Redécouvrir la mythologie grecque, ma plongée en eaux troubles
Des idées de romans qui n’ont jamais abouti, j’en ai eu des tas. J’ai toujours aimé écrire, j’ai toujours voulu être publié. Alors, cette fois, j’ai décidé d’aller jusqu’au bout ; je vais l’achever ce roman. J’ai souhaité inspirer ma fiction de la mythologie grecque. Les productions modernes et la pop-culture ayant quelque peu influencé la perception que je m’en étais forgée de ces vieilles histoires. Il me semblait nécessaire que je me documente. Je voulais être le plus fidèle possible au matériau d’origine, je désirais comprendre l’essence de ces grands personnages pour correctement les mettre en scène. C’est avec cet objectif que j’ai entamé mes recherches. Je ne m’attendais certainement pas à ouvrir ma propre boîte de Pandore.
En commençant ces recherches, je me suis plongé à corps perdu dans ces anciens récits sans trop savoir par lequel démarrer. Je m’attendais à trouver de grands dieux magnifiques et héros vertueux. La vérité m’a quelque peu heurté au visage pour me laisser à la fois fasciné et révulsé. Je suppose que, lorsque ces mythes ont émergé il y a plus de deux mille ans, le vernis qui masquait toute cette crasse devait être bien plus rutilant. Mais, deux millénaires plus tard, de nombreux éléments de ces histoires résonnent beaucoup trop bien à mon goût avec notre propre société.
Des héros violents et violeurs
Zeus, Poséidon, Apollon, Dionysos… Tous ont trompé bon nombre de femmes dans l’unique but de les séduire. Pire encore, ils ont agressé ou violé celles qui se refusaient à leurs avances. Zeus se métamorphose pour abuser d’Europe, Poséidon force Méduse à se soumettre à ses désirs, Apollon crache dans la bouche de Cassandre lorsqu’elle refuse de coucher avec lui, et Dionysos ment à Erigone pour gagner ses faveurs. Des hommes de pouvoir usant de leur statut pour abuser de femmes ou les agresser sexuellement, c’est un tableau que je constate toujours bien trop de nos jours. Gérald Darmanin, Léo Grasset, Adrien Quatennens, Harvey Weinstein, Roman Polanski… La liste peut encore s’allonger, mais tous ont ce point commun : avoir été en position avantageuse et en avoir profité pour abuser voire sexuellement agresser une ou plusieurs femmes. Le contexte est toujours différent, mais ce même schéma se répète, les scandales sexuels s’égrainent, et les fautifs s’en tirent bien trop souvent avec une simple tape sur la main.
Les mortels ne sont pas non plus en reste. Ces soi-disant héros, dont on nous narre les exploits, ne sont en réalité que des raclures aussi abjectes que les dieux. Thésée laisse Ariane seule sur un rivage alors qu’elle lui a permis de triompher du Minotaure. Héraclès tue sa femme Mégara et leurs enfants d’un accès de folie. Ulysse reste vivre sept ans chez la nymphe Calypso alors que sa femme l’attend. Jason abandonne Médée alors qu’elle lui a permis d’obtenir la Toison d’or. Ces héros, violents et violeurs, ne sont adorés qu’au travers de leurs prouesses physiques et de leurs victoires contre leurs adversaires. Des hommes élevés au rang de modèles par le prisme d’un culte de virilité ou de personnalité ; là encore, ne vivons-nous pas au sein de cette même équation ?
Je sais que l’on n’idolâtre pas ceux qui exercent la violence, et ceci est tant mieux. Mais j’ai tout de même l’impression qu’on persiste à accorder du crédit, voire de l’admiration, à des personnes qui véhiculent des idées tout aussi impactantes. Combien de dérapages l’influenceur Thibaud Delapart (Tibo Inshape) a pu opérer sans être plus inquiété que par une polémique passagère ? Combien de fois Cyril Hanouna a pu défrayer la chronique avec des propos, mises en scène ou prises de partie inadmissibles et continue d’occuper une place non-négligeable en access prime time à la télévision ? Comme Thésée ou Jason, ces hommes usent et abusent de leur position dominante face à des personnes qui ont souvent du mal à répliquer. J’ai l’impression de les voir jouer de ces rapports de domination pour servir leur propre agenda, et faire comme si rien ne s’était passé le lendemain. Je constate que notre société s’est juste forgée de « nouveaux héros », de nouvelles figures sans honte qui ont juste à se farder d’excuse ou de mépris et à continuer comme si de rien n’était ; et cette perspective me glace.
