Heloïse F. 17/10/2022

L’épilepsie partielle, ma maladie

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Héloïse souffre de crises d’épilepsie partielles. Une maladie qu’elle traîne comme un boulet et qui demeure méconnue. 

J’ai très souvent pleuré parce que je ne comprenais pas pourquoi ça m’arrivait à moi et pas aux autres. Et pourquoi personne ne comprenait ce que je vivais. Les gens ont généralement deux réactions lorsqu’ils découvrent mon secret : la pitié ou la panique. Dans les deux cas, c’est parce qu’ils ne connaissent pas bien ma maladie et qu’ils ne savent pas comment réagir.

Quand on pense à l’épilepsie on imagine toujours un gars allongé par terre en train de faire des spasmes, qui bave et qui est incontrôlable. Mais c’est pas toujours ça. Moi, si tu me regardes quand je fais une crise, il y a des fortes chances pour que tu ne le remarques même pas si je ne te le dis pas. Parfois quand ça arrive, on ne me prend pas au sérieux. J’ai déjà entendu des profs me dire : « T’as qu’à te mettre au fond de la classe pour te reposer » (mais what ?). D’autres pensaient que je voulais juste sécher les cours…

On me demande souvent ce qu’il faut faire pendant les crises. Et le pire, c’est que moi-même je ne sais pas vraiment quoi leur répondre, à ces gens. Déjà parce que sur le moment je suis sur une autre planète mon gars (même si j’entends toujours les conversations), donc je suis pas capable de me gérer toute seule – c’est d’ailleurs pour ça que je demande de l’aide… mais bon. Mais c’est aussi parce que je suis tellement mal informée que je ne sais pas vraiment comment rassurer les gens ou les alerter avec les bons mots.

Les premières crises

Tout a commencé en septembre 2017. L’année de ma troisième, l’année du brevet, et ce détail a son importance. Je vous refais la scène. 8 heures. Mon réveil sonne. Je sais que je n’ai pas beaucoup de temps devant moi pour me préparer avant de partir. Comme souvent ces derniers temps, je n’ai pas beaucoup dormi. Je prends mes habits pour aller dans la salle de bain. Je m’assieds, le dos contre l’un des murs et lance le radiateur. L’air chaud qui s’en échappe me fait frissonner.

Soudain quelque chose se produit en moi, sans réussir à identifier ce que c’est ni d’où ça vient. Une sensation très désagréable, qui me parcourt le corps, très dure à décrire car je n’ai jamais vécu ça auparavant. J’ai l’impression qu’on me comprime la poitrine, comme si j’avais un poison qui se répandait à l’intérieur de moi. Et puis ça cesse. Ça n’a duré que 3 secondes mais c’était tellement désagréable que ça m’a donné la nausée. Sur le moment, j’hésite à en parler à ma mère. Ça m’a un peu fait flipper mais j’ai peur qu’elle ne me prenne pas au sérieux ou qu’elle me trouve folle. Alors j’attends.

Malheureusement pour moi, le lendemain ça a recommencé. Toujours la même sensation qui montait en moi comme un gaz qui se répandait sans qu’on puisse rien y faire. Sur le moment j’ai paniqué. Je me demandais comment faire pour que ça ne soit pas comme la dernière fois. Comment prendre le contrôle là-dessus ? Je me revois en train de m’asseoir par terre et de respirer. Puis ça s’est arrêté doucement. Ça s’est dispersé et je suis revenue à moi.

Et ça a recommencé, pendant une semaine. De plus en plus longtemps. De plus en plus incontrôlable. J’ai fini par en parler à ma mère et elle m’a écouté sans vraiment comprendre parce qu’elle n’avait jamais entendu ça. Elle m’a demandé de décrire plus et m’a dit qu’on suivra ensemble comment ça va évoluer.

L’événement de trop

L’événement de trop est arrivé en cours de physique. C’était la première fois que ça m’arrivait en classe et franchement, j’ai vraiment eu peur. C’était différent cette fois. C’est comme s’il y avait eu un élément déclencheur. Je me tenais là devant mon cahier, assise sur les très hautes chaises des salles de labo. J’ai demandé à ma voisine si je pouvais lui emprunter son stylo et d’un coup le temps s’est arrêté. J’ai regardé autour de moi et c’est comme si j’étais dans un rêve. J’avais l’impression que ma tête flottait et que plus personne ne pouvait me voir. C’était vraiment comme si aucune de mes actions n’avait d’impact sur les autres. Comme si je pouvais me balader dans la salle et que cela ne choquerait personne.

Mais malgré ça j’avais toujours une part de conscience. Je savais pertinemment au fond de moi que j’étais en cours. Que les gens me voyaient. Je ne pouvais pas sortir de cet état. Je ne contrôlais rien. Je me sentais faible physiquement et je me laissais juste porter par cet état. Mon corps était lourd. Si lourd que j’avais l’impression d’avoir des poids partout et que je n’avais plus la force de les porter. J’étais calme de l’extérieur mais mon cœur battait beaucoup trop fort. Je respirais mal. Je faisais une crise d’angoisse.

Puis petit à petit, je suis revenu partiellement à moi. J’ai repris conscience que des gens étaient présents autour de moi. J’avais peur qu’ils aient remarqué ce qu’il m’était arrivé car je ne voulais pas qu’on me catégorise comme la meuf folle, alors je n’ai rien dit. Mon but depuis toujours est de faire le caméléon pour qu’on ne me remarque pas. Je me sentais de plus en plus mal, je commençais à avoir froid alors que l’air était chaud. J’avais mal à la tête, je me sentais super fatiguée et j’avais des vertiges. À la fin du cours j’ai eu beaucoup de mal à ranger mes affaires et à sortir.

