Je transpire tout le temps
Si je récoltais tout ce qui s’évapore de mes mains et de mes pieds en une journée, je pourrais remplir une bouteille d’environ 50 centilitres. Le pire moment, c’est dans le métro. Nous sommes tous serrés les uns contre les autres. Ça me donne chaud et me fait encore plus transpirer. Pour ne pas gêner les autres, il faut s’accrocher à la barre en métal et ça, ce n’est pas possible pour moi. Quand je pose ma main dessus, je laisse des gouttes visibles et je repars avec les mains sales.
Je suis née avec une maladie qui s’appelle l’hyperhidrose. C’est une transpiration excessive. Elle touche 1 à 3 % de la population. Je suis touchée au niveau des mains et des pieds. C’est très handicapant, en particulier avec les mains car je me sers d’elles tout le temps. Les patients atteints éprouvent souvent une forme d’anxiété quand ils doivent serrer la main d’autres personnes… c’est mon cas.
Honte et jalousie
C’est ma maîtresse qui s’en est rendu compte et qui en a touché un mot à mes parents. J’avais 6 ou 7 ans. Je me suis donc, à mon tour, rendu compte que j’avais constamment les mains mouillées, et que je n’étais pas normale quand je les comparais avec celles des autres, toujours sèches. Ça a provoqué en moi comme de la jalousie.
Ma maman m’a accompagnée à la pharmacie, puis chez un dermatologue. On nous a expliqué qu’il n’y avait pas vraiment de solution, à part des crèmes, et qu’ils ne pouvaient pas faire grand chose de plus, car ils n’avaient jamais eu à faire face à ce problème dans leur carrière. Il y a aussi une opération assez complexe, possible à partir de l’âge de 18 ans.
J’ai commencé à avoir honte. J’avais beau essuyer et essorer mes mains sur mes vêtements le plus possible, ça ne changeait rien. J’étais rejetée par les autres à l’école primaire. Notamment pendant les activités manuelles et les cours d’éducation physique et sportive : quand il devait y avoir des contacts avec les mains. Mes camarades de classe me regardaient bizarrement, ne voulaient pas être trop proches de moi ou me tenir la main, par peur d’être mouillés. Heureusement, j’avais deux copines sur qui je pouvais compter et qui acceptaient de me la tenir.
Me cacher, c’est fini
Au collège, j’ai essayé de cacher ce complexe. Je ne voulais pas que les autres s’en aperçoivent, par peur d’être jugée ou mal vue. Mais, ça a vite été perçu et on me posait souvent les mêmes questions : « Pourquoi t’as toujours les mains moites ? » ; « Tu te laves sans cesse les mains ou quoi ? » ; « T’as les mains bizarres. »
Au lycée, encore une fois, mes camarades s’en sont aperçus. J’ai alors décidé que je ne devais plus en avoir honte, d’être moins timide par rapport à ça et de ne pas cacher mes mains. Evidemment, ils m’ont posé les mêmes questions, et je n’ai pas hésité à expliquer calmement ce que je vivais. J’ai eu la chance d’être écoutée par des personnes bienveillantes, même s’ils ne peuvent pas ressentir ce que ça fait.
J’en ai aussi parlé aux enseignants. Ça m’a retiré une source de stress, comme ça ils étaient conscients du problème.
L’hyperhidrose au quotidien
Quand nous sommes au laboratoire pour réaliser une expérience, je mets beaucoup de temps à mettre les gants de protection, car l’eau de mes mains fait freiner le passage de mes doigts. Une fois mis, on aperçoit de la buée dans les gants et ils commencent à se remplir d’eau. Quand j’écris, j’ai besoin d’avoir une ou deux feuilles en dessous de ma main, pour éviter que ma feuille ne devienne humide et fasse baver l’encre. C’est pénible, mais on s’y habitue.
Mes mains et mes pieds ne sont pas H24 mouillés. Il m’arrive parfois de les avoir secs. Mais si j’y pense, rien qu’avec mes pensées, je peux faire sortir et évaporer de l’eau de mes mains. Si je le souhaite, ça peut me prendre environ une minute à contrôler. Par contre, je ne peux faire re-rentrer l’eau. On m’appelle souvent Aquaman d’ailleurs haha. Je ne le prends pas mal venant d’eux, je trouve ça drôle.
S’il fait chaud ou si je suis stressée, je vais avoir une transpiration encore plus excessive. Mes mains vont commencer à devenir rouge écarlate et mes doigts à gonfler, jusqu’à ne plus pouvoir les plier, ni les bouger. Cela s’aggrave encore plus quand je vais voir ma famille à Miami, un endroit humide et tropical. Ça crée encore plus de chaleur et donc des plaques rouges de boutons vont s’installer entre mes doigts et sur mes paumes. La sensation est horrible car ça pique très fort et gratte beaucoup. C’est un peu comme de l’eczéma. Je n’ai pas accès à des crèmes pour soulager ça. Ma seule stratégie est de ne pas y toucher et de ne pas trop y penser.
Être opérée ou pas ?
Aujourd’hui, je ne sais pas si j’ai envie de réaliser l’opération. C’est avec du botox et ça me fait assez peur. Je ne sais pas si je dois rester avec ce désavantage jusqu’à la fin de ma vie. Peut-être que cela disparaîtra avec le temps ? Ou alors ça s’empirera quand je vais devoir travailler dans le monde de l’entreprise ? Je ne sais pas… Je comprends que ça puisse déranger des gens. Moi non plus, je ne supporterai pas d’avoir quelqu’un en face de moi avec les mains trempées.
Je suis récemment tombée sur une vidéo YouTube : une Française témoignait sur l’hyperhidrose sur plateau TV. Elle expliquait en détails ce que c’était : son histoire, son ressenti, ses émotions, ses solutions… et comment elle s’en sortait. C’était incroyable, je m’y retrouvais exactement. Ça m’a fait tellement plaisir et rassurée. Je me disais que je n’étais plus toute seule. Même si je ne la connais pas du tout, on est toutes les deux d’accord sur le fait qu’on ne supporte pas quand quelqu’un nous dit : « T’es pas seule, moi aussi parfois j’ai les mains moites. »
Marie, 16 ans, lycéenne, Colombes