Leila A. 26/01/2022

Harcèlement de rue : suivie par un homme pendant un mois

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Suivie à chaque trajet entre chez elle et son lycée, Leila s’est entourée de ses ami·e·s et de son copain pour faire fuir son harceleur.

Tous les matins, je prenais le RER A à Saint-Maur-des-Fossés pour aller au lycée. Un jour, un homme est venue me parler : «Salut toi, je te croise souvent, on prend le même RER. » Moi aussi, je l’avais déjà vu, mais sans réellement y prêter attention. Dans ma tête, je me rassure en me disant : « Leila, détends-toi, arrête d’avoir peur pour rien, il ne te veut pas de mal. »

Et puis là, il ajoute : « Je te vois tous les jours sortir de ton immeuble. » Bien évidemment, je commence à paniquer. Heureusement, il est descendu un arrêt avant moi. Tout le long du trajet, je me suis sentie mal, la boule au ventre. 

Dans ma tête, ça crie : « RESTEZ BORDEL »

Arrivée au lycée, j’en parle à mes potes. Elles me disent que si je le recroise, je les appelle, pour qu’il ne vienne pas me parler. Je leur souris, je suis heureuse d’avoir des amies comme ça. Rassurée pour la journée.

Fin de cours, je rentre chez moi, 18 heures, RER A bondé. Quelques arrêts plus tard, je le vois. Il y a des gens devant moi, il ne me voit pas. Je commence à paniquer, je ne veux pas que les gens partent. Dans ma tête, ça crie : « RESTEZ BORDEL. »

Je me dis : « Fuis, va de l’autre côté de la rame. » Heureuse qu’il ne m’ait pas vue, pas suivie. J’envoie un message à mes potes, je leur raconte et elles me rassurent.

Fin du trajet, je sors du RER et le vois derrière moi qui commence à crier : « Reviens ! » Je me mets limite à courir dans les escaliers. Je me fonds dans la masse. Quand je ne le vois plus, je fais demi-tour et je marche vers chez moi. Au feu rouge, devant l’épicerie juste à côté de chez moi, il est là. Oui, encore.

Adossé sur le mur, il m’attend. Je ne peux pas faire demi-tour, il va me suivre. Il me regarde avec insistance, j’attends. Le feu passe au vert. Je ne traverse pas, j’ai peur. Il n’y a personne. J’attends et il part. Je traverse, cours pour rentrer dans mon immeuble, monte à toute vitesse, ferme la porte à clé. Je fonds en larmes et panique, c’est ma première crise d’angoisse. Demain, j’en parlerai, là je vais me reposer.

Accompagnée par une copine pour rentrer

Le lendemain matin, j’ai la boule au ventre, j’ai peur. Je sors de mon immeuble et là : « Ah bah te voilà, je t’attendais, je t’ai vue hier. » Aucune réponse de ma part, je ne peux pas, bloquée, impuissante. Il me suit, me demande si j’habite seule, je lui réponds que non. Il me dit que c’est dommage, il aurait bien voulu passer du temps seul avec moi. J’ai peur. Arrivée au quai du RER, je marche vite, j’essaie de le semer dans la foule. Je me place près d’une maman avec sa petite fille, je fais toujours ça, toujours proche d’un parent. Selon moi, personne ne voudrait que ça arrive à son enfant. Je ne le vois plus. 

Au lycée, j’explique tout à mes amies, en pleurs. Elles me consolent et ma pote me dit :
« Tu ne rentres pas toute seule ce soir. Je vais changer de trajet, je viens avec toi. » Ce soir-là, il nous a suivies. Elle a vu sa tête, elle m’a dit : « Il est trop con, je le déteste. » Ça m’a fait plaisir. J’ai continué à aller au lycée avec elle, elle venait me chercher. Même elle commençait à avoir peur, mais comme on était deux ça allait. De temps en temps, elle ne pouvait pas venir. Quand j’étais seule, il continuait à forcer pour me parler : « Ta copine est plus là, tu es toute seule, j’ai bien vu ton petit jeu. » 

Un mois à avoir peur, c’est une éternité

Ce harcèlement et cette histoire ont duré pendant un mois. Un mois, c’est court normalement, mais quand il nous arrive ça, c’est une éternité. Un mois à ne plus vouloir aller au lycée, à avoir peur à chaque fois que je mettais un pied dehors, à me retourner dès que j’entendais un bruit de pas. 

