Aria N. 22/10/2021

Violences conjugales : j’ai brisé son emprise

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Après un début de relation idyllique, Aria se retrouve sous l'emprise de son ex-compagnon. Coups, culpabilisation, insultes... L'engrenage s'installe.

Trois mois après notre rencontre, j’habite avec lui. Nous déménageons près de sa famille. J’apprends que je suis enceinte, ce n’était pas prévu. Je suis complètement perdue, je ne sais pas quoi faire. Il n’y a que lui qui est au courant et il est très content. Il me dit qu’on aura une belle vie, il me vend un avenir qui me fait rêver.

Mais ma grossesse est une horreur. Je n’ose pas le dire à ma famille, à personne. Rien ne va, je me sens seule, il me rabaisse systématiquement, ça empire. Des coups, des coups, des coups sur le visage jusqu’à en louper un rendez-vous de mon suivi de grossesse. J’ai un sentiment inexplicable qui me dit qu’à la naissance du bébé, il va changer. Ce n’est pas une mauvaise personne, il a juste galéré dans sa vie. Tout va s’arranger.

13 mars 2018, mon bébé pointe le bout de son nez, prématurément. Nous sommes restés quinze jours à l’hôpital. Je me sens seule, très seule, aucun soutien de sa part, au contraire.

Je n’ai plus de compte bancaire, il gère tout

De retour chez nous, je ne vis que pour mon fils. Il ne s’en occupe pas, m’enferme à la maison pendant qu’il sort. Il trouve toujours le moyen de m’embrouiller alors que je ne fais rien. Les mois passent. Violences physique, psychologique et financière. Des coups pour un oui et pour un non. Je n’ai plus de compte bancaire, il perçoit tout notre argent, je n’ai accès à rien. Même pour acheter mes vêtements ou ceux du petit, c’est lui qui gère tout.

Le plus dur, c’est dans la tête. Il me descend tout le temps, je me sens perdue. Je n’ai que lui et ne peux parler qu’à lui. Malgré la misère qu’il me fait, je suis impatiente qu’il rentre, d’avoir un contact humain, je deviens folle à regarder la télé H24. Mais lui ne me prête aucune attention. Ni à moi, ni à notre fils. Même quand je prends ma douche ou que je suis occupée dix minutes, il n’y a aucune réaction quand notre fils pleure, à part : « DÉPÊCHE-TOI, TON FILS A BESOIN DE TOI. » Mon fils est ma force, ma motivation, ma vie.

On croit qu’on ne peut pas vivre sans lui

À force, les coups, je ne les sens plus. Le plus dur, c’est de se faire descendre systématiquement : « Tu ne sais pas t’occuper du petit, tu ne sers à rien » ; « T’es moche, regarde-toi, tu ne ressembles à rien. » Le temps passe encore et encore. Je me regarde dans le miroir, je ne m’aime plus. Il a « raison ». J’ai tellement perdu de poids. Je ne me reconnais plus. Je ne sors pas, je ne connais personne, je n’ai pas de téléphone. Il me le casse à chaque fois.

Les violences conjugales peuvent s’accentuer lorsque les victimes tombent enceintes. C’est ce qui est arrivé à Emilie, qui témoigne pour Period.

 

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Je n’ai plus de vie à part mon fils, mon oxygène. Sans lui, je ne sais pas où je serai. Je m’isole tellement que, même quand j’ai l’occasion de « sortir » faire une course, c’est très dur pour moi, comme une épreuve. J’ai l’impression qu’on me regarde, me juge. Les choses simples de la vie sont devenues une épreuve. C’est difficile.

À plein de moments, je me dis : « Faut que je me barre de là avec mon fils. » Mais c’est dur quand on te fait passer tout le temps pour une moins que rien. À la fin, on croit qu’on ne peut pas vivre sans lui. Ma famille me manque. Dès que je peux, j’envoie un petit message. Eux s’inquiètent mais ne peuvent rien faire. Ma sœur n’est pas dupe et sait ce qu’il se passe, elle contacte la gendarmerie. Votre sœur est « majeure et vaccinée », voilà ce qu’ils lui répondent.

