Alix R. 21/12/2022

Plaquer ma thèse pour me sentir utile

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Plus Alix travaillait pour son doctorat, moins elle comprenait le sens de ses efforts. Elle n’avait qu’une envie : se sentir utile.

J’ai longtemps rêvé d’un travail qui m’épanouirait, où je ne trainerais pas des pieds pour y aller. Les années d’études sont passées et ont reporté à plus tard ce moment où l’on cherche le sens que l’on souhaite mettre dans son métier. Et puis, l’opportunité de faire une thèse est arrivée. J’étais en master 2 à la fac de sport.

Je n’ai pas pris le temps de réfléchir et je me suis laissée porter par l’encouragement de mes profs et de mon entourage. On me disait souvent : « Tu as le profil parfait, tu es une étudiante brillante. » Les résultats du concours sont tombés : j’ai obtenu le contrat de trois ans de l’école doctorale. Il me permettait de travailler sur l’engagement des personnes dans le sport santé en milieu rural. À peine une semaine pour fêter cet événement, et me voilà lancée pour trois ans de recherche.

Trois ans, c’est à la fois rapide et si long. C’est une expérience éprouvante qui demande un engagement de sa personne. Il est difficile de ne pas y consacrer l’entièreté de son temps. Quand ce n’est pas toi qui penses à ton sujet, à l’avancée de ta thèse, c’est ton entourage qui te répète sans cesse : « Alors, tu avances dans ta thèse ? » ; « C’est bientôt fini ? » ; « Mais concrètement, ça va te servir à quoi ? » Les réponses à ces questions, je les ai longtemps esquivées ou je répondais par des banalités.

Durant plusieurs mois, je me levais chaque jour avec cette non-motivation, cette peur de tout remettre en question. Semer le doute voulait dire laisser la place à l’erreur. Je devais m’empêcher de me dire : « Et si j’avais fait le mauvais choix ? »

Tout change au retour de Palestine

Et puis, lors d’un voyage en Terre Sainte organisé par la communauté de Taizé, je me suis retrouvée face à moi-même. Cette semaine était rythmée par des visites, des prières et des rencontres avec des Palestinien·nes qui agissaient pour leur communauté. Je me rappelle d’une Palestinienne, Rania, qui avait créé dans sa paroisse un centre social. Elle y organisait des ateliers créatifs, des aides pour les démarches administratives, des repas ou des collectes de denrées et de vêtements pour celles et ceux qui en avaient besoin. J’ai trouvé ça incroyable, l’énergie qu’elle mettait pour rendre son action possible, l’espoir qu’elle gardait au nom de sa foi pour que les conditions de vie des paroissien·nes s’améliorent.

Des témoignages comme celui de Rania, j’en ai entendu d’autres durant cette semaine. Ça m’a bouleversée. Je me suis sentie si petite et impuissante, je me suis demandée ce que moi, je faisais pour les autres. Pour la première fois, je me suis mise à réfléchir sur pourquoi je faisais ma thèse, et à quoi ça me servait.

Portée par des temps d’introspection et de prières, je me suis rendu compte que je faisais ma thèse pour un enrichissement personnel. Elle était une sorte de défi intellectuel que je m’étais lancé. Je percevais ça comme quelque chose d’égoïste, sans réel impact concret et perceptible.

Je devais changer de voie

En rentrant de cette expérience, j’ai repris mon train-train quotidien de la thèse. Et là, un gros vide : je n’étais plus motivée. Impossible d’avancer, de trouver de l’intérêt dans ce que je faisais. J’ai commencé à passer une partie de mes journées à regarder des offres d’emploi. Pour la première fois depuis la fin de mon master, je me suis permise de me projeter dans autre chose que la thèse. Je ressentais le besoin de trouver un emploi avec un impact social. Ce que je voulais, c’était agir dans le quotidien des personnes, en rendant le sport accessible à tous.

C’est avec une certaine appréhension que j’ai informé mes directeurs de thèse que je voulais arrêter. Ils l’ont bien reçu. Ils m’ont même aidée à valoriser mes compétences et m’ont donné des pistes en me proposant de me recommander. C’était un grand soulagement, comme si un loquet venait de se déverrouiller. J’ai cherché un poste dans une association d’actions sportives, susceptible de toucher des publics précaires. Je souhaitais travailler dans un environnement qui mettait le public au centre de ses actions, pas dans un but lucratif dont le maître mot est rentabilité.

Je me sens enfin utile

Fin juin, après plusieurs jours de recherches, je suis tombée sur l’annonce d’une association. Elle œuvrait pour l’accessibilité au sport par toutes et tous, notamment les personnes les plus précaires. Ça a été un coup de cœur ! Donner des séances de sport à des personnes dans le besoin, qui ont un handicap ou un problème de santé était alors une évidence. J’allais pouvoir mettre mes compétences et connaissances emmagasinées dans mes études, ma thèse et mon engagement associatif au service des bénéficiaires de l’association.

Aujourd’hui, je suis épanouie de voir des personnes qui étaient réticentes au sport, prendre du plaisir dans les séances. Par exemple, je pense à un groupe de femmes en foyer d’hébergement d’urgence. Elles s’applaudissent à chaque fois qu’elles viennent de réussir un nouveau mouvement de danse et ne veulent plus partir quand la séance est finie. Le simple fait de les voir revenir alors qu’elles pourraient avoir toutes les excuses pour ne pas le faire suffit à me faire sentir utile.

Alix, 26 ans, salariée, Paris

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