Théry G. 11/01/2024

Manipulé sur internet par un gourou

tags :

À 15 ans, Théry a fait une grosse dépression. En cherchant du soutien et des réponses, il s'est intéressé à un youtubeur qui parlait d'alchimie, une discipline peu connue et parfois controversée. Sauf que certaines de ses sources n'étaient pas très fiables, voire dangereuses.

En primaire, je m’intéressais beaucoup aux sciences et aux technologies mais je n’étais pas vraiment écouté par mes proches. Au contraire, j’étais souvent dévalorisé. J’étais turbulent à l’école parce que je ne supportais pas l’ambiance anxiogène. L’été 2016,  alors que j’avais 15 ans, je suis tombé en dépression. Je me sentais très seul. Je ne trouvais aucune échappatoire pour améliorer les choses.

Je cherchais à me divertir, pour faire descendre la pression et la tristesse. Un soir, j’ai vu que mon grand frère avait laissé un manga qui s’appelait Fullmetal Alchemist à la maison. Le tome était sur mon bureau et, toutes les deux secondes, je tournais la tête pour le regarder. Le terme « alchimie » m’intriguait. C’était une discipline qui utilisait des codes de langage qui n’étaient pas habituels pour moi.

Je me demandais ce que c’était, l’alchimie. Petit à petit, j’ai découvert qu’il s’agissait d’une discipline qui consistait à travailler sur les métaux ou les végétaux pour changer leurs teintures. Par exemple, quand le fer s’oxyde, il devient rouge, c’est une sorte de teinture métallurgique. L’idée de l’alchimie c’est en fait d’utiliser des éléments naturels pour recréer ces réactions, ces modifications de couleurs. C’est une discipline qui date du Moyen-Âge, donc à prendre avec des pincettes.

Trouver des réponses sur YouTube

Pour bien comprendre tout ça, j’ai commencé à faire des recherches plus approfondies. Les résultats ne me satisfaisaient pas, alors je suis allé sur YouTube. C’est comme ça que je suis tombé sur pas mal de documentaires. Un homme en particulier sortait du lot. Il allait à contre-courant, promettait monts et merveilles avec l’alchimie. Il utilisait énormément de raisonnements qui semblaient logiques. Ses vidéos étaient bien référencées, il prenait toute l’attention.

À cette époque, j’avais le cœur brisé et je souffrais de solitude. Je voulais y croire, faire partie de quelque chose. Je suis tombé très vite sous son emprise, absorbé par ses paroles. Je suivais toutes ses conférences, pour en apprendre toujours plus. Il teasait des informations sans jamais dévoiler ses sources. Il prenait des extraits de livres d’auteurs alchimistes de diverses époques dont des gourous new age de pays étrangers. Il faisait un pot pourri de tout et vendait aussi des livres. Il parlait aussi beaucoup de développement personnel et de vie après la mort, sans forcément de lien avec l’alchimie. Par exemple, il y avait une formation qui s’appelait : « Apprenez à discuter avec vos défunts » pour 2 500 euros.

À ce moment-là, j’avais l’impression d’avoir compris quelque chose qui pourrait me valoriser aux yeux des autres. J’avais trouvé un objectif. Les symptômes de la dépression s’atténuaient et je me sentais bien. À la rentrée au lycée, j’ai décidé d’en parler à tout le monde. Je pensais bien faire, mais finalement les profs et ma famille me jugeaient. On faisait une différence de traitement entre moi et les autres. Seul mon frère a compris ma démarche et m’a offert un livre sur le sujet pour développer mon esprit critique. Les autres me traitent globalement comme un sombre demeuré.

S’éloigner des autres

J’avais juste besoin d’aide pour démêler le vrai du faux. À la place, j’ai eu le droit à des propos comme « tu es malade » ou « il est dans sa bulle ». On peut dire que le soutien n’était pas au rendez-vous. À cette époque, j’étais pas mal étriqué dans ma façon de penser. Je partais du principe que s’ils étaient contre moi, c’était parce que le gourou avait raison et que cette vérité les effrayait. Je m’enfermais de plus en plus, passant de plus en plus de temps sur la chaîne YouTube de l’alchimiste, pour trouver du réconfort.

En 2020, j’ai vu mon gourou harceler une jeune femme qui refusait de faire la promotion de son école à 200 euros le week-end. Le centre contre les manipulations mentales (CCMM) a aussi commencé à le dénoncer. J’ai alors commencé à avoir des doutes et à m’en éloigner doucement. À mesure que les voix des victimes se faisaient entendre, mon illusion se dissipait. Je me sentais seul et trahi, coupable et en colère. Je réalisais que j’avais peut-être fait confiance à la mauvaise personne et qu’une emprise psychologique pouvait aussi se faire derrière un écran.

Se raccrocher à une science reconnue

Heureusement, ma passion pour la science a repris le dessus. Pour être sûr de moi, j’ai pris deux feuilles blanches et j’ai comparé le gourou avec un alchimiste qui rapporte des faits du laboratoire. Les faits ne prouvent pas une théorie et ne valident pas non plus des croyances, c’est important là aussi de prendre les informations avec des pincettes et avec méthode. Sauf que c’était flagrant : le gourou n’avait rien à l’appui, c’était « crois-moi et tu verras », tandis que l’autre apportait des éléments chimiques avec une démarche dite scientifique.

Je m’intéresse toujours à cette discipline mais avec un angle sceptique et plus dans la recherche sur les métaux. J’ai un dossier où je stocke toutes mes sources, triées par mes soins, qui seront une base pour mes futurs travaux. Je n’ai pas encore le matos pour travailler au laboratoire mais j’anticipe déjà. Aujourd’hui, je suis très à cheval sur l’esprit critique et l’importance qu’il a sur nos relations sociales. Malgré les épreuves et les difficultés, j’ai toujours eu la capacité de me relever. J’espère pouvoir aider ceux qui n’arrivent pas à se relever, leur donner la force de ne pas baisser les bras.

Théry, 23 ans, en formation, Essonne

Partager

Commenter