Attiré par ce mec, et par sa popularité
J’ai appris son existence deux à trois semaines après le début de ma formation. C’est dire à quel point j’avais peur de regarder et d’approcher qui que ce soit. Mais au moment où il est passé au tableau, j’ai su que je n’allais jamais l’oublier. De cet « amour » naissant, j’ai construit mon idéal de vie sociale. J’aspirais à être aussi populaire que ce mec, aller en soirée ou, dans une moindre mesure, déjeuner avec plus d’une personne, discuter, plaisanter…
C’est comme si je rêvais de changer de catégorie sociale : quitter celle des geeks qui détestent le sport, et entrer dans celle des mecs sportifs, populaires et un peu antisystèmes, mais qui restent conformes au patriarcat.
Parler de foot… très peu pour moi
Jusqu’alors, mes seules rencontres avaient été un groupe de filles. Comme moi, elles venaient très tôt dans la salle par peur d’arriver en retard. Malheureusement, je me suis retrouvé un peu à devenir leur « mec de compagnie », sans centre d’intérêt partagé avec elles, et avec des références que je n’avais pas… Par chance, je passais aussi mon temps avec une camarade qui m’avait approché dès le premier jour.
Quid des mecs ? Étrangement, je n’essayais même pas d’écouter leurs conversations. Les rares phrases que j’avais eu l’audace d’écouter concernaient le football : ce sport où les buts sont tellement rares qu’il faut les célébrer pendant au moins une bonne minute trente, en glissant dans l’herbe et en s’enlaçant entre coéquipiers. Parler de foot quand on ne regarde que les Euros et les Coupes du monde à partir des demi-finales… très peu pour moi.
Soirées jeux, tennis et odeur de shampoing
Déjà en primaire, je faisais partie des seuls enfants à ne pas jouer avec les autres, et notamment au football, ce qui me mettait à l’écart. Plus tard, au collège, j’ai acquis des centres d’intérêt avec les personnes que j’ai rencontrées, comme les jeux de cartes ou les jeux vidéo. Je me rappelle avoir installé League of Legends pour pouvoir fréquenter un groupe de personnes et jouer avec eux.
Les sessions de jeux en soirée, après le cours de tennis, avec l’odeur du shampoing qui embaumait la chambre a constitué un de mes meilleurs rituels. Mais, une fois à la fac, je ne voulais plus ressembler à ces personnes.
Au fond, je préférais ressembler à quelqu’un de plus masculin, au sens de plus mature, viril, qui a compris que les jeux vidéo étaient réservés aux mineurs et aux adultes ratés quand leur consommation devient excessive.
Je ne voulais passer du temps qu’avec ce mec
Pour visualiser le personnage top tier, « mec populaire », imaginez : le mec qui attire l’attention en arrivant en retard, que le professeur prend la peine de saluer au milieu de tout le monde, qui tire sa révérence en classe à peine expulsé d’un cours, mais qui inspire la confiance rien que par sa présence et son profil athlétique. Enfin, la conformité au patriarcat implique l’hétérosexualité…
Ajoutez un peu d’humour, une pincée de condescendance et un soupçon de machisme, et vous avez le portrait psychologique craché de ce mec (n’oubliez pas que je ne suis pas complètement objectif). La question à un million qui brûle les lèvres : pourquoi cela m’attire ? Parce que le côté tête brûlée, c’est une forme de preuve que la personne sait lâcher prise.
Au début, je ne voulais passer du temps qu’avec lui, au milieu des siens tout de même, et profiter de ces moments pour l’admirer. Oui, je crois que vous avez bien deviné : vous avez devant vous le cliché du mec de la première catégorie (geek) qui tombe amoureux d’un mec de la seconde (populaire).
Un mail à son adresse de l’université
Vous vous doutez bien que, quand on pense tomber amoureux, surtout dans mon cas, on a peur d’en parler. D’autant plus quand il s’agit d’une personne avec laquelle on a eu, pour seule interaction, un TP dans une salle d’informatique. Ma psychologue m’avait conseillé de trouver un moment où je me sentais à l’aise. La démarche choisie a été d’utiliser son adresse mail de l’université. Oui oui, nous étions bien en 2017 et j’ai écrit un mail dans une boîte mail scolaire. Avec du recul, j’aurais sûrement été plus fixé si je l’avais trouvé sur Instagram, mais je n’avais pas de compte à l’époque. Je n’étais même pas sur Facebook !
Les deux semaines qui ont suivi l’envoi du mail ont été placées sous le signe de la « folie ». Je vivais pour la première fois les cours magistraux en amphi et mon seul objectif était de percevoir une réaction de sa part, dans la salle relativement bruyante. Me plaçant souvent dans les premiers rangs, je ne le voyais jamais, mais je croyais toujours l’entendre. Je lui faisais dire à lui et ses camarades tant de choses, alors qu’il n’était quelquefois même pas dans la salle !
Je me suis fait un film
La seule réponse à mon mail qu’il avait fournie avait juste été une remarque comme quoi il n’avait pas compris l’objet du mail. Sauf que je me suis fait un film, j’ai pensé d’un coup que tout était possible, alors je lui ai proposé de le voir dans l’endroit le plus romantique qui soit… la cafétéria d’à côté de l’ascenseur. Toujours par mail bien sûr. Envoyer des mails était devenu un rituel. Il aura fallu que je fasse l’hypothèse dans l’un d’entre eux que je l’intéressais (alors que je n’avais littéralement aucune preuve que ça soit le cas) pour qu’il me réponde qu’il n’était ni intéressé, ni homosexuel.
Je suis entré dans un déni profond que j’ai mis du temps à démonter. Il commençait à en avoir marre de mes propositions d’entretiens privés par mail. J’ai osé l’approcher à la fin d’un cours en amphi, et il a accepté de parler avec moi. Il m’a dit qu’il n’était pas du tout au courant et que j’avais écrit beaucoup d’énormités. Je ne risque plus de le contredire aujourd’hui.
Je pense beaucoup moins à lui
Mon objectif a ensuite été d’essayer d’être son ami. Il ne me l’a jamais proposé. Je continuais de lui envoyer des mails, de temps en temps. Je n’avais plus qu’une crainte, c’est qu’il ait diffusé l’information de telle sorte que toute la fac connaisse ma sexualité. Il m’avait avoué, dans un mail, en avoir parlé à son entourage car il peinait à gérer la situation tout seul.
Dans les années qui ont suivi, je me suis isolé des autres au point de me cacher dans les toilettes du rez-de-chaussée pendant les pauses déjeuner, où j’écoutais discrètement les conversations des gens. Je fuyais les cours de langue, marchais le regard très bas, me sentais mal au moindre éclat de rire. Mais, à chaque fois que je le croisais, je rêvais qu’il vienne me parler. D’autant plus qu’il a été patient, et qu’il m’a envoyé des messages encourageants une semaine avant les examens pour que je me sente mieux.
Puis, le Covid est arrivé. Les cours étaient à distance pendant le deuxième trimestre de la L3 et là, plus possibilité de le croiser. Je ne le verrais plus jamais, même en coup de vent. Aujourd’hui, je pense beaucoup moins à lui. Parce que je suis moins seul. Et que je soigne ma dépression. Et n’oublions pas le temps qui passe.
Aurélien, 23 ans, Essonne