pipi. Le père agréable avec qui j’aimais parler. Et parfois, en rentrant de l’école, je pouvais tomber sur l’homme maussade, celui qui s’était perdu dans des pensées sombres. Celui qui me prenait en aparté pour m’expliquer que la vie c’est difficile, que telle ou telle chose sera compliquée à réaliser parce que manque d’argent, manque de temps. Celui qui me faisait amèrement comprendre que rien n’allait dans son sens. Un père qui semblait crouler sous le poids du monde. Le père que j’appréhendais de retrouver.

J’avais 8 ou 9 ans, peut-être moins, quand j’ai senti ce décalage, ce changement en lui. Mais j’étais jeune, et personne n’est venu m’expliquer que mon père était bipolaire. Tout ce que ma mère nous disait, à mes frères et moi, c’était qu’il était en mode « off ». C’est d’ailleurs toujours ce qu’on se dit entre nous : « Aujourd’hui, papa est en mode off » ; « Aujourd’hui, il n’est pas comme d’habitude » ; « Aujourd’hui, je vais faire mon maximum pour ne pas lui parler. » Triste à dire, mais c’est à ça que je pensais, à ne pas interagir avec lui. Sa différence, je ne l’ai comprise que lors du rendez-vous médical dont je parlais. Mettre des mots sur sa situation m’a permis de mieux le connaître. Il n’est pas totalement responsable des changements en lui. Mon père est bipolaire. Il n’est pas qu’un. Il est pluriel.

Et moi dans tout ça ? Ma mère a pensé que je l’étais aussi. Et même si le médecin a réfuté cette idée, elle tourne en boucle dans ma tête. Et s’il s’était trompé ? Une chose est sûre : je me sens aussi plurielle que mon père. Parfois je me sens prête à conquérir le monde, parfois je suis déprimée. Alors, dépression et phase maniaque ou simples changements d’humeur ? Je ne sais (toujours) pas.

Maëlys, 22 ans, volontaire en service civique, Villeurbanne

 

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