Mon père, je suis habituée à ne pas en être proche
On est le 21 juillet, c’est mon anniversaire. 16 ans déjà ! Je suis en colonie de vacances. Au moment où l’on nous laisse nos téléphones, j’appelle mon père, toute joyeuse, il décroche et j’attends… qu’il me souhaite un bon anniversaire. Mais ça ne fut pas le cas. Il a oublié. J’ai fondu en larmes peu après, triste qu’il n’y ait pas pensé.
On est maintenant en février, avec le recul, je pense que c’était normal, c’est mon père, il est comme ça. Il ne retient presque rien si on ne lui rappelle pas. J’ai l’impression qu’il n’accorde pas grande importance à ma vie. Je le compare beaucoup à ma mère, qui elle, retient les choses que je dis, importantes ou non. Mon père lui, c’est à peine s’il arrive à se souvenir du prénom de mon copain, ou de certains amis alors que je les connais depuis plus de 3 ans. Il ne connaît pas mes horaires de lycée, ma couleur préférée et ma taille de vêtement. Il ne sait pas ce que j’aime comme gâteau ou comme yaourt.
Tout ça sans mon père
Moi, je suis plus la fille de maman que de papa. Mon père a fait l’armée puis est devenu gendarme. Il partait très souvent en déplacement, du jeudi au dimanche en général. La semaine, il travaillait beaucoup. Il commençait tôt et finissait tard. Je dormais déjà quand il rentrait. Je ne l’ai donc pas énormément vu pendant mon enfance.
J’habitais dans une caserne, de gendarmes évidemment. Tout le monde se connaissait. Ça a ses avantages et ses inconvénients. On voyait du monde. Les plus jeunes, comme moi à l’époque, jouaient dans la cour pendant que les parents discutaient. Le week-end, on restait tard et souvent, surtout l’été, un repas se préparait sur les tables de pique-nique. Encore une fois, tout cela était sans mon père. Tous les maris partaient donc c’était des soirées entre femmes.
Ma mère s’occupait bien de moi, mais la présence d’un père me manquait. Il était là pour mes anniversaires et pendant les vacances, mais il faisait toujours autre chose. On n’a jamais fait d’activité, ou de sortie en famille car il avait « la flemme », comme il le disait si bien.
On ne se parle pas
Je lui en veux de ne jamais s’être vraiment intéressé à moi. Il m’a beaucoup donné certe, mais rien appris avec le coeur. J’aurais préféré le contraire : aller à la pêche, ramasser les champignons, qu’il m’explique ses passions pour les partager avec lui, ou qu’il prenne le temps de s’intéresser aux miennes. Mais, ce n’est pas le cas, et je ne pourrai jamais lui dire, il dirait le contraire ou ne voudrait tout simplement rien entendre.
Maintenant, il a pris sa retraite. Il est à la maison toute la journée mais je ne le vois pas plus souvent pour autant. En fait, je me suis habituée à ne pas être proche de lui. Dès que je rentre, je vais dans ma chambre. Je ne sais pas ce qu’il pense, ce qu’il ressent, je ne sais presque rien de lui. C’est compliqué de se confier à quelqu’un dont on ne sait rien, quelqu’un qui n’a jamais demandé comment ça allait.
Il y a eu cette période au collège où ça n’allait pas : les moqueries des autres un peu trop souvent. Il n’a rien vu ! J’avais de bonnes notes, c’était ce qui comptait pour lui. Je n’ai jamais travaillé, j’avais des facilités. Maintenant, au lycée c’est différent, je ne peux plus me baser sur mes facilités alors, j’ai de moins bonnes notes. Il le remarque et il crie. Je préférerais juste qu’il prenne le temps de parler, calmement, et de m’écouter plutôt que de m’engueuler. Je sors souvent pour éviter ces embrouilles, je vais voir mes amis et je profite d’être avec eux pour ne plus y penser.
Des amis à la place d’un père
Quand j’en ai eu l’âge, j’ai vite remplacé le temps normalement accordé par mon père, par celui que m’accordent mes amis ou par des sorties. La relation avec mes amis a plus ou moins remplacé celle avec mon père. Ils étaient là pour moi, dans toutes les circonstances. Je pouvais me confier à eux comme je l’aurais fait avec mon père. Je pense que les amis deviennent comme des parties de la famille. Ils ont complètement pris la place de mon père.
Quand j’aurai 18 ans, j’aimerais partir de chez moi. Je veux vivre avec quelqu’un qui s’intéresse vraiment à moi et qui fait des efforts. Je pense, du moins, je l’espère, que la relation avec mon père s’arrangera parce que j’en ai vraiment envie. Je ne veux pas le priver de moi pour les années à venir, mais je ne veux pas non plus être la seule à faire des efforts. S’il veut et montre qu’il fait des efforts lui aussi, d’accord, sinon je ne reviendrai que pour voir ma mère.
Juliette, 16 ans, lycéenne, Paris