Du tennis à tous les repas
Depuis janvier, je ne vais plus à mes cours de tennis. Chaque samedi, je joue 40 minutes avec mon père pour regagner mon niveau et la confiance que j’ai perdue. Pour essayer d’aimer le tennis à nouveau. Je ne pensais vraiment pas devoir faire tout ça. J’ai l’impression de me retrouver au début, il y a six ans. Comme si j’étais dans le jeu de société Croque carotte et que la taupe m’avait poussée hors du chemin, me forçant à tout recommencer.
Tout remonte au mois de novembre, lorsqu’un prof est parti en arrêt maladie. Il n’y a pas eu de prof remplaçant et tous les cours se sont déroulés de la même manière : une « montante / descendante » avec des jeunes du cours du niveau en dessous du nôtre. Je n’aimais pas jouer avec des jeunes qui sont à la balle verte, le troisième niveau. J’étais à la balle dure, le cinquième niveau. Je voulais revenir au cours d’avant, quand c’était moi et mes amies, et qu’on jouait des matchs avec des scores serrés.
Peur d’être jugée
Au fil des cours, je voulais de moins en moins y aller, alors qu’avant c’était ma partie préférée de la semaine. À un des cours, je ne pouvais plus taper les balles. J’avais l’impression que mon corps ou mon cerveau m’empêchait de jouer. Je ratais toutes mes balles. Je n’avais plus de joie dans le jeu. À force de perdre, je descendais avec les plus jeunes et je me retrouvais à perdre contre eux. À force de rater et rater, le désespoir et la tristesse m’ont envahie. Il y avait aussi un duo de garçons plus jeunes que moi qui faisaient du tennis depuis l’âge de 3 ans qui se moquaient des autres. J’avais peur qu’ils me voient jouer, et que mon prof et les autres joueurs me jugent… J’essayais de ne pas trop y penser, de rester positive, mais je ne pouvais plus aller à un seul cours sans ressentir le besoin de courir hors du terrain et pleurer.
Avec tout ça, un jour, je ne suis pas allée en cours. Puis j’ai raté le suivant, sans remord. Mon père a expliqué à mon prof que je ne viendrai pas à plusieurs cours sans donner une raison exacte. Moi je n’ai rien dit. Ni à mon prof, ni à mes camarades. Je ne voulais pas leur expliquer pourquoi j’avais arrêté. Moi-même ne savais pas comment l’expliquer.
Une histoire de famille
C’est un sujet de tension à la maison. Ma mère me soutient dans ma décision mais mon père veut me forcer à continuer. C’est le sujet qui revient à tous les dîners. Il essaie de me convaincre de reprendre les cours. Il adore le tennis et est un très bon joueur. Depuis son adolescence, il joue en club et participe à des compétitions. J’adore l’encourager. Avant que je prenne des cours, il avait même essayé de m’apprendre pendant un an.
À chaque occasion, il me parle de tennis. Quand je ne peux pas donner des réponses exactes à ses questions, je ressens la déception dans sa voix. Je sais qu’elle provient de sa propre enfance car il a arrêté un instrument parce qu’il ne l’aimait plus. Il ne prend pas bien le fait que j’abandonne. C’est comme si on l’attaque personnellement. Il me juge avec déception, me culpabilise. Comme si j’avais décidé de ne pas aimer le tennis pour le décevoir.
Il m’a même posé un ultimatum : reprendre les cours maintenant ou me désinscrire définitivement. Les cours se terminent dans trois mois, personnellement je trouve que j’ai du temps. Que je considère réellement arrêter le tennis semble le peiner plus que moi. Ça n’aide pas qu’il me répète que je manque à toutes les filles de mon groupe et à mon prof. Au contraire. Ma culpabilité et ma peur d’y retourner et d’être jugée grandissent.
La balle finale
Je me souviens de quand j’ai commencé. Tous les cours où je ne pouvais pas arrêter, où je ne me permettais pas d’arrêter, ignorant mes émotions pour ne pas décevoir mes parents. C’étaient eux qui m’avaient inscrite car ils pensaient que je devais faire plus de sport pour ma bonne santé (je faisais de la danse et de la natation). J’avais l’impression que je ne pouvais pas être nulle. J’avais l’impression que j’avais fait un pacte de sang avec le tennis que je ne pouvais pas casser, de peur que cela montre que je suis une incapable.
Aujourd’hui, je suis plus âgée et j’ai assez travaillé sur moi-même pour connaître mes limites. Cette fois-ci, je ne pense pas pouvoir cacher mes émotions. Le pire c’est que j’aime bien mon club. J’aime bien mes profs et les amies que je me suis faites dans mon cours. J’ai une grande culpabilité. J’irai au moins à un dernier cours pour leur dire au revoir et les remercier. Jouer avec elles une dernière fois. Mon good bye. Mon last hurrah. Fermer ce chapitre pour en commencer un nouveau.
Alice, 15 ans, lycéenne, Yvelines