Cette histoire s’est finie quand j’ai enfin décidé d’en parler à mon copain, je n’avais pas réussi avant. Il était très en colère. Il m’a demandé pourquoi je n’étais pas allée voir les flics. Je lui ai juste répondu que j’avais eu peur d’en parler, qu’ils n’auraient rien fait. Je savais qu’en allant à la police, on m’aurait dit : « Tu étais habillée comment ? Tu as fait quoi comme geste qui aurait pu faire penser que tu étais intéressée ? » Je ne me serais pas sentie en sécurité et je n’avais pas besoin de ça. Il m’a comprise et m’a dit : « Je vais m’en occuper. »

Suite à ça, il est venu me chercher le soir au lycée, on a fait le trajet ensemble. Et là, on croise le mec. Mon copain lui dit assez énervé d’arrêter de me suivre, de me faire peur et que s’il continuait, il n’aimerait pas la suite. J’ai eu peur, je ne savais pas comment allait réagir le mec en face, mais j’avais entièrement confiance en mon copain. Le lendemain, il m’emmène au lycée, on le recroise et on continue notre chemin. Il a fait deux allers-retours pendant deux semaines à mon lycée. Je me suis sentie rassurée, aidée et écoutée. Je n’ai plus jamais recroisé cet homme.

« Entoure-toi de personnes de confiance »

 Après ça, j’en ai parlé à ma mère, je ne voulais pas rester dans le « secret », j’avais besoin de lui dire. Je cherchais sûrement une épaule sur laquelle pleurer. Ce qui est sûr, c’est que ça m’a fait énormément du bien de lui dire. Je n’avais pas osé lui en parler avant, car je croyais que tout était de ma faute alors que pas du tout. Le harcèlement, CE N’EST JAMAIS DE NOTRE FAUTE. 

Elle m’a raconté tout ce qu’elle avait vécu : des hommes qui la suivaient, qui l’avaient plaquée contre un mur en pleine rue. Et comment elle s’en était sortie : elle rentrait avec ses copines et, quand elle se séparait d’elles, elle courrait le plus vite possible. Elle ne m’en avait jamais parlé avant que je lui raconte mon histoire. Ça m’a fait du bien de savoir tout ça, qu’elle me donne des conseils, du genre : « Entoure-toi de personnes de confiance, qui ne te jugeront jamais, qui ne te diront pas que c’est de ta faute », « Parles-en vite, même si c’est compliqué ».

J’en ai aussi parlé à mon frère qui m’a dit : « J’ai peur pour l’avenir de ma fille. » Il me pose énormément de questions sur ça, sur les avancées, les combats. 

Le harcèlement de rue, toutes concernées

Aujourd’hui, je ne me sens toujours pas protégée dans la rue. J’ai toujours peur dès qu’un homme marche derrière moi, ou quand je passe devant un groupe d’hommes. Peur des regards qu’on me lance quand je porte une jupe, un haut décolleté. Mais maintenant, je lève la tête, je montre que je n’ai pas peur. J’utilise une technique : j’appelle quelqu’un, une amie ou ma famille. Même si je sais qu’ils ne pourront pas forcément arriver à un moment précis, au moins je me sens rassurée. 

Maintenant, on en parle entre femmes dans la famille. C’est un combat que l’on doit mener tout le temps en tant que femmes, au travail, dans la rue, dans leur foyer, et je suis ravie de me battre avec elles. C’est un sujet que l’on aborde avec des plus petites que nous.

Ma cousine qui est en troisième, par exemple, elle a déjà subi des regards insistants d’hommes qui la suivaient. On lui a donné comme conseil d’en parler à ses copines et de rentrer avec elles. De nous appeler en cas de problème, et même s’il ne se passe rien, de faire le trajet au téléphone. Et surtout de ne jamais se dire que c’était de SA FAUTE. Il faut se soutenir et s’épauler. Prévenir et se donner des conseils. Je suis contente de pouvoir l’aider à traverser des choses comme ça, qui d’ailleurs ne devraient pas arriver. 

Leila, 21 ans, en formation, Seine-et-Marne

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