Victime de pédocriminels, je pensais être une « mauvaise enfant »
Enfant, j’ai été victime d’agressions sexuelles. C’était un voisin, un ami de la famille, et un membre de la famille. La première fois que c’est arrivé, je jouais tranquillement avec ma copine lorsque, soudainement, son frère est venu m’enlever. Je criais de toutes mes forces pour qu’il me laisse tranquille, mais rien n’y a fait. Il m’a emmenée dans sa chambre, a fermé sa porte à clef, puis m’a fait des attouchements. Une fois rentrée chez moi, j’ai séché mes larmes et, bien évidemment, je n’ai pas jugé bon d’en parler à mes parents. J’avais peur que ma mère me hurle dessus en me disant que si je l’avais écoutée ça ne serait pas arrivé, qu’une enfant ne doit pas traîner dehors ou chez les gens toute seule.
La seconde fois, c’était avec mon cousin, de 17 ans à l’époque. J’avais à peine 7 ans. Je dormais paisiblement quand, tout à coup, j’ai senti une main se balader au niveau du bas de mon corps. J’étais tétanisée ! Je ne voulais pas non plus qu’il voie que j’étais réveillée. Mais j’ai fini par me lever brusquement et m’en aller pleurer dans les toilettes. Ma cousine qui dormait dans la pièce à côté, et qui naïvement m’avait laissée dormir avec notre cousin, s’est précipitée pour venir me voir. Je lui ai tout raconté en pleurant et elle m’a prise dans ses bras en essayant de me rassurer. Ensuite, je voulais juste une chose : rentrer chez moi. Le lendemain, je n’ai pas eu le courage d’en parler à mes parents.
Même si je n’avais que 7 ans, je savais pertinemment qu’en racontant les faits, cela créerait des embrouilles et que mon cousin aurait de graves problèmes. Ma cousine non plus n’a pas pris la peine d’en parler à mes parents, pourtant elle aurait dû car c’était elle l’adulte, et j’étais sous sa responsabilité.
Pourquoi est-ce-que ça m’arrive à moi ?
Je suis ensuite venue en France à 9 ans. Tout s’est bien passé jusqu’au lycée, où l’histoire s’est répétée. C’était un ami de longue date, enfin c’était ce que je croyais. Un jour, il m’a envoyé un message me disant qu’il passait dans les parages. Je lui ai dit que, oui, je le verrai avec plaisir. Il est passé me récupérer à ma pause déjeuner. Je suis montée dans sa voiture et j’ai vu qu’il était accompagné d’un ami.
Dans ma tête, nous allions nous poser pour manger ensemble. Mais j’ai vu qu’ils étaient stationnés dans un endroit très discret. Très vite, j’ai compris leur intention et leur ai fait comprendre que ça ne m’intéressait pas. Mais les deux hommes sont descendus de la voiture et m’ont rejointe sur les sièges arrière. Ils m’ont tous les deux agrippée et se sont mis à me tripoter. J’ai hurlé pour qu’ils me laissent tranquille, je me débattais. Voyant mon état, ils ont abandonné et ont fini par me laisser partir.
Je me pose toujours la question : pourquoi est-ce-que ça m’arrive à moi ? Clairement, je suis une cible pour les agresseurs, et je ne sais pas ce qui les interpelle chez moi. Tout au long de ma vie, je me suis dit que c’était peut-être de ma faute. D’où le fait qu’étant enfant, je n’osais pas en parler à ma mère ou mon père. Je gardais tout pour moi. J’avais aussi peur qu’on me juge, qu’on pense que j’étais une mauvaise enfant.
Un confident pour me décharger de ce poids
Cela m’a rongée pendant des années. Je me méfiais énormément des hommes tant j’étais traumatisée. Je les pensais tous mauvais et sans états d’âme. Puis, j’ai rencontré mon mari. Avec lui, je me suis sentie en confiance.
