Yohan C. 03/07/2023

Grandir avec les addictions de ma famille

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Quand il était enfant, Yohan a vu les effets du cannabis sur son père et de l'alcool sur son grand-oncle. Ça la fait grandir plus vite.

J’ai pu voir de mes yeux certaines addictions. Je parle d’addiction à la drogue et à l’alcool. Je devais avoir environ 5 ans. J’étais parti avec mon père, mon frère et ma sœur en vacances chez ma grand-mère, en Savoie. Sa maison était la plus haute du village. On avait les nuages qui traversaient la maison.

Chez ma grand-mère vivait le tonton de mon père, qui était une personne fondamentalement gentille. Peu après notre arrivée, notre père nous a emmenés au parc, où il y avait des voiturettes pour enfants, des balançoires… Après une bonne heure de jeu, il est parti faire une petite balade, en nous donnant pour consigne de surveiller son tonton.

Ce n’est pas quelque chose que l’on demande à des minos, surtout pas âgés de 5 et 8 ans. Mais bon, à cet âge-là, on n’a pas la capacité de réflexion, ni l’ordre des priorités, ce qui fait que, pendant le restant de la journée, on a continué à jouer.

Jusqu’au point de non-retour

Par la suite, on est allés voir le tonton de mon père parce que, lorsqu’on est gosse on a toujours besoin de voir quelqu’un que l’on connaît, sinon on se sent comme seul. Après environ dix minutes de recherche, on l’a retrouvé. Il était là, assis à une table avec d’autres personnes et une trentaine de bières devant lui. Jeune ou pas, on sait très bien que quelque chose ne va pas…

Comme par magie, mon père est réapparu et a tiré son tonton hors du bar. Il était complètement torché, il tenait des propos incohérents, titubait. Tant bien que mal, il est arrivé à la maison. Son comportement joyeux s’est très vite transformé en colère, il a commencé à insulter tout ce qui bougeait. Puis, il est arrivé à un point de non-retour. Il avait une telle colère qu’il ne se contrôlait plus. Chaque objet à sa portée était éjecté avec une grande puissance. Notre père nous a alors attrapés pour nous emmener dans la voiture garée devant la maison.

Après dix minutes à attendre dans la voiture, on a vu un téléphone passer par la fenêtre du rez-de-chaussée. Sur le côté de la maison, il y avait de très grandes bûches d’arbre alignées. Le téléphone s’est infiltré entre deux rondins. Mon grand tonton est, à son tour, passé par la fenêtre brisée avec le bras en sang. Après, je passe les détails, mais mon père nous a conduits chez notre mère.

Le voir en manque

Mon père, lui, c’était l’addiction à la drogue. Sa seule porte de sortie était l’herbe qu’il fumait quand il était à la maison. Il enchainait de grandes journées, il était poissonnier. Il se levait à 3 heures et rentrait vers les coups de 16 heures. Il dormait entre une et trois heures par nuit, je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi anéanti par la vie, et pourtant il me paraissait fort.

Pas une fois, je ne l’ai vu se plaindre de sa condition ni de son taf, il donnait juste le meilleur de lui. J’ai pu voir son corps trembler de manque, voir son comportement se transformer en quelque chose que je ne reconnaissais pas ; lui qui avait toujours été incroyable à mes yeux.

Imaginez quelqu’un sans le sou à qui on prend ses dernières pièces. Imaginez maintenant comment cette personne peut réagir face à cela : vous pensez à quelqu’un de stressé et mentalement instable prêt à tout pour récupérer son bien. Voilà dans quel état se trouvait mon père au moment où il était en manque.

Trop de questions pour mon âge

Alors oui, certains auraient peur de ce genre de réaction mais, pour moi, mon père est mon tout. Il était impossible de le laisser tomber. Il n’a jamais été violent, ni insultant envers ses enfants. Il nous a déjà dit quand on était jeunes que, s’il ne nous avait pas, il ne serait plus là.

Pour moi, ça a été la plus grande déclaration d’amour de ma vie. Je pense que rien au monde ne peut plus décrire l’amour qu’un père porte à ses enfants.

J’imagine que ces histoires m’ont permis de me consolider mentalement. Je n’en garde pas forcément de mauvais souvenirs, juste une incompréhension de comment le comportement s’altère avec pas grand-chose.

Suite à ça, j’ai commencé à me poser trop de questions pour mon âge, ce qui ne m’a pas permis de grandir comme tout le monde et de me faire des potes. Ça m’a forgé un caractère méfiant envers les autres. Je me disais que, peut-être, je n’étais pas fait pour ce monde. J’ai dû m’intéresser à la psychologie grâce à ça, en essayant de mieux comprendre ce qui se passait dans le corps des autres lors de la consommation d’alcool et de drogues… Ça m’a aussi permis d’apprendre à aimer avant d’être aimé.

Yohan, 19 ans, étudiant, Essonne

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