Ilyes O. 07/07/2022

Inceste : « Si tu ne fais pas ce que je veux… »

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Ilyes a subi les viols de son beau-père pendant trois ans. Il n’a jamais rien dit à sa mère et a tout fait pour s'en sortir, seul.

Ça a commencé quand j’avais 10 ans. Alors que j’étais encore dans l’insouciance, que je pensais que les adultes étaient là pour nous protéger, je me suis fait violer par mon beau-père.

Tout a commencé un jour où j’étais seul avec lui, par des allusions sexuelles, des choses que je ne comprenais pas trop et que je n’avais pas envie de comprendre. Je savais que ce n’était pas de mon âge, et surtout que c’était malsain qu’un adulte aborde ce sujet avec moi, un enfant de 10 ans.

La première fois

Après m’avoir parlé de sexualité, il s’est mis nu, et m’a demandé de lui faire une fellation. J’ai refusé à plusieurs reprises. Après m’avoir dit que c’était normal, que c’était un jeu d’adulte, il m’a menacé en disant  : «  Si tu fais pas ce que je veux, je dirais à ta mère que c’est toi qui m’a proposé  ! Et tu sais très bien qu’elle doutera  !  » Ma mère lui avait pardonné beaucoup de choses avant ça, alors j’ai eu tellement peur que je n’ai pas eu d’autre choix. J’ai fait ce qu’il me demandait.

Au fond de moi, la plus grande peur que j’avais, c’était que ma mère puisse s’en douter, ne serait-ce qu’une seconde. Car, si ça avait été le cas, je ne m’en serais pas remis et j’aurais quitté la maison, sans savoir où aller. Je n’étais qu’un enfant, alors il savait comment me faire peur. Pendant des mois, c’étaient des réveils en pleine nuit pour me violer avec toujours cette phrase  : «  Si tu ne fais pas ce que je dis, je dirai à ta mère que c’est toi qui m’a demandé. »

Subir et encore subir

Un jour, j’ai dit non. Dans ma tête, je me disais que dans tous les cas j’étais un enfant et que quoi qu’il arrive, si ma mère le savait, c’est lui qui aurait des problèmes. Lorsque je lui ai dit ça pour ne plus me faire violer, il m’a menacé autrement. «  Si tu balances à ta mère et qu’elle porte plainte, je dirai que tout s’est passé sous son toit et qu’elle était au courant. Comme ça, ils te mettront à la DDASS. » Alors là, pour moi, il n’y avait plus d’issue. J’étais obligé de subir, et encore subir.

Au bout de trois ans, j’ai réalisé que je pouvais avoir le dernier mot car si cela se savait, au niveau judiciaire, c’est lui qui prendrait le plus. Il irait en prison, il serait affiché aux yeux de tous. Un jour où il allait recommencer, je me suis rebellé et lui ai dit non. Bien sûr, il m’a menacé mais je lui ai dit clairement qu’il aurait des problèmes avec la justice. J’ai eu peur qu’il aille voir ma mère pour lui raconter des mensonges. Mais, au fond, je savais qu’il ne le ferait pas et que c’était le seul moyen pour qu’il arrête  : le menacer à mon tour.

Il engrenait ma mère

Suite à ça, il a arrêté. Mais ça a commencé à faire des problèmes entre ma mère et moi. Il essayait de faire en sorte qu’elle me vire de chez elle. Et, pour ça, il lui mettait dans la tête que je fréquentais des gens mauvais, qu’à l’école je faisais que des conneries. Alors que c’était en grande partie à cause de ce que je vivais, par sa faute.

À l’école, les professeurs me rabaissaient constamment et n’ont jamais cherché à comprendre pourquoi je n’étais pas un bon élève. Il disait à ma mère que me mettre à la porte me permettrait de grandir. Il est allé voir la mère d’une amie à moi, que ma mère connaissait, pour me rabaisser et m’insulter. Celle-ci est venue voir ma mère pour lui raconter. Mais elle est restée avec mon beau-père malgré ça, et tout le reste.

Au fond de moi, je lui en voulais de ne pas avoir quitté cet homme. Car, même si elle n’était pas au courant des viols, elle voyait qu’il me rabaissait tout le temps. Vu qu’elle était engrainée par lui, on s’embrouillait tous les jours.

