Juliana H. 25/09/2023

Ce jour-là, je suis allée en parler

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Agressée sexuellement au lycée, Juliana croyait que c’était de sa faute. C’était ce que ses camarades lui disaient. Un jour, elle en parle à une prof, qui l’écoute vraiment.

Il y a un an, j’ai vécu une agression sexuelle dans mon lycée. J’étais nouvelle et je me suis vite intégrée dans un groupe d’amis garçons. Au début, on rigolait, on parlait, on faisait même les devoirs ensemble. En particulier avec un des garçons. Pour les travaux de groupe, on se mettait souvent ensemble, voire toujours…

Un jour, ses amis m’ont dit qu’il était amoureux. J’ai fini par comprendre que c’était de moi. J’ai refusé car j’avais déjà un copain. Au début, il n’a pas insisté. Puis, il a commencé à me complimenter et à me faire des demandes bizarres, comme de coucher avec lui et de l’embrasser. Il y a eu des attouchements, il me caressait la jambe en cours. J’ai vite compris que c’était étrange, et qu’entre amis, ça ne se faisait pas. Mon copain me disait de faire attention, mais je le rassurais en disant que c’était un bon ami. C’était ma première belle amitié et je voulais tellement y croire. Je me disais : « C’est rien de grave. » J’étais très naïve.

Dick pic et harcèlement

Un jour, il m’a tiré le bras pour me forcer à aller dans un coin pour coucher ensemble. J’ai refusé plusieurs fois, mais il forçait toujours, donc un ami à moi lui a dit de me laisser tranquille. Il a fini par lâcher. Sur Snap, il m’a envoyé une photo de lui torse nu. Il m’a même montré une photo de son pénis en plein cours. Il m’a ensuite demandé de lui envoyer des photos de mes parties intimes. Au début, je ne voulais pas, mais pour notre amitié, j’ai fini par céder.

Un autre jour, on avait des heures de perm donc des camarades ont lancé un jeu, le fameux « action ou vérité ». Mon tour est arrivé et ils m’ont dit de m’asseoir sur ce garçon pendant deux tours. Puis on m’a dit quatre, puis jusqu’à la fin. Un de ses amis nous a pris en photo et l’a partagée à toute la classe. Des filles sont parties le montrer à mon copain. Il était très énervé, mais a fini par me croire.

Un autre jour encore, il m’a demandé de l’embrasser. Il m’a dit de le suivre dans les couloirs et de le faire. Je suis partie, et je suis revenue l’embrasser d’un coup. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je n’ai pas pu me contrôler mais je savais au fond de moi que j’avais vraiment fait une connerie. Je lui ai dit de n’en parler à personne.

Toute la classe contre moi

Toute la classe l’a su et mon copain aussi. Il était vraiment énervé et a voulu mettre fin à notre relation. Bien sûr, je l’ai supplié. Il lui a fallu du temps pour s’en remettre et me pardonner. Aujourd’hui, il a toujours des séquelles à cause de cette tromperie.

« Tromperie », c’était le terme utilisé par mes camarades et mon copain, alors moi aussi j’ai pensé que c’était ça. Alors que je ne voulais pas, que j’avais été manipulé mentalement. J’ai tendance à croire facilement ce que disent les autres, à me focaliser sur ce qu’ils disent et à me dire : « Ah ok ils sont plusieurs à dire ça de moi, donc ils ont raison. » 

Eux, ils disaient ça parce que le garçon avait menti en disant que JE l’avais forcé. Que j’avais voulu l’embrasser et que je l’avais forcé à faire des choses… Il m’a fait passer pour l’agresseuse. Toute la classe pensait que c’était de ma faute et j’ai été harcelée. Un jour, j’ai reçu des boules de papier sur moi en plein milieu du cours. J’étais calme, mais quand les filles ont continué à jeter des feuilles, je me suis levée et j’ai crié. Le prof nous a séparées et m’a dit d’arrêter de crier.

Enfin écoutée, par le lycée

J’ai fini par en parler à ma prof de français, une prof de confiance à qui j’ai dit que je ne voulais pas que mes parents soient au courant. Elle m’a dit qu’elle en parlerait avec la CPE. J’ai ensuite été convoquée plusieurs fois pendant que j’étais en cours. La classe a alors compris que j’en avais parlé et ils m’ont encore plus détestée. Ils étaient encore plus contre moi.

L’assistante sociale, elle, m’a dit qu’elle allait convoquer ma mère, qu’elle était obligée. Elle a envoyé un message à tous mes professeurs signalant qu’il y avait des problèmes entre des élèves et d’y faire attention. Le jour J, ma mère était donc au courant de tout et ne m’en voulait pas du tout. L’assistante sociale nous a dit qu’elle allait envoyer une alerte au commissariat et qu’on serait convoquées.

Avant ça, mon copain a voulu voir le garçon pour savoir pourquoi il avait fait ça. Ce dernier a dit qu’il s’en fichait complètement de l’avis des filles, que j’avais été sa seule cible « facile » dans sa classe, mais que si une autre fille lui avait proposé, il aurait accepté car il a un désir sexuel. Il voulait profiter du corps des filles. Je me suis demandée comment j’avais pu être amie avec quelqu’un comme lui pendant tout ce temps.

Le croiser sans peur

J’ai été reçue au commissariat en mai-juin, l’année dernière. J’ai été accueillie par une dame qui m’a prise à part dans une salle et qui m’a demandé de lui raconter l’histoire en détail. Ma mère m’attendait dans une salle d’attente en bas. Il a lui aussi été convoqué au commissariat de sa ville. On m’a conseillé de porter plainte, mais on m’a laissé le choix et je ne l’ai pas fait. Quelques semaines après, j’ai reçu un courrier de leur part disant que l’affaire avait été classée : après nous avoir reçus, ils n’étaient pas en mesure de continuer car nos dialogues étaient différents.

Au lycée, j’ai rendu visite à l’assistante sociale et lui ai raconté ce qui s’était passé au commissariat. Elle m’a dit qu’avec ce qu’il avait fait, il était censé être renvoyé car c’était une agression sexuelle. Je l’ai revue une fois après ça, pour conclure et lui dire que tout s’était bien terminé.

Aujourd’hui, je me sens mieux. J’ai redoublé, donc aucune des personnes de l’année dernière est dans ma classe et on s’ignore tous. Même si on se croise très souvent avec la fille qui me jetait des boules de papiers et qu’on se dévisage. Le garçon est toujours dans mon lycée et il m’arrive de le croiser. Mais je pense que la direction a fait exprès que nos emplois du temps soient différents. Je me sens en sécurité à présent et je n’ai plus peur.

Juliana, 17 ans, lycéenne, Rouen

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