Maladie de Crohn : je perds confiance
Chaque fois que les gens me regardent, j’ai l’impression d’être idiot. Parce que je suis tout le temps fatigué, mais je ne sais pas ce que j’ai. On me dit que je suis atteint de la maladie de Crohn, une maladie inflammatoire qui touche le système digestif. Mais malgré les traitements, je souffre toujours et je n’en peux plus des médicaments.
À 9 ans, j’ai commencé à saigner en allant aux toilettes. Mes parents m’ont emmené à l’hôpital, et c’est là qu’ils ont découvert que j’étais malade. Le médecin a beaucoup tourné autour du pot avant de me dire le nom de cette maladie. Il m’a d’abord dit que j’allais être souvent très fatigué, et que je n’allais peut-être pas beaucoup grandir ni grossir. Il m’a aussi parlé d’injections à faire. Bref, il m’a parlé de la maladie de Crohn, cette inflammation aiguë qui frappe l’intestin et provoque des crises.
Médicaments et caméra dans le ventre
L’hôpital a été un vrai choc. Je n’y étais allé qu’une fois dans ma vie, et pour une simple cicatrice. Mes parents étaient positifs en arrivant, ils ne pensaient pas que j’avais une maladie aussi sérieuse. J’ai dû prendre un premier médicament pour me faire grossir, puisque je ne prenais pas de poids à cause de mes problèmes digestifs. Mais j’ai fait une allergie au médicament. Ensuite, j’ai eu des perfusions tous les midis, associées à d’autres médicaments. En plus de ça, je fais un scanner une ou deux fois par an. Enfin, il m’arrive aussi de devoir subir des vidéocapsules endoscopiques : c’est une méthode invasive permettant d’observer mon système digestif. En clair, c’est une caméra qu’on met dans mon ventre.
Depuis cette année, je vais un peu mieux alors on a encore changé le traitement : une injection tous les deux mois. J’ai du mal à comprendre vraiment à quoi sert cette injection. C’est vrai que mon état s’est amélioré, mais après chaque visite de l’infirmière à domicile, j’ai des maux de têtes terribles. J’ai l’impression d’être en surdose. Alors je me demande si on ne pourrait pas envisager un autre traitement, qui me ferait plus de bien. Mais je n’ose pas en parler à mon médecin : j’ai peur qu’il me donne encore plus de médicaments à prendre…
Compris par mes profs, pas par mes parents
L’autre gros problème, c’est que je suis tout le temps fatigué. Surtout cette année, même si j’avais déjà connu une « crise » comme cela quand j’étais en primaire. J’ai l’impression que mes parents ne comprennent pas que ma maladie atteint aussi ma santé mentale. Il y a eu une période où j’avais des pensées envahissantes, où je sentais que j’avais de la violence en moi, même si je ne suis pas du tout quelqu’un de violent. J’en avais parlé à mes parents, mais vu que ma souffrance n’était pas visible pour eux, ils ne m’avaient pas trop écouté. D’ailleurs, mon père n’est pas trop investi de manière générale, sauf sur ce qui concerne mon physique : j’ai l’habitude qu’on me traite de « bâton » parce que je suis très mince, alors mon père m’a dit qu’il allait essayer de m’inscrire à un cours de sport.
À l’inverse, je me sens plutôt bien compris par mes professeurs au collège. Ils savent par exemple que si je n’ai pas envie de travailler, il ne faut pas me forcer car c’est que ma fatigue prend le dessus. Mes camarades ont appris à me connaître aussi. Ils savent que même si je suis très calme, il ne faut pas m’énerver car parfois j’ai du mal à me maîtriser, surtout face aux injustices. Au début de l’année par exemple, j’ai failli me battre contre des grands du collège parce qu’ils avaient volé le sac d’un petit de cinquième. Je sais que je ne dois pas m’énerver, mais j’aimerais aussi que les jeunes me prennent plus au sérieux. Qu’ils comprennent que c’est pas parce que je suis maigre que je ne suis pas capable de m’imposer ou de défendre les autres.
Mais le principal message que j’aimerais passer, il s’adresse aux parents qui ont des enfants malades comme moi. J’aimerais que les parents écoutent plus leurs enfants. Je sais que ça peut paraître bizarre qu’avec le temps, je pense que mon diagnostic est une erreur. Mais si mes parents écoutaient mes doutes, on pourrait trouver une solution pour un traitement qui me convienne mieux. Car en attendant, je me sens incompris. Et pareil pour les médecins : je sais qu’ils peuvent être attentifs à ce que je vis, mais je n’ose pas leur parler de mes doutes car au final, la décision du traitement leur revient, et ils peuvent décider ce qu’ils veulent de moi.
Mathieu, 15 ans, collégien, Marseille
Ta maturité est impressionnante pour ton âge.
Je suis également malade et j’ai passé une bonne partie de ma jeunesse à l’hôpital. Et le témoignage que tu apportes de la maladie chronique, entre l’expérience de l’hôpital, les TTT, les doutes sur le diagnostique, le rapport au médecin, l’impact psychologique de la maladie qui devient plus envahissant que la maladie elle même, la rébellion face aux injustices, et… les parents… Ce témoignage est criant de vérité. Cette vérité est celle d’énormément de monde et toi tu as eu le courage et tu as su la raconter. Tu as su t’imposer, et en défendant ton histoire tu en as défendu d’autres.
Avec les médecins on peut s’imposer aussi. Car justement la décision du TTT leur revient. Et ils ont besoin de toutes les informations pour prendre la bonne décision. Mon médecin, je lui demande de tout m’expliquer à propos de ma maladie, du fonctionnement des TTT… Tout tout tout. Et je lui dis tout ce que je pense et ressens en lien avec ma maladie. Même si il faut se répêter. Car ils ont vraiment beaucoup de patients. Parce qu’il est normal de comprendre et d’être inclus dans son processus de soin. Ça peut prendre plus ou moins de temps d’établir une relation de confiance. Maintenant nos consultations sont constructives et je ne ressens aucune hiérarchie entre mon médecin et moi.
Je ne t’apporte que mon expérience, mais j’espère avoir pu t’aider un peu. Comme tu aides beaucoup en partageant ton expérience. Et j’espère que le message que tu délivres aux parents ayant des enfants malades sera entendu.