Léa M. 14/06/2025

Je suis ton père

tags :

Alors qu’elle n’avait rencontré son géniteur qu’une fois, Léa a dû quitter le Congo pour aller vivre avec lui, en France. En plus de découvrir un nouveau pays, elle a appris à vivre avec un homme qu’elle ne connaissait pas.

J’ai quitté ma maison à 16 ans pour aller rejoindre mon « géniteur » en France. Quand j’avais 10 ans, ma mère m’a annoncé qu’il voulait apprendre à me connaître, qu’il voulait que j’habite avec lui en France. Que je quitte ma mère, ma famille, mes amies et mon pays, le Congo, pour le rejoindre. 

J’étais triste d’apprendre qu’un jour je quitterai ma mère pour un inconnu, juste parce que lui le voulait. Mais j’étais aussi enthousiaste de visiter un autre pays que celui où je suis née. Ma mère voulait que j’aille en France pour les études et pour m’épanouir. Elle m’a convaincue que ce sera une bonne expérience de vivre sans elle, de se débrouiller toute seule. Je veux faire médecine. En France, c’est plus avancé qu’au Congo. Ce sont mes parents qui me le disaient et ils ont de l’expérience, donc je leur ai fait confiance. 

D’inconnu à parent  

En 2019, mon géniteur est venu au Congo nous voir, mes frères et moi. Pour tisser des liens avec nous. Il m’a rassurée. Il m’a dit : « Peut-être qu’en 2022 si Dieu le veut, tu viendras vivre à la maison. » J’étais impressionnée de voir qu’il tenait à nous, mais je n’arrêtais pas de me dire qu’il voulait juste se faire pardonner de nous avoir laissés depuis notre enfance. 

Je suis arrivée en France en décembre 2022. Il faisait froid. C’était l’hiver. Habillée avec un simple t-shirt et un jean, je ne m’étais clairement pas préparée physiquement à ce changement soudain de climat. Au loin, j’ai alors aperçu mon père biologique. Il était ému de voir ses enfants. Il nous a serrés dans ses bras pour nous montrer à quel point il était content de nous revoir. Il s’est empressé d’appeler notre mère pour lui montrer qu’on était sains et saufs auprès de lui. 

Je ne sais pas comment mes frères se sentaient, mais moi j’étais toujours en face d’un inconnu que je n’avais vu qu’une seule fois dans ma vie. Mais cet inconnu-là a retiré son manteau pour me le donner. J’ai été marquée par son geste et je me suis dit : « Peut-être que cet homme me considère vraiment comme sa fille ? Pourquoi ne pas lui donner une chance de me connaître et de le considérer comme père ? » 

Nouveaux repères 

Nous sommes arrivés à la maison vers 6 heures du matin. Elle ne ressemblait pas du tout à celle où j’habitais au Congo. Elle était petite mais bien éclairée. Il y avait des tableaux aux couleurs chaudes, faits à partir de pièces de puzzle. Ça faisait le charme de la maison. 

Dans le salon, je pouvais sentir l’odeur des croissants chauds. Une odeur que je ne connaissais pas encore. C’est ce matin-là que j’ai mangé mon premier croissant ! On a pris le petit-déjeuner tous ensemble. On était si unis. Comme si on se connaissait depuis toujours. C’était agréable. 

Le premier jour, je n’ai pas pu visiter parce que j’étais épuisée à cause du voyage et du décalage horaire. Mes frères et mon père sont sortis. J’ai dormi toute seule dans une maison dans laquelle je ne savais même pas où se trouvait une tasse pour prendre un café.  

Pas le temps de bien se connaître

Je n’arrivais pas à lui faire assez confiance pour lui demander des choses plus intimes dont les femmes ont besoin. Peut-être que j’avais honte de demander à un homme qui n’avait jamais vécu avec des filles ? Ou peut-être que je n’étais pas prête à faire ce pas avec lui ? 

Après deux mois sans aller en cours, j’ai dû me préparer pour un examen d’admission dans un lycée. J’ai réussi le test. Mon père était à mes côtés comme l’aurait fait ma mère. J’étais contente qu’il me soutienne. Ce jour-là, on s’est rapprochés. Je pouvais voir qu’il était fier de moi. J’étais fière aussi de lui, parce qu’il m’a fait passer en priorité. 

On n’avait pas le temps de bien se connaître, il était tout le temps absent à cause de son travail, et moi j’étais toujours fatiguée car j’avais du mal à m’adapter à la vie lycéenne et au rythme des cours. Au Congo, les cours étaient de 8 heures à midi. 

Ma relation avec mon père s’améliore de jour en jour. J’ai de plus en plus confiance en lui. Même si on a des désaccords. Je veux quitter sa maison car elle est loin des universités, mais il ne veut pas vivre tout seul, comme mes frères sont partis. Tôt ou tard, je la quitterai pour fonder mon propre chez moi. Je me suis habituée à vivre sans ma mère. Je pense qu’il est temps que je parte aussi de chez lui.  

Léa, 19 ans, lycéenne, Méry-sur-Oise

 

À lire aussi…

Perdre son père, cet inconnu, par Fissenou, 18 ans. Il a grandi au Sénégal et n’a jamais connu son père, qui vivait en France. Aujourd’hui, il regrette de ne pas l’avoir rencontré.

Partager

Commenter