Il ne m’a jamais brusquée et n’a jamais eu de gestes déplacés à mon égard. J’ai donc pensé qu’il serait bien que je lui en parle afin de me décharger de ce poids, et surtout parce que j’avais besoin qu’on me dise que ce n’était pas de ma faute, qu’on me soutienne. Ce fut le cas. Il a été très compréhensif et en même temps en colère que j’avais pu subir toutes ces choses. Il a pris le temps de me consoler, de me rassurer, tout en ajoutant que rien de cela n’était de ma faute. Vous n’imaginez pas le soulagement que j’ai pu ressentir à ce moment précis. Sentir qu’on vous soutient et qu’on comprend votre douleur, c’est primordial.
« Je n’étais qu’une enfant »
Aujourd’hui, en tant que mère d’un petit garçon de 4 ans et d’une petite fille de 2 ans, j’aimerais les préserver au mieux et leur éviter de vivre ce que j’ai dû endurer durant mon enfance. Je ne doute pas de l’amour des mes parents mais je pense qu’ils ont manqué de vigilance vis-à-vis de moi quand j’étais petite, et ils n’ont pas instauré de dialogue entre nous.
Je m’efforcerai d’éduquer mon fils de la meilleure manière qui soit, pour qu’il apprenne à respecter les filles. La femme n’est pas un objet avec lequel on peut jouer et ensuite se débarrasser. On se doit donc de la respecter.
Un soir, en rentrant chez sa mère et son compagnon, Ingrid est tombée sur son beau-frère. Il l’a agressée jusqu’à ce qu’elle réussisse à s’enfuir. Mais comment et à qui en parler ?
J’ai pris beaucoup de recul et je me rends compte que j’aurais dû parler de toutes ces choses à mes parents, car ils auraient été compréhensifs, et surtout, ils ne m’auraient jamais jugée. Les personnes qui s’en sont prises à moi méritaient d’être punies pour leurs actes. En voyant ma petite fille, je n’arrive pas à comprendre comment de telles idées perverses peuvent traverser l’imagination d’un homme. Ce n’est qu’une enfant, et moi aussi, je n’étais qu’une enfant.
Selon moi, il est important d’apprendre à son enfant à faire le tri dans son entourage. Lui expliquer que tous les hommes ne sont pas des tontons, qu’on ne doit jamais aller chez un homme non accompagné, ou monter dans la voiture d’un inconnu. Leur faire savoir que, quoi qu’on leur fasse qui ne leur semble pas normal, ils se doivent de nous en parler et que nous, les parents, les croirons, car nous sommes là pour les protéger.
Kataléa, 24 ans, en formation, Montreuil
Crédit photo Pexels // CC William Santos
Les chiffres de la pédocriminalité
Au moins 10 % des enfants en sont victimes
Le nombre d’enfants victimes de pédocriminalité est sous-estimé parce qu’une grosse partie des agressions ne sont pas signalées. En France, on estime qu’au moins un·e enfant sur dix a connu une situation d’abus, soit environ trois enfants par classe de primaire.
Le cercle familial est le premier lieu de prédation
Plus de la moitié des agressions sexuelles et viols sur des enfants sont commis par un membre de la famille, soit 4 % des Français·es. Du coup, environ un quart des victimes de pédocriminalité croisent régulièrement leur agresseur à l’âge adulte.
Un quart des victimes subissent plusieurs abus
Déjà fragilisé·e·s par les précédentes agressions, environ 30 % des victimes de pédocriminalité ont connu une ou plusieurs autres situations d’abus, soit durant l’enfance, soit une fois adulte.
Quelques ressources pour prolonger sur le sujet :
Un podcast à soi, « Inceste et pédocriminalité : la loi du silence » (podcast Arte Radio)
Ou peut-être une nuit (podcast Louie Media)
Transfert, « Défendre l’indéfendable » (podcast Slate)
Juger l’inceste (podcast France Culture)
Le consentement, Vanessa Springora (livre)
Outrages, Tal Piterbraut-Merx (livre)
« Laurène, devenir mère après l’inceste » (podcast Bliss.stories)
Médiapart : Adèle Haenel explique pourquoi elle sort du silence (interview)