Un Ticket pour changer de regard sur la jeunesse
Peu épanouie dans mon quotidien de jeune salariée et ennuyée par une routine parisienne plutôt grise, je cherchais de quoi occuper mes soirées. Par un heureux hasard et entraînée par une amie, j’ai alors atterri un soir du mois de février à la MOOM, ou Mooc Room, une réunion informelle de quelques Parisiens qui souhaitaient suivre ensemble le MOOC (Massive Open Online Course) Devenir entrepreneur du changement, un cours en ligne gratuit de sept semaines proposé par Ticket for Change et HEC Paris. Face à cette sémantique complexe très « Business school », j’étais assez sceptique, ne sachant pas bien où je mettais les pieds. Finalement, comme les gens étaient sympa et les échanges intéressants, j’ai décidé de revenir la semaine suivante. Puis toutes celles qui ont suivi. Dès lors, je me suis mise à m’intéresser plus sérieusement au projet de Ticket for Change, une start-up sociale qui, à partir d’un voyage-déclic, a pour finalité d’aider les jeunes à monter des projets d’entrepreneuriat pour tenter de résoudre les problèmes du XXIe siècle. C’était ambitieux, mais louable. Et terriblement attirant !
Une envie irrésistible de faire bouger les lignes
Il n’aura ensuite suffi que de quelques mails et d’un bref coup de fil pour que j’embarque en tant que bénévole pour le tour Ticket for Change 2015, un périple de « 12 jours pour changer sa vie, et le reste de sa vie pour changer celle des autres ». Vaste programme ! Et pour ce faire, les participants rassemblés dans trois bus ont parcouru plus de 2 500 km pour explorer la France, mais aussi explorer leur histoire, s’interroger sur leurs choix, comprendre leurs aspirations. Ils sont allés à la rencontre des autres (chefs d’entreprises, entrepreneurs sociaux, potentiels bénéficiaires…), mais aussi d’eux-mêmes, pour ensuite se mettre en mouvement et proposer des projets impactants. À l’issu du tour, Yassine lancera par exemple Humans Relais, une application pour créer du lien entre les personnes avec et sans abris, Florine et Justine, un système de virements différés permettant le financement de projets de solidarité, Iris, une agence d’innovation pour la santé à travers une approche de design thinking…
Ces 58 participants et la vingtaine de membres du staff, je les ai donc accompagnés, mais aussi observés depuis ce statut un peu hybride de bénévole. Pendant 12 jours, j’ai alors eu sous les yeux un étrange et fascinant écosystème. Non, Ticket for Change ce n’est pas une colo pour jeunes privilégiés sortis d’Ecole de commerce – comme on pourrait avoir tendance à le penser -, mais le condensé d’une jeunesse plurielle qui a envie de se bouger et de faire bouger les lignes. Ticket for Change rassemble de façon inédite des individualités disparates. Si les participants se distinguent par leurs âges, leurs origines, leurs parcours, ils partagent, non forcément une révolte, mais tout au moins une insatisfaction profonde de l’état actuel des choses. À partir de là, ils ne souhaitent pas se complaire dans la critique passive et infructueuse, mais ont leur mot à dire sur la société qu’ils ont envie de voir advenir. Ils ne veulent pas « sauver » le monde, mais souhaitent au moins tenter de le changer. Ils aspirent à plus de solidarité et plus d’égalité. Ils cherchent à établir des compromis entre économie et écologie tout comme allier utilité sociale et rentabilité économique. Beaucoup remettent en cause le salariat et ne souhaitent pas rejoindre les grandes entreprises. Pour eux, le travail se doit aussi d’être un espace d’épanouissement personnel, un mode de réalisation et d’expression de soi. Ils cherchent à y injecter du sens, lui trouver une finalité qui dépasse sa fonction instrumentale et matérielle. Pour autant, ils restent bosseurs, cumulant parfois études, jobs alimentaires et engagement citoyen. Ils sont aussi pris de doutes, certains encore peu expérimentés ou trop naïfs, pleins de fragilités et d’imperfections. Mais ils sont finalement une grande bouffée d’humanité et d’espoir et ont permis de réajuster mon regard sur la jeunesse de mon pays.
« N’ayez pas peur d’essayer, car au pire ça marche »
J’étais effectivement partie vivre en Amérique latine où j’avais découvert une jeunesse engagée regardant le futur avec avidité et enthousiasme. Je l’avais vu débattre dans les salles de classe de l’université, je l’avais entendu parler avec véhémence de politique, d’éducation, de féminisme, de réchauffement climatique, je l’avais accompagnée manifester dans les rues de São Paulo, de Buenos Aires et de Montevideo. L’effervescence de cette jeunesse latino-américaine me renvoyait sans cesse à la jeunesse française à laquelle je n’avais pas beaucoup envie d’appartenir.
Comme mes parents, j’avais choisi de m’expatrier et je regardais mon pays avec ce regard critique, parfois méprisant, de celui qui est loin. Je parlais alors de cette jeunesse française avec ces mots que je n’avais cessé d’entendre : « résignée », « désengagée », « désabusée ». Je la trouvais pessimiste quant à son avenir, je critiquais son activisme sporadique et déplorais son absence de sens civique.
En participant à Ticket for Change, j’ai finalement découvert une jeunesse bien différente de celle que décrivait et décriait ce discours médiatique et politique que j’avais fini moi-même par m’approprier. Certes, la jeunesse française reste traversée par des fractures sociales, culturelles et territoriales et les aspirations et les perspectives des jeunes divergent. Mais Ticket for Change permet de révéler le potentiel d’une jeunesse dynamique qui a envie de participer à l’histoire du XXIe siècle en faisant le pari que chaque jeune, à son échelle et de 1001 façons, peut changer quelque chose. Ticket for Change, c’est finalement dire aux jeunes : « N’ayez pas peur d’essayer, car au pire ça marche. » Et Ticket for Change, ça marche.
Leonor G., 25 ans, Paris
Crédit photo Laetitia Striffling – Ticket for Change