Mon oncle est mort pour rien

Saïd c’est mon oncle. Il vivait dans le Sahara. C’est le frère de mon père. Il est mort en 2010, tué par un chef de police marocain. Le Maroc occupe le Sahara.

Il est dans un café en train de regarder un match de foot. Un policier bourré entre dans le bar. Il lui demande sa carte d’identité pour savoir s’il est sahraoui ou marocain. Mon oncle dit qu’il n’a pas sa carte et qu’elle est chez lui. Le policier commence à discuter et à l’engueuler ! Il lui dit : « On va se retrouver dehors ! » Mon oncle finit de voir le match puis il part avec un ami pour rentrer chez lui. Dans un coin de rue, un fourgon de police s’arrête. Le chef de la police sort du camion, il tire trois balles sur mon oncle. Une dans la tête, une dans le cœur et dans l’épaule ! Une fois que mon oncle est tué, ils prennent son corps et partent avec. J’ai huit ans à ce moment-là.

Ma famille agressée

Le lendemain du meurtre le maire de la ville vient chez mes grands-parents. Il demande à ce que personne ne dise rien. Il dit : « On va vous donner tout ce que vous voulez pour que vous vous taisiez sur ce qu’il s’est passé. » Mon grand-père répond : « Non ! On veut savoir la vérité sur la mort de notre fils. » La corruption n’a pas marché.

C’est quand mon grand-père refuse l’argent qu’on lui propose que les agressions commence pour ma famille au Sahara. La violence, jusqu’à l’utilisation des armes ! On manifeste avec les drapeaux du Sahara et on demande à connaître la vérité sur la mort de mon oncle ! Jusqu’à aujourd’hui ma famille est encore embêtée parce qu’elle veut savoir et que l’État marocain leur cache tout ! L’État marocain ne veut pas que ça se sache pour ne pas nuire à l’image du pays.

Depuis qu’ils ont refusé la corruption, je vois ma famille se faire agresser. Je vois de mes propres yeux mes oncles, mes tantes, ma grand-mère se faire frapper. Un jour, la police entre dans leur maison pour les violenter. Ma grand-mère est en sang. Moi je vois tout ça. J’ai une grande colère. J’ai la rage encore aujourd’hui.

J’avais 8 ans et je m’en souviens comme si c’était hier. J’ai vécu ça toutes les fois où je suis allé au Sahara voir ma famille. Aujourd’hui, ça fait treize ans que ça dure.

Un crime totalement impuni

En fait c’est une fois par mois qu’il y a des intimidations devant la maison de ma famille. Chaque 22 du mois, ma famille se réunit devant sa maison et manifeste pour demander où se trouve le corps de mon oncle !

Ma tante fait une vidéo pour demander où est le corps et pourquoi il a été tué. Cette vidéo est ensuite partagée sur les réseaux sociaux et par la télé de différents pays, notamment en Espagne. Une fois que la police comprend que la vidéo est partagée, elle arrive et commence à être violente avec ma famille. Je pense que mon grand père est mort de cette histoire. Il a eu un cancer des amygdales. Probablement à cause de la rage qu’il avait pour la mort de son fils qui était le plus jeune. Il avait 22 ans quand il a été tué.

Le policier qui a tué mon oncle a disparu de la circulation. L’ami de mon oncle qui a été témoin du meurtre est parti aussi. Les autorités marocaines ont payé pour qu’ils se taisent et pour qu’ils déménagent, pour qu’ils disparaissent. L’État marocain lui a donné de l’argent et il n’a jamais essayé de nous recontacter. Il est parti avec toute sa famille ! Quant aux témoins dans le bar, même sort pour eux ! Tous ont disparu de la circulation et le bar a été fermé. Ils ont tous disparu, payé par le Maroc pour disparaître et ne jamais dire ce qui s’est passé.

Yamila, 18 ans, volontaire en service civique, Strasbourg