En une journée, j’ai tout quitté : l’Algérie et ma vie
Partir, c’est la décision la plus importante que j’ai prise de toute ma vie. Ce jour-là, j’ai préparé un petit sac à dos avec trois ou quatre vêtements, une bouteille d’eau et une petite somme d’argent : 200 euros. J’étais perturbée, j’hésitais, ça faisait plus d’une semaine que la décision tournait dans ma tête. Je me posais plein de questions mais surtout je me demandais : « Est-ce que je vais arriver en France en bonne santé ou est-ce que je vais mourir dans la mer ? »
J’ai rien dit à mon oncle avec qui je vivais, parce qu’il ne m’aurait pas laissé prendre ce risque. Je n’avais pas envie de le quitter mais je n’avais pas le choix. J’ai laissé une lettre à ma meilleure copine, qui était la seule personne à savoir que j’allais partir. Quand je lui ai dit, elle m’a encouragée, c’était une amie d’enfance et elle savait tous les problèmes que j’avais, donc elle comprenait. Je lui ai dit « On sait jamais, si quelque chose de pas bien m’arrive, donne cette lettre à mon oncle et dis lui que je suis désolée et que je l’aime beaucoup ». Dans la lettre, je lui expliquais que je ne pouvais pas changer le passé mais qu’au moins, en partant, je pouvais choisir mon futur.
Cette lettre disait : “My hero, if you are reading this letter it means I’m gone now. But I don’t want you to be sad because I’m in a better place here in the sky. You were a father and a mother for me, you gave me love and the power to face society and you were always proud of me. You were my light in the dark, my force when I’m weak, you were there when I was sick, the person who stayed awake just to see if I was fine in the middle of the night… Instead of my parents, who are the people who should have taken care of me. But you were there, you saved me, protected me and I appreciate all of that. I’m sorry if I made you feel bad but that’s the feeling I felt since I was a little child, I felt bad, I was abandoned and lonely. People judge me for things that are not even my fault, even my family. You were different. If God could give me a time machine and tell me to choose between my parents, live a normal life with them like every child and have good memories with you, or to live with you again and face all these problems, I would choose you without a doubt my uncle. But don’t you see that my dream is falling apart inside my eyes ? I wanted to be an airplane hostess to travel the world, far away from the judgemental people here, if I stay here I will be more destroyed. I couldn’t choose my past but at least I have the power to choose my future, so I chose to go across the ocean, to France. I have two choices : to arrive and start making my dream come true, or to die, and I guess that will mean God wants me with him in the sky. That’s why you are reading this now. Be strong and always stay the good person I knew. I hope we meet in paradise.”
C’était un risque de partir, je le savais. Je savais qu’il y avait des gens qui mourraient. En Algérie, on entend tout le temps ça, à la télé, sur les réseaux sociaux… Mais je voulais aller à l’école, réaliser mon rêve de devenir hôtesse de l’air, et je me disais que si je restais en Algérie je pourrais jamais y arriver. Là-bas, je ne pouvais pas aller à l’école, j’avais toujours des problèmes. Les autres me jugeaient et me harcelaient parce qu’en Algérie c’est tellement la honte d’avoir un bébé sans mariage, et ma mère avait fait ça. Les gens me disaient, « telle mère, telle fille », « t’es une pute comme ta mère », les mecs se permettaient de me toucher et de m’insulter.
Chaque vague était plus haute que la précédente
On m’avait dit qu’en France on prendrait soin de moi, que je pourrais aller à l’école, alors je suis partie. Je ne conseille à personne cette expérience parce que c’était horrible et plein de risques. On a disparu en mer pendant deux jours sans nourriture, sans eau. Chaque vague était plus haute que la précédente. Heureusement, le capitaine d’un grand bateau de pêcheurs nous a aidé. Il était très gentil, il m’a donné de l’eau et il nous a montré la route parce qu’on avait perdu le GPS.
Enfin on est arrivés en Italie, et après cette grande aventure la première chose que j’ai faite était d’appeler mon oncle. Il était un peu nerveux, il avait eu très peur mais en fin de compte, il était heureux pour moi et m’a encouragée à suivre mon rêve. Ça m’a donné de la force.
Après 14 jours de confinement en Italie, je suis venue en France et c’est la plus belle chose qui me soit arrivée dans ma vie. J’ai dormi dans un bloc sur les escaliers, c’était difficile mais maintenant je suis en bonne santé et heureuse parce que la Croix-Rouge m’a sauvée et donné un foyer pour dormir, manger et m’habiller. Je suis suivie par une psychologue et je me sens soulagée après chaque séance. Et le plus important, c’est que je suis à l’école en train d’apprendre plein de choses, je ne suis plus jugée. Je suis venue ici pour ça et maintenant, il est temps de travailler pour réaliser mes rêves.
Rayane, 16 ans, Paris, en formation