J’ai toujours nié les faits, j’ai voulu le protéger. Pourquoi ? J’avais peur, de me séparer de lui, qu’il prenne mon fils, qu’il fasse du mal à ma famille.

Une rencontre par hasard, à l’arrêt de bus

Le 10 mars 2017, j’étais une jeune fille de 20 ans comme les autres. Je n’avais pas forcément confiance en moi, mais j’avançais malgré tout. J’étais dans une ville où je n’avais pas ma famille, et très peu d’amis. Super contente d’intégrer la formation secrétaire-comptable que j’attendais depuis sept mois, j’ai rencontré ce jeune homme par hasard, en attendant mon bus. Je lui ai donné mon numéro et de là, tout a commencé.

C’était tellement beau, on était très fusionnels. Énormément de textos, on se voyait tous les jours, on ne se lâchait plus ! Je suis restée longtemps dans cette « bulle », c’était magique. Les jours passaient, j’oubliais un peu le reste autour de moi. Il était trop présent pour moi, mais ça me faisait ressentir que j’étais une personne qu’il aimait vraiment. À partir de là, les choses se sont dégradées. Un jour, nous nous promenions en ville, un jeune homme jouait de la guitare, je l’ai regardé pour contempler sa musique. « Sale pute, tu n’as pas honte de mater des gars à côté de moi !? » Je lui ai répondu : « Pardon ? Je ne comprends pas. » La jalousie était très présente. Jusqu’à en lâcher ma formation. À chaque pause, il me téléphonait, me harcelait. Je n’avais plus la tête à réviser, je me sentais exclue, je n’avais pas le temps de créer des liens avec les autres stagiaires, j’ai abandonné.

Les insultes étaient très présentes, pour rien. Je ne pouvais pas mettre de robes, ni même de maillots de bain en plein été à la plage : je devais mettre des tee-shirts longs pour qu’on ne voit pas mon corps. J’étais à lui, et malheur à celui qui pose un regard sur moi, ou vice versa, sans intention particulière. Il me posait des questions : pourquoi je ne réponds pas à la seconde près aux appels, aux messages ? Puis, le premier coup est arrivé. Pourquoi ? Car je connaissais son cousin, un ami à moi. Pour lui, c’était une honte que j’ai pu le côtoyer avant qu’on se connaisse, il avait « honte » de moi.

De là, j’aurais dû partir, mais seules celles qui ont vécu ça peuvent comprendre pourquoi je suis restée.

Je prends le numéro de mes proches, on se casse !

Un jour, nous sommes à la maison, il m’embrouille. Je joue avec mon fils dans la chambre, je décide de le mettre dans son lit. Le ton hausse, il s’approche de moi. Avant qu’il me touche, mon fils hurle. Il sait ce qui va se passer. Son cri, son visage de peur sont restés gravés dans ma tête. Petit bout de quelques mois, tu ne dois pas voir ça. Ce n’est plus possible, il faut que ça s’arrête.

Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, voici les numéros à contacter. Vous pouvez également faire un signalement en ligne à cette adresse : arretonslesviolences.gouv.fr

Si vous êtes victime de violences conjugales, des liens et des numéros utiles. https://arretonslesviolences.gouv.fr/ pour un signalement en ligne, le 3919 par téléphone pour obtenir de l’aide et être orientée, et en cas d’urgence, le 17 par téléphone et le 114 par SMS.

Un jour, il doit sortir et rentrer en fin de journée. Arrive la soirée, aucune nouvelle de lui. Je ne ferme pas l’œil de la nuit. Pas parce que je n’ai plus de nouvelles, ce n’est pas la première fois. Il part pour une heure mais rentre deux jours après, sans même me laisser un peu d’argent ou de quoi satisfaire nos besoins. Cette nuit-là, je cogite, tourne en rond. Je n’en peux plus de cette vie. Mon fils, que va-t-il devenir en restant avec un monstre comme lui ?

Le jour commence à se lever. Allez stop, je prends une valise, y mets le maximum de vêtements. Je prends mon carnet avec le numéro de mes proches, on se casse ! En deux-deux, j’habille mon fils, nous filons à la gare. Je me permets de taxer un téléphone pour contacter mon papa, il me dit de venir sans hésitation.

