Dix ans après, je commence à en parler

Le viol blesse tout la vie. Avant de raconter cette histoire, elle était un peu triste, un peu seule…

Un jour, alors qu’elle est toute petite, 7 ou 8 ans, elle part au bled, en Algérie, avec sa famille. Là-bas, elle n’a rien à faire. Elle s’ennuie, donc elle veut jouer à l’ordi, mais sa cousine l’a déjà pris. Comme elle est triste, un garçon de sa famille, la vingtaine ou la trentaine, lui passe son téléphone pour qu’elle joue avec. Elle commence à s’amuser. Puis, elle ne comprend pas ce qu’il se passe : ce garçon commence à se toucher. Elle est petite, elle ne dit rien, elle trouve ça normal. Les jours passent, et c’est toujours la même chose.

Une fois, il l’emmène dans le garage, ferme la porte, l’enferme et lui passe le téléphone. Il prend un plaisir à toucher son corps… Puis, il lui demande de lui toucher son pénis. Elle ne veut pas. Alors il la force. Ensuite, il la prend par derrière et se fait un plaisir de mettre ses parties intimes. Il fait ce qu’il a à faire. Puis quelqu’un toque à la porte. Il dit à la fille de ne rien dire. Elle ne comprend pas vraiment ce qu’il se passe mais elle se sent éteinte, faible, enfermée dans son monde. Alors elle ne dit rien à ses parents, rien à sa famille : elle a peur qu’il lui arrive quelque chose, qu’on la juge, qu’on la regarde mal à cause de tout ça. Même à ses copines elle n’en parle pas. Elle a peur qu’on lui crée une réputation.

La prise de conscience

À 13 ans, elle part en vacances avec sa famille. Elle revoit le garçon. Elle est traumatisée. Pour l’éviter, elle part rejoindre sa belle tante. Mais il est toujours là. Il parle avec sa mère. Il finit par la retrouver dans la cuisine. Il lui fait un sourire mais elle ne le regarde pas. Il lui dit qu’elle a grandi, et d’autres choses…

Maintenant, elle se rend compte qu’il s’agissait d’un viol. Elle est sous le choc, et triste aussi. Alors un jour, à 16 ans, elle raconte ce qui lui est arrivé au mec qu’elle aime. Mais juste après, ce mec la lâche. Du jour au lendemain, c’est fini.

Aujourd’hui, quand elle raconte l’histoire, ça lui arrive d’avoir les larmes aux yeux, de repenser à ce qu’il s’est passé, aux moments où le garçon du viol la touche. Elle a vécu tellement de choses qu’elle garde en elle.

Écrire cette histoire pour la première fois

Elle est traumatisée par cette histoire. Elle pense parfois au pire, comme mettre fin à sa vie. Mais après, elle se dit que c’est ainsi, et elle essaie d’avancer. Forcément, elle ne fait pas confiance aux gars. Quand elle en a rencontré un, celui-ci lui a brisé le cœur, alors… Alors elle pleure quand elle pense à lui. Elle se demande : c’est quoi le vrai amour ? Elle se dit : que la personne soit là pour elle, qu’elle soit présente quand ça ne va pas bien, qu’elle ne la lâche pas… Elle y croit, mais juste un peu.

Il n’y a pas longtemps, elle a réussi à en parler avec une de ses copines. Elle croit qu’elle a vécu la même chose. Le dire fait du bien, un peu. Raconter tout ça, à l’écrit, en vrai, ça lui fait remonter des souvenirs. Elle n’avait jamais écrit une histoire comme celle-là.

Talya, 18 ans, en formation, Marseille