Épilepsie partielle

Le neurologue (médecin du cerveau) que je suis allée voir avec ma mère m’a diagnostiqué comme épileptique faisant des crises partielles. Il m’a très mal expliqué ce que c’était alors pendant deux ans, j’ai subi sans comprendre. Il m’a prescrit un traitement et je faisais des prises de sang toutes les deux semaines pour voir si mon organisme réagissait bien. Malheureusement ça n’a pas été le cas. J’ai dû changer de traitement car je commençais à avoir des effets secondaires. Des idées noires. L’impression qu’on me suivait en permanence et un mal-être profond. J’ai eu la chance par la suite d’avoir une consultation (unique) avec une autre neurologue et elle a pu beaucoup mieux m’en parler, me rassurer et m’expliquer ce que je vivais et ce qui se passait dans mon cerveau à ce moment-là.

En fait, quand tu fais une crise d’épilepsie partielle c’est que tes neurones, dans une petite partie de ton cerveau, décident d’un coup de trop interagir entre eux. C’est-à-dire qu’ils envoient des décharges électriques dans des zones où ils ne devraient pas le faire. On appelle ça une hyperactivité électrique. Ça dépend des personnes, mais moi ça se déclenche d’un coup et ça peut être provoqué par du stress, de la fatigue, la prise d’alcool, de stupéfiants et des stroboscopes. La différence avec une crise totale où la personne perd conscience et convulse, c’est que lors d’une crise partielle la zone d’hyperactivité reste localisée et ne s’étend pas. C’est pour ça que je reste consciente. Il faut quand même surveiller ça de près car une crise partielle non maîtrisée peut (même rarement) se transformer en crise totale qui est dangereuse pour le cerveau.

Différente des autres

On pense que mon épilepsie s’est déclenchée à cause de mon manque de sommeil et du stress causé par le passage du brevet. Bien sûr ça n’arrive pas à tout le monde mais moi c’est la manière que mon corps a choisie pour extérioriser mes angoisses. J’ai très longtemps subi ça comme une injustice (même maintenant ça m’arrive). Pourquoi tous les jeunes de mon âge pouvaient se coucher tard sans problème, boire de l’alcool et passer leur permis de conduire (ce que je ne peux pas faire car c’est dangereux si je fais une crise au volant) alors que moi j’étais condamnée à prendre des médicaments tous les matins et soirs ? Condamnée à être fliquée par mes parents qui stressent pour moi. Condamnée à faire des prises de sang tous les mois. Condamnée à faire des analyses avec des électrodes sur la tête.

Pendant trois ans, rien n’était équilibré. J’étais obligée de sortir pendant les cours au moins une fois par semaine parce que je faisais une crise d’épilepsie qui se transformait quelques minutes plus tard en crise d’angoisse. L’infirmière du lycée était devenue ma meilleure pote et j’ai esquivé comme ça quelques contrôles (c’est pas de ma faute, hein). Mais je n’ai jamais abandonné. Maintenant je me suis fait à l’idée de vivre avec ça. C’est dur parfois, mais je sais que c’est assez fréquent chez les jeunes de mon âge et que je ne suis pas toute seule à lutter contre ça. Je sais aussi que comme je fais des crises partielles et que mon traitement fonctionne bien, il y a de grandes chances pour que mon épilepsie s’arrête vers 21 ans. C’est l’âge où notre cerveau atteint sa maturité et où il s’équilibre.

Dépendre d’eux

Ma famille, surtout ma mère, s’inquiète beaucoup pour moi. Elle me demande à chaque fois de décrire mes crises. Je dois noter sur un papier la date et l’heure. Ce que je ressens sur le moment. Elle me communique son stress alors moi aussi je deviens stressée. C’est devenu tellement pesant à un moment que j’ai arrêté de lui en parler. J’ai géré ça seule tout mon lycée, un peu accompagnée par l’infirmière et mes potes.

Au cours des années, j’ai appris à plus communiquer sur mon état de santé et à prévenir si je faisais une crise que je n’arrivais pas à gérer seule. J’ai aussi appris à mettre en place des réflexes à avoir et à prévenir les gens à l’avance que je suis épileptique. Et ça, ça a été le plus pesant pour moi, surtout sur le plan social. Savoir que où que j’aille,  je devais annoncer que j’étais la meuf malade. J’avais peur qu’on me colle cette étiquette parce que moi je le voyais comme une faiblesse. Et lors de mes crises, je me sentais faible. Plus d’énergie. L’impression d’avoir forcément besoin de l’aide de quelqu’un et donc de dépendre de cette personne.

Malheureusement on ne parle pas du tout assez des crises partielles dans l’épilepsie. On reste beaucoup plus sur le cliché du mec qui panique. Aujourd’hui, même après 5 ans, je me sens toujours aussi mal informée et c’est très dur et douloureux d’évoluer dans le brouillard sans savoir si on va s’en sortir ou si ça va rester toute la vie. Je suis quand même très fière de moi d’avoir pu continuer ma scolarité en étant épileptique. Je suis fière de m’être relevée à chaque fois que ça n’allait pas et chaque fois que je voulais abandonner. Parce que finalement la personne qui m’a le plus aidé dans tout ça… c’est moi. Moi seule vis et ressens mes crises. Moi seule sais ce dont j’ai besoin sur le moment.

Héloïse, 17 ans, volontaire en service civique, Évry 

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