Vivre dans la peur, c’est fini

Quelques jours après, j’apprends que monsieur est incarcéré. Je ne ressens rien : ni haine, ni peine, ni joie. J’ai l’impression d’avoir été vidée de mon âme. Heureusement qu’à présent, je suis entourée de personnes qui m’aident et qui m’aiment.

Je me reconstruis par étape. Je porte plainte contre lui, je saisis le juge pour la garde de mon fils. J’obtiens la garde exclusive, et lui n’a plus aucun droit. Gros soulagement. Je vivais dans la peur car monsieur n’est pas resté longtemps incarcéré. Il avait une permission mais ne s’est pas représenté. Je n’osais pas sortir librement, peur qu’il sache, lui et ses proches, où j’habite, peur qu’il me prenne mon fils. Il est dehors, mais où ? Personne ne le sait.

Depuis la décision du juge, je peux penser à nous, à moi. Plus de cris, de pleurs. Mon fils est épanoui et je m’en voudrais toujours de ne pas avoir pris cette décision avant. Mon fils a subi cet isolement avec moi, il a vu des images que jamais il n’aurait dû voir et je m’en veux terriblement.

J’aime enfin la femme que je suis

Un an et demi après, je revis ! Au début, j’espérais redevenir la personne que j’étais avant, mais non, ce n’est pas possible. Cela m’a pris du temps de vivre à peu près « normalement ». Le contact avec les autres est toujours compliqué par contre, je ne compte que sur moi et je n’ai confiance en personne. Je ne pense pas que de sitôt j’aurais une autre relation avec un homme. Mais j’ai appris à vivre heureuse seule, je suis indépendante et j’aime ma vie !

Aujourd’hui, je suis une femme heureuse. Heureuse de me réveiller chaque matin, de câliner mon fils, de le voir sourire. J’aime ouvrir mes volets et me faire éblouir par le soleil. Préparer le petit-déjeuner tout en rigolant avec mon fils. J’aime me regarder dans ma glace en essayant diverses tenues pour la journée, me mettre en valeur avec un petit peu de maquillage. Les choses simples de la vie sont les plus belles.

J’aime enfin la femme que je suis devenue et que je suis ! Je me suis redécouverte, je sais de quoi je suis capable, je sais ce que j’aime ou pas. Il m’en a fallu du temps pour y arriver.

Les violences conjugales entre personnes du même genre sont moins médiatisées que celles qui surviennent dans un couple hétérosexuel. Laureen en a été victime.

Sur un fond noir, on distingue deux silhouettes identiques de femmes, dos à dos. Elles portent une queue de cheval, on ne distingue pas leurs visages.

Ceux qui n’ont pas vécu ça ont peut-être du mal à comprendre pourquoi je suis restée aussi longtemps avec cet individu. Il m’a complètement lavé le cerveau, cela devient vite un cercle vicieux. J’étais isolée, coupée de la réalité, avec une grosse pression psychologique. J’étais une « grosse merde ». J’ai fini par croire les choses qu’il disait de moi, que je n’y arriverais pas sans lui. 

J’ai de la chance d’avoir de la famille présente pour moi quoi qu’il arrive, mais beaucoup ne l’ont pas. Il faut en parler là où on peut. Chez le docteur, même au supermarché discrètement. Aujourd’hui, beaucoup d’associations sont présentes, vous serez protégée et aidée. N’ayez plus peur, agissez avant qu’il ne soit trop tard !

Aria, 24 ans, en formation, Nouvelle-Aquitaine

Crédit photo Unsplash // CC Nathan Dumlao

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1 réaction

  1. Bravo pour ce témoignage qui m’a fait pleurer bien que je connaissais ton histoire. J’imaginais le calvaire que tu subissais et je regrettais tant que tu sois partie vivre si loin. Je ne pouvais t’aider, je me sentais impuissante. Tes silences me faisaient mal. J’avais peur pour toi et ton bébé. Aujourd’hui, tu revis avec ton fils. L’amour est plus fort que tout. Je t’admire ma chérie.

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