Aïcha C. 04/04/2023

Je fais des rêves les yeux ouverts, en marchant

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Harcelée à l'école, Aïcha souffre aujourd'hui du trouble de la rêverie compulsive. Elle s'invente des histoires dans lesquelles rêves et réalité se mélangent.

Souvent, je confonds mes rêves et la réalité. Le trouble de la rêverie compulsive est une maladie peu connue dont je souffre depuis l’école primaire, mais je n’en ai pris connaissance que l’année dernière, en faisant des recherches sur internet.

Cette maladie est souvent mal diagnostiquée car les professionnels la confondent avec la schizophrénie, le trouble déficitaire de l’attention et même le trouble dissociatif de la personnalité. D’ailleurs, je n’ai toujours pas vu un professionnel de santé pour en parler car j’ai un peu peur qu’on me prenne pour une folle. Je le ferai quand j’aurai le courage.

Pour comprendre de quoi il s’agit, c’est ce genre de rêves que l’on a tous fait lorsqu’on était enfant : les amis imaginaires à qui l’on va inventer une vie. Sauf que si vous avez tous arrêté de les faire en grandissant, moi, j’ai continué, et je suis même allé plus loin. Je peux faire ces rêves avec les yeux fermés, mais aussi ouverts. Je m’inspire de tout ce qui m’entoure, aussi bien de la musique et des vidéos, que de l’observation des gens.

Une série en plusieurs saisons

La cause de tout cela ? Un harcèlement que j’ai subi en CM1, un prof qui m’a humiliée. J’allais mal à l’école et son comportement m’a poussée à me mettre à l’écart de la plupart des enfants. J’avais trop peur d’être jugée. Alors pour moi, ces rêves, c’était un second souffle. Une sorte de refuge.

Au début, je méditais et je m’amusais avec mes personnages. C’est comme si vous êtes assis sur votre canapé en regardant votre série préférée : les scènes s’enchaînent, vous êtes en immersion. Mes personnages, je ne les vois pas concrètement, ils ne sont pas à côté de moi quand j’ai les yeux ouverts, mais ils sont très visibles dans ma tête. Il peut y en avoir plusieurs en même temps. Énormément en fait. C’est sans limite.

Peu à peu, mes histoires sont devenues de plus en plus complexes. Comme une série avec plusieurs saisons. Au début, j’avais un alter ego, une personne totalement différente de moi. Récemment, j’ai créé un second univers où j’étais le personnage principal, impliquant des personnes de mon entourage.

Voilà comment ça marche

Exemple. Je marche dans la rue. Tout s’enclenche dans ma tête. Je reprends mon histoire où je l’avais laissée. « K. est parti à la recherche d’un artefact précieux, ce qui l’a amené dans une catacombe qui grouillait de vestiges d’une ancienne civilisation cachée. Il y avait des pièges disposés un peu partout… » J’imagine la suite, je reprends le rêve, un peu différemment : « K. arrive dans la chambre d’un ancien gourou fou à lier, puis examine la pièce. Le lieu est en partie détruit… »

Là, je n’ai plus d’inspiration alors je regarde autour de moi et j’aperçois un chien qui aboie, donc je l’introduis dans l’histoire. « K. rentre dans cette fameuse pièce et voit une bête, de dos, avec des griffes acérées, des grosses dents et une carrure imposante. Puis la bête se retourne et remarque la présence de K. Il est totalement pétrifié face à ce monstre, il se dit que c’est fini, que l’animal ne fera qu’une bouchée de lui, mais à sa grande surprise il part s’allonger… » Et ça continue… « K. découvre des hiéroglyphes, ouvre un tombeau et découvre l’artefact, mais la bête bondit sur lui. » Ces rêves, je les fais tous les jours. Parfois plusieurs heures par jour.

C’est un danger

J’ai essayé de voir le bon côté des choses. Je me suis dit que je pourrais en faire une force en me projetant dans des métiers de création, mais je n’arrive pas à mettre mes pensées sur le papier. On pourrait aussi dire qu’avoir autant d’imagination est un don, mais malheureusement tout ça a dégénéré, au point où je ne contrôle plus quand ça arrive. Je m’enferme dans ma tête sans même m’en rendre compte. Ce mécanisme désormais automatique m’a poursuivie durant tout mon cursus scolaire. Ne pouvant pas me concentrer, j’ai accumulé les lacunes. Socialement, je suis devenue timide, avec de grandes difficultés à entretenir des relations amicales. Ma famille n’est pas au courant car nous n’avons pas une bonne relation.

Parfois, c’est même dangereux. Quand je reste focus dans mon monde des rêves, il m’arrive de me blesser, de me cogner POUR DE VRAI, car je ne fais pas toujours attention à ce qui m’entoure. Une fois, j’ai même failli me faire renverser par une voiture.

Si vous avez envie d’en apprendre plus, je vous invite à regarder la vidéo « I spent a day with maladaptive daydreamers », du youtubeur Anthony Padilla.

Aïcha, 20 ans, en formation, Marseille

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