La mythologie m’a tant pris qu’elle m’a appris
Je continue de lire ouvrage après ouvrage. J’essaye de trouver une réponse à ce paradoxe sans jamais parvenir à m’arrêter. Je suppose que j’insiste car j’ai espoir de trouver, un jour sur une page, les raisons de toutes ces similitudes. Au quotidien, j’ai l’impression d’avoir fait un aller-retour dans le temps et, en revenant à la réalité, d’être quand même resté bloqué dans le passé. Ça parait idiot, mais
c’est un sentiment qui m’angoisse, qui m’envahit régulièrement, à chaque fois que j’y pense ou que je travaille sur mon roman. À chaque fois qu’un nouveau scandale émerge, je ne peux pas m’empêcher de ressentir une grande mélancolie ; et je me mets à penser que nos valeurs et idéaux d’aujourd’hui ne servent à rien si c’est pour ne pas changer.
La mythologie grecque m’a tant pris qu’elle m’a appris. Je ne pourrai plus jamais revoir ces films ou lire ces fictions en faisant semblant de ne pas être conscient de tous les crimes des dieux ou des héros. Ça n’a pas été une simple douche froide, mais plutôt un raz-de-marée sur tout l’imaginaire que je m’étais construit autour de ces figures célèbres. Même à échelle personnelle, ça m’a plus que secoué. Si j’avais été une femme, j’aurais dû m’appeler Athéna, c’est ce que ma mère m’a appris quand je lui ai posé la question il y a longtemps. J’étais flatté et fier de ce choix, j’aurais pu porter le nom de la déesse stratège et de la justice. Elle a fait partie de mes modèles, elle était chère à mes yeux. Quand j’ai découvert le monstre qu’elle était vraiment, du jour au lendemain cette image s’est complètement brisée. Jamais je ne voudrais être un tant peu lié à cette déesse maintenant que je sais tout ce qu’elle a fait…
Ces mythes ont émergé pour expliquer, dans ces anciens âges, des phénomènes cosmiques et métaphysiques, mais aussi pour divertir. Si aujourd’hui nous n’avons plus besoin d’expliquer ces phénomènes grâce à la science, j’ai tout de même la sensation que ces images sont restées dans nos inconscients. Je vois ces mêmes idéaux de grandeur ou de pouvoir émerger, je sens qu’on a toujours besoin de ces parangons de vertu ou de ces utopies humaines. Mais je vois aussi qu’on prend toujours les revers de ces pièces, même si on fait mine de ne pas les voir, de les oublier, voire de les nier. Et, pour moi, ces nouveaux héros, ces nouveaux dieux, servent exactement à la même chose qu’auparavant : se dédouaner de nos propres actes. Car si c’est un modèle qui les accomplit, alors il a forcément raison, et à quoi bon s’embêter à le questionner ?
Rendre la voix à ces personnages oubliés
J’espère qu’écrire le livre qui m’a amené à faire ces recherches m’apportera une certaine sérénité une fois achevé. Mais, plus que de la peur, c’est aussi de la colère que je ressens, de la colère pour ces dieux et ces hommes violeurs. J’ai de la peine pour ces femmes abusées, ces âmes torturées. Et j’ai de la pitié pour tous ces monstres vaincus par la folie des grandeurs. Dans ce cas, si la mythologie est bien notre reflet, ne sommes-nous pas les véritables monstres ? Après tout cela, je sais ce que je dois faire, je ne peux plus continuer de vivoter sans partager ma découverte. Je vais écrire et finir ce roman en mettant en scène ces personnages mythiques de la façon la plus fidèle possible à leurs êtres d’origine. Je vais montrer au monde à quel point ces dieux et ces héros sont abjects.
Je vais mettre en lumière tout le mal qui a été fait à ces femmes, toutes ces violences dont elles ont été victimes et continuent de l’être. Et, pour parvenir à cela, je vais rendre leur voix à ces personnages oubliés ou bafoués. Toute l’histoire et la narration seront de leur point de vue, afin de retranscrire leur peine et leur détresse le plus fidèlement possible. Je veux qu’au travers de leur regard, tout le monde puisse voir ce que j’ai pu découvrir durant mes recherches. Chaque chapitre sera uniquement dédié à un de ces personnages gravitant autour des dieux et héros et subissant leurs caprices. Et la narration principale suivra les mythes bien connus de la mythologie grecque, le tout pour un voyage au sein de la mythologie telle qu’elle avait été racontée des millénaires avant nos jours.
Hugo, 27 ans, salarié, Levallois-Perret