La gym, entre abus et risques pour ma santé
Je suis gymnaste à mes heures perdues. Enfin, à chaque heure où je n’ai pas cours et où je ne dors pas… Ça fait onze ans que je pratique ce sport. Ce sport plus que perfectionniste, où un détail tel qu’une jambe légèrement fléchie te fait passer de première à quatrième (soit la pire place à mon goût). Ce sport où tu te présentes devant des juges pour exécuter l’enchaînement que tu as répété des milliers de fois dans ton gymnase sous le regard aiguisé de ton entraîneur te corrigeant incessamment pour atteindre cette perfection irréelle. Ce sport où on se bat constamment contre la conscience et la peur de la blessure que notre cerveau possède instinctivement. Ce sport procurant des sensations incroyables et une maîtrise de son corps plus que complète.
Demandez à une gymnaste ayant commencé avant ses 8-9 ans pourquoi elle a voulu pratiquer ce sport. La réponse sera toujours la même : « Mes parents m’y ont inscrite. » Un geste anodin de la part des parents qui par la suite créera une chose malsaine pour celles qui tomberont amoureuses de ce sport. Les autres elles, continueront sans but, juste par habitude, ou bien arrêteront.
Un sentiment de fierté
Moi je fais partie de celles qui sont (malheureusement) tombées amoureuses de ce sport. Sûrement en voyant les grandes du gymnase réussir et exceller. Je me rappelle de ce sentiment quand elles me corrigeaient et disaient entre elles : « Elle est toute mignonne. » Ou sûrement ce sentiment de fierté et de réussite lorsqu’à ma première compétition, à 6 ans, on a appelé ma catégorie, mon nom suivi de mon prénom, et que mon entraîneur me montrait le podium comme un signe en disant : « Tu peux y aller. » Je me suis levée, présentée puis suis montée sur le podium à la place de première, sous les applaudissements du petit public, en voyant la joie de mon entraîneur.
Ma première coach s’appelait Manon, une jeune de 18 ans à peu près. Je faisais partie de sa première équipe, j’étais sa chouchoute. En voyant mon niveau, elle m’a rapidement placée dans l’équipe de la coach des grandes que j’admirais.
Les jeunes gymnastes insultées et punies
À mes 8-9 ans, j’étais déjà en régionale. Quand, sur un plateau de compétition, des détecteurs de talents du pôle de Meaux gymnastique m’ont repérée, ma coach me l’a cachée. Je ne l’ai su que deux mois plus tard. Peu de temps avant moi, elle y avait envoyé une gymnaste de 8 ans, comme moi. Ça s’était très mal passé. Elle se faisait punir quand elle n’arrivait pas à faire un élément en se faisant enfermer dans les vestiaires, ou bien ses coachs l’insultaient. Elle a eu des séquelles psychologiques, à un tel point qu’à ses 12 ans elle a arrêté la gym. Elle était incapable d’en refaire.
Actuellement, énormément de filles prennent enfin la parole sur ce sujet. En centre de pôle gym, ce sont des abus banalisés et tabous. Pour ma prof, il était inconcevable de m’envoyer là bas.
Après avoir su, par inattention de ma coach, que j’avais été repérée, je lui en ai voulu énormément. J’ai cherché à y aller à tout prix, dans son dos. J’en ai parlé à mes parents, puis on a été à Meaux pour passer des essais. J’ai ADORÉ. Je voulais absolument y entrer.
Des histoires choquantes au sein du pôle
On m’a proposé de rentrer en pôle, mais il fallait passer par ma coach. Elle a cédé et m’a accompagnée pour m’entrainer. J’ai fait cinq mois là-bas, les cinq plus beaux mois de ma vie. Mais des histoires que j’entendais au sein du centre me choquaient. Des personnes enfermées dans les vestiaires, des mots durs à entendre, des coachs n’écoutant pas leurs gymnastes, des entraînements plus que trop intensifs…
Dans ma tête, je me disais que moi je n’étais pas faible comme elles et que je réussirais à encaisser. C’est ce qui s’est passé. La fermeté et la discipline me convenaient.
C’est en me faisant une double fracture de l’avant-bras que j’ai débuté trois mois de réflexion sur ma relation avec le sport. Est-ce que j’y avais un avenir ? Ma place ? À 10 ans ces questions me rongeaient déjà. Sur les précieux conseils de ma sœur, j’ai décidé de quitter le pôle qui m’avait emmenée aux championnats de France. Je suis retournée dans le club où ma coach avait décidé d’aller. Hors de question de la laisser seule et de me faire entraîner par une autre qu’elle.
Une discipline de fer et des blessures cachées
Jusqu’à il y a un an, je m’entrainais tous les jours pour gagner. Des repas bien stricts, un entraînement à ne JAMAIS louper, un poids à ne pas dépasser et le podium comme objectif. La fierté des parents et de l’entraîneur entre les mains, des centaines de rouleaux de strap utilisées, des blessures que je cachais pour pouvoir continuer à m’entraîner.
Je concourrais toujours en régionale. Tous les ans, les championnats de France en équipe et en individuel, tous les ans un classement meilleur, et tous les ans une pression plus forte… Jusqu’à l’année dernière, où j’ai décidé d’arrêter ces compétitions qui m’empêchaient de vivre.
En annonçant cette décision à ma coach, j’ai cru l’avoir trahie. Elle m’a tellement fait culpabiliser qu’elle m’a déçue. Mais à vrai dire, ça ne m’importait plus. Actuellement aux entraînements, elle ne me donne presque aucune correction ni instruction. Elle n’a plus envie de m’entrainer, je le fais seule.
Mais est-ce que ça me plait ? Est-ce que cette sensation grâce à laquelle je suis tombée amoureuse de ce sport ne me manque pas ? Est-ce que je devrais reprendre les compétitions pour retrouver l’attention de mon entraîneur ? Ça, c’est ce qu’il se passe dans mon cerveau et dans celui de tout sportif à haut niveau. Les meilleurs ont toujours arrêté tôt leur sport, où pourtant ils excellaient. Car pratiquer le sport que l’on aime, c’est la chose la plus compliquée à faire.
Eva, 15 ans, lycéenne, Chelles