Aïcha L. 11/01/2024

Des médicaments, une hospitalisation et zéro explication

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Enfant, Aïcha est diagnostiquée psychotique. À ses 18 ans, alors qu’elle veut comprendre sa maladie pour apprendre à vivre avec, elle est envoyée en foyer psychiatrique sans explication.

J’ai été placée pendant dix ans à l’aide sociale à l’enfance. Pendant toutes ces années, j’ai connu plusieurs dispositifs. J’ai passé cinq ans dans un foyer, deux dans un lieu de vie, puis deux autres dans un autre foyer. Et après tout ça, on m’a envoyée un an dans un foyer psychiatrique. J’en ai bavé, j’ai vu des choses horribles mais le dernier, c’était carrément l’enfer !

J’ai été diagnostiquée psychotique à 12 ans. À cet âge-là, ma pathologie était assez incompréhensible pour moi. Je n’arrivais pas à la comprendre, à savoir pourquoi ça me tombait dessus… Qu’est-ce qui avait pu déclencher ça ? Encore aujourd’hui, parfois j’ai du mal.

En apprendre un peu plus sur soi chaque jour

Ni les médecins, ni les éducateurs qui m’entouraient ne m’ont expliqué ma pathologie. J’ai posé des questions pendant des années. Sans réponse, j’ai fini par arrêter… On me disait juste que j’étais « malade » et que je devais prendre des médicaments pour ça. Parfois, encore aujourd’hui, je suis dans l’incompréhension. On me demande souvent : « C’est quoi ton degré psychotique ? » Je ne sais pas quoi répondre. Je ne sais même pas ce que veut dire « un degré ». On ne m’a jamais expliqué.

En grandissant, j’ai fini par me comprendre un peu plus seule. Ça ne fait que deux ans que mon traitement est adapté et ça me permet de conscientiser petit à petit ce que je vis. J’en découvre encore tous les jours. En fait, mon trouble psychotique se traduit par une façon de penser différente de celle qu’ont la plupart des gens. À des moments, je vais très bien, et puis ensuite je me dis que tout le monde parle de moi ou me veut du mal.

Je sais aussi que cette pathologie me coûte au quotidien. Je suis ce qu’on appelle une personne en situation de handicap psychique et, comme de nombreuses personnes qui ont un handicap de ce type, mon quotidien est très impacté.

Forcée par les soignants

À tel point qu’à mes 18 ans, les éducateurs ont décidé de me mettre dans un foyer psychiatrique. C’est un endroit dirigé par un hôpital psychiatrique où il y a plein de gens différents, le plus souvent avec des pathologies et des handicaps psychiques.

En arrivant là-bas, j’ai vu des personnes dans des situations atroces, avec des pathologies que je ne connaissais pas. Pour donner un exemple : quand je parlais à quelqu’un, on pouvait avoir une discussion pendant plusieurs minutes et d’un coup, la personne se mettait à m’insulter. Au début, je ne comprenais pas et j’avais peur, mais petit à petit j’ai compris. Il pouvait y avoir toutes sortes de pathologies psychiques, du trouble de la bipolarité aux troubles psychiatriques plus importants comme la schizophrénie.

À la place d’éducateurs, au quotidien, j’avais des infirmiers et des aide-soignants. C’était très dur pour moi qui avait vécu avec de la liberté. Je n’avais plus rien. Tout était basé sur le traitement et non sur l’éducation. Tout était organisé autour de la prise de médicaments et des horaires fixes. Les sorties étaient autorisées seulement à certaines heures de la journée.

Voilà à quoi ressemblait une journée type. Le matin, tu dois te réveiller entre 7h30 et 8h45 pour le petit-déjeuner. Après, soit tu sors, soit tu restes au foyer. Dans tous les cas, tu dois être là pour le repas du midi si tu ne travailles pas, de 12h15 à 12h45. L’après-midi, tu peux sortir jusqu’à 18 heures, pas plus tard, sauf autorisation exceptionnelle du médecin. 19h15 c’est l’heure du dîner, jusqu’à 19h45. Avant de manger, tu dois prendre les traitements. Coucher max à 22h30.

Quant aux activités, les infirmiers me disaient qu’ils n’étaient pas là pour nous amuser. Donc comme je n’étais pas en formation, bah des fois, je ne faisais rien de la journée. Je m’ennuyais.

Trouver un allié pour s’en sortir

À mon arrivée, c’était difficile de m’intégrer et j’avais du mal car je ne connaissais pas ce système. Mais j’ai vite compris que si on respectait le cadre imposé, tout ne se passait pas trop mal.

Et comme c’est souvent dans le malheur qu’on trouve le plus grand bonheur, j’ai eu la chance de rencontrer la plus belle des personnes dans cet endroit des plus détestables. L’amour de ma vie, celui que j’aime le plus au monde… On a vécu un vrai coup de foudre !!!

On s’est cachés pendant longtemps car toute relation amoureuse était interdite au foyer psychiatrique. C’est inscrit dans le règlement intérieur, ne me demandez pas pourquoi… Toute personne ayant une relation amoureuse avec qui que ce soit peut se faire virer.

On avait des plans pour se retrouver. On sortait chacun d’un côté différent du foyer et on se rejoignait dehors pour faire notre vie. Pour rentrer, c’était le même principe. Mais on a fini par se faire cramer bêtement parce qu’ils nous ont vus nous embrasser… Heureusement, mon copain allait quitter l’établissement quand ils s’en sont rendu compte. Quelques mois après, c’était à mon tour de partir. On a eu de la chance, on n’a pas été séparés trop longtemps. Et maintenant, après toutes ces péripéties, on est enfin réunis !

Aïcha, 20 ans, en formation, Essonne

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1 réaction

  1. Bonjour Aïcha,

    Ce qu’ils vous ont fait subir est honteux et abusif. Tout le monde a le droit d’accéder à son diagnostic. C’est un droit fondamental. De plus, le terme psychotique se base sur une ancienne classification diagnostique invalidée depuis plusieurs années. La majorité des professionnels du soin et du social sont formés à la psychanalyse.

    Beaucoup de personnes autistes et concernées par les TND ont subi ce « diagnostic » avec les prises en charge inadaptées et les conséquences désastreuses qui en découlent. Je le sais, je l’ai vécu.

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