Sortir pour m’échapper

Je sortais régulièrement pour ne plus rentrer chez moi. C’était le seul moment où je me sentais bien et où je pouvais me canaliser pour ne pas partir en vrille. Je pensais à faire plein de bêtises pour faire de l’argent, et partir de chez moi définitivement.

Grâce à mon entourage, je sortais et voyais la vie d’une autre manière à travers les épreuves des autres. J’allais même en boîte, alors que j’étais mineur. Oui, j’ai pu me faire des amis de milieux différents mais j’ai quand même réussi à faire la part des choses entre le bien et le mal. Comme, par exemple, ne pas prendre de drogues dures comme la cocaïne, alors qu’elle était servie parfois sur un plateau.

Entre-temps, je suis entré au lycée. J’avais des bonnes notes mais j’y allais très rarement. Suite à mes absences répétitives, je suis passé en conseil de discipline. Heureusement, j’avais un CPE en or qui, lui, m’a vraiment pris à part. Il voyait qu’au fond j’avais un mal-être. Il parlait beaucoup avec moi, j’étais vraiment son élève préféré, on discutait de tout. Contrairement à toutes les personnes représentantes de l’Éducation nationale, je lui faisais confiance.

Mieux que le psy, les amis

Alors, un jour où je me suis rendu dans son bureau pour justifier encore une de mes nombreuses absences, il m’a demandé si j’allais bien.

Je lui ai raconté ce que j’avais vécu avec mon beau-père, les viols, et la relation avec ma mère qui était extrêmement tendue. Il m’a conseillé de voir un psychologue, qu’il m’a trouvé. Il m’a dit que cela pouvait me faire du bien. Par rapport au lycée, il m’a dit qu’ils ne me renverraient pas à cause de mes absences. Lui, il avait déjà empêché à plusieurs reprises mon renvoi.

J’ai été voir le psy pendant presque un an. Au début, cela m’a fait du bien et m’a permis de comprendre beaucoup de choses, de me rendre compte aussi de la gravité des faits. Car je dis toujours, et encore aujourd’hui, qu’il y a pire que soi et qu’il faut avoir du mental pour se sortir de certains problèmes. Parce que c’est soit ça, soit sombrer.

Mais, au bout de plusieurs séances, j’en avais marre de raconter et parler de mes problèmes. J’avais l’impression que cela faisait tout remonter. En fait, ce qui m’a aidé, plus que le psy, ça a été de sortir et beaucoup réfléchir. Je sortais avec des personnes plus âgées que moi, qui avaient elles aussi vécu des drames. Alors je me sentais compris, et on avançait.

Je n’ai qu’un seul regret

Ma mère a quitté cet homme et ça a commencé à s’arranger au niveau de notre relation mère-fils. Même si aujourd’hui ça nous arrive de nous disputer de temps en temps, ce n’est pas grave. Mon seul regret dans cette histoire, c’est de ne pas lui en avoir parlé dès le début car je me dis que, peut-être, on aurait pu éviter tout ça. Peut-être que j’aurais été plus loin dans mes études et, surtout, elle m’aurait compris. Aujourd’hui, je ne lui ai toujours pas dit et ne lui dirai jamais, car cela lui ferait beaucoup de mal pour rien.

Violée par son beau-père alors qu’elle était adolescente, Emma appréhende la sortie de prison de son agresseur.

Capture d'écran d'un autre article de la ZEP, on voit un grillage, une femme s'accroche à se grillage avec ses mains. L'image est en noir et blanc.

Moi, j’ai avancé dans ma vie, j’ai appris à me relever. Je n’ai plus cette sensation de solitude que j’ai eue lorsque j’étais seul au moment de vivre les faits. Ça m’a endurci et rendu mature très très tôt. En parler à ma mère ne servirait à rien aujourd’hui. Pour moi, aujourd’hui, tout est derrière moi. J’ai vraiment une sensation de liberté, même si j’ai toujours été libre, en soi.

Ilyes, 21 ans, en formation, Paris

Crédit photo Pexels // CC cottonbro

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