Catherine M 18/11/2021

De Mayotte à la métropole, jamais sans ma mère

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Sa mère, Catherine lui doit tout. Elle s’est battue pour lui offrir un avenir, et elles ont surmonté toutes les épreuves ensemble.

Ma mère me raconte souvent comment je suis née à Mamoudzou, la capitale de l’île de Mayotte, près de l’archipel des Comores. Elle a beaucoup souffert pendant l’accouchement qui a duré quatre jours. On lui a fait une césarienne, qui lui fait mal quelquefois encore aujourd’hui. Elle me dit aussi qu’elle n’avait pas d’idée de prénom, du coup elle m’a donné le prénom de sa sage-femme qui s’appelait Catherine, voilà pourquoi je m’appelle comme ça ! J’ai déjà entendu des remarques à cause de mon prénom qui était « trop » français pour une Mahoraise d’origine comorienne. Mais ça ne me faisait rien car leur avis ne comptait pas pour moi.

Ma mère me décrivait comment j’étais peureuse de tous les nouveaux bruits qui m’entouraient : la porte, le téléphone… Elle me raconte aussi souvent qu’elle avait peur de ne pas arriver à me nourrir ou à m’acheter des couches. Elle avait ses amis, mais elle vivait dans la précarité. Heureusement, le propriétaire de notre logement l’aidait. Elle n’avait personne d’autre, car elle s’était séparée de mon père avant ma naissance. Voilà pourquoi nous sommes indispensables l’une à l’autre.

Mon père ne s’intéressait pas trop à moi. J’allais chez lui de temps en temps et d’après les récits de ma mère et ma grande sœur, à chaque fois que l’on me parlait de lui ou que j’y retournais, je pleurais en disant que je ne voulais pas le voir. Elles trouvent ça drôle. Mais avec le recul, je me demande pourquoi je ne voulais pas y aller. Si tout se passait bien, il n’y aurait pas de raison, n’est-ce pas ? Mais malheureusement, je n’ai pas trop de souvenirs : trop petite, sûrement.

On disait que ma mère me gâtait trop, alors qu’on était pauvres

Étant donné que Mayotte est un département français et que j’y suis née, j’ai pu avoir les papiers. Ma mère, qui était comorienne, a alors pu habiter légalement sur le territoire. Nous avons donc pu rejoindre la métropole. À Mayotte, ma mère vendait des brochettes cuites au charbon. Mais avec la fumée, elle avait des problèmes pour respirer. Alors en arrivant en métropole et avec l’aide de quelques amis, elle a enchaîné les petits boulots pour me nourrir. D’abord, on a été hébergées par ma tante avec ses enfants. On était serrés dans un petit appartement : il n’y avait que deux chambres pour huit personnes, bébés compris.

Peu de temps après notre arrivée, le mari de ma tante est mort. Ma mère m’a raconté qu’il a d’abord craché du sang avant d’être transporté à l’hôpital et d’y succomber. Ce jour-là, je n’ai pas pleuré : je me suis allongée sur le lit et j’ai regardé le plafond. Je ne l’aimais pas spécialement, mais ça m’a marquée, peut-être parce que c’était la première fois que j’étais confrontée à la mort.

Il y avait quelques tensions entre ma tante et ma mère sur mon éducation. Ma tante trouvait que ma mère me gâtait trop. Alors que non, on était pauvres ! Elles se disputaient aussi sur d’autres sujets qui remontent à plusieurs années, lorsqu’elles habitaient aux Comores. Cela n’empêche que ma mère gérait pas mal de choses à la maison comme le ménage, la cuisine et la garde de tous les enfants.

Ma mère, ma seule compagne de route

Puis ma mère a eu une connaissance, qui lui a parlé d’un appartement pour nous, dans un autre quartier. Alors j’ai dû changer d’école primaire et me refaire des amis.

Arrivée au collège, je ne me suis pas fait d’amis. J’étais la fille qui restait tout le temps seule. Ça me pesait un peu, mais j’aimais être seule. La chose qui me déplaisait, c’est que je faisais peut-être pitié comme ça. Mais ça ne me dérangeait pas vraiment. Ma mère avait laissé tous ses amis à Mayotte. Elle y est retournée en 2018 pour le mariage de ma grande-sœur là-bas. Mais au quotidien, je la vois parfois triste parce qu’avec le temps, elle a perdu des amis, vraiment perdu, parce que certains sont morts.

Depuis plusieurs années maintenant, elle travaille comme femme de chambre dans un hôtel sur le Vieux-Port. Mais ça lui a causé des douleurs terribles qui partaient des pieds et qui remontaient jusqu’au haut du dos. Malgré ça, elle a continué car vu qu’elle parle mal le français, elle n’a pas beaucoup d’options pour travailler. Depuis le début de l’épidémie, elle ne travaille plus. On va dire qu’elle peut enfin se reposer ! On vit dans un T2 et on se partage l’unique chambre. Et malgré le manque d’espace, on s’entend toujours bien toutes les deux.

Ma seule compagne de route durant toutes ces années, c’est ma mère. Alors Maman, sache que je t’aime énormément et que jamais je ne pourrais exprimer toute la gratitude que j’ai envers toi. Tu as eu beaucoup de courage pour traverser toutes ces péripéties, et pour me donner droit à une meilleure vie et je t’en remercie.

Catherine, 16 ans, lycéenne, Marseille

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