Sarah P. 11/01/2021

La vie associative est aussi un monde de requins

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En s’engageant dans une collectivité territoriale, Clara ne pensait pas que carrièrisme et clichés seraient de mise.

J’ai commencé dans l’animation en 2008, sans diplôme, sans rien ! Au sein d’une collectivité territoriale en tant qu’animatrice. Je découvre les journées de dix heures, souvent sans pause, le bruit, le stress, le travail dans l’urgence et le manque de moyens… Le tout dans une ambiance relativement joviale et, chose essentielle, le rire ! Mais j’aime le fait qu’une journée ne ressemble pas à une autre, j’aime le contact des enfants, l’aspect créatif et surtout je le juge utile ! Je décide donc de me professionnaliser.

L’année suivante, je passe mon BP JEPS (brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport) loisirs tout public. J’en sors pleine de motivation. Je trouve en février 2011 un poste au sein du Service Politique de la ville, d’une commune du 92, en tant qu’animatrice socio-éducative.

Nous sommes implantés dans un quartier dit difficile. Nous faisons partie du dispositif PRE (programme de réussite éducative). Nos missions consistent essentiellement à faire de l’accompagnement à la scolarité, en lien avec les acteurs sociaux de la ville et l’Éducation nationale, ainsi que des loisirs éducatifs. Du moins certains enfants sont difficiles… La plupart des enfants sont agréables. Ce sont malheureusement les cas les plus durs que l’on remarque, même s’ils sont minoritaires.

J’arrive à tisser de réels liens avec l’un, un autre est en permanence dans des schémas de provocation. Nous essayons de travailler cela avec lui et la famille, mais rien n’y fait. Nous finirons, conseillés par le psy de la PRE, par le renvoyer. Il lui faut un éducateur spé ! La chef de projet nous parle continuellement de posture. Du fait que « les enfants du quartier sont confrontés à la violence aussi bien au sein du quartier qu’au sein de leur famille. »

Nous sommes choqués. Si c’est vrai que la cité peut être parfois violente, et que c’est le cas effectivement dans certaines familles, ce n’est pas le cas pour la majorité qui évolue au contact de familles aimantes et structurées, avec des parents travailleurs. Pour qui les prend-elle ?! Des dégénérés ?! Quartier = forcément violence et problématiques au sein des familles ?!

Grosses dépenses afin « d’acheter la paix sociale »

Je deviens très rapidement directrice adjointe de la structure, en remplacement d’un congé maternité. Le service me déroule le tapis rouge, j’ai le droit aux grands sourires. Je me rends compte du décalage qu’il y a entre bureaucrates et gens de terrain. La chef de projet que nous, équipe, exécrons tous cordialement, exulte lorsque le sous-préfet l’appelle et bondit de sa chaise, comme une ado le ferait à un concert de Justin Bieber, nous parle de résultats, de statistiques, de délinquances…

Nous sommes atterrés mais sommes obligés de nous murer dans le silence, car c’est elle qui tient les ficelles. Elle parle des habitants des quartiers comme un anthropologue parlerait d’une tribu primitive. Elle a des propos abjects et le pire, c’est qu’elle ne s’en rend pas compte. Le sentiment que nous avons unanimement, c’est qu’elle n’a aucune considération ni pour notre travail, ni pour le public. Elle nous autorise de grosses dépenses afin « d’acheter la paix sociale » et a une méconnaissance totale du quartier et de ses habitants.

La collectivité souhaite de toute évidence, même si cela n’est pas officiel, que les habitants sortent le moins possible de leur quartier. Tout est refait, nous sommes en pleine redynamisation urbaine. Mairie annexe, médiathèque… Cela peut paraître bien d’un point de vue extérieur, et ça l’est, mais la mixité sociale n’est pas au programme !

Une façon de calmer les esprits

Nous avons un gros budget pour les sorties, dès lors qu’elles entrent dans du loisir éducatif. Mais, même si cela est important et doit exister, c’est une façon de calmer les esprits. Nous devrions plutôt être mieux formés pour les accompagner dans leurs devoirs, nous devrions pouvoir faire venir plus d’intervenants qui leur transmettraient un savoir qu’ils pourraient exploiter toute leur vie. Nous n’avons pas tellement de pouvoirs dessus, les budgets sont votés sans nous. Nous parvenons cependant à monter un spectacle qui tournera tout l’été avec quelques intervenants (prof de percussions, association de danse hip-hop). Mais nous avons un sentiment d’inachevé.

Au cours des ponts du mois de mai, l’équipe étant à bout et fatiguée, nous demandons de pouvoir faire un pont. La tyrannique chef de projet ne le souhaite pas. Elle a peur d’un éventuel débordement au sein du quartier lors de ces trois jours où nous avons l’audace de vouloir nous reposer. Elle tente la carte culpabilité : « Cela veut dire que les enfants seront sans activités pendant trois jours ! » Oui, pensons-nous sans le dire. Et ? Est-ce grave ? N’as-tu pas tous tes ponts toi ?!! Nous ne faiblissons pas pour une fois et obtenons gains de cause ! Victoire !

Malgré cette situation frustrante, nous nous consolons en nous disons que nous sommes solidaires et que nous travaillons pour les enfants. C’est nous qui sommes sur le terrain après tout et nous avons donc une marge de main d’œuvre.

Pourquoi n’assume-t-elle pas ? Je comprends qu’elle se couvre…

Puis, l’ambiance dans l’équipe se détériore. L’équipe compte deux jeunes filles qui intimident et menacent, en particulier la direction, à savoir la directrice et moi-même. Elles n’acceptent pas que je sois devenue adjointe alors qu’elles sont légèrement plus anciennes que moi. Malgré le fait qu’elles n’aient pas le diplôme pour ce poste et que les « vrais » anciens, eux, le vivent très bien. Elles n’acceptent pas non plus qu’on leur demande une certaine rigueur dans le travail, qui passe tout bonnement par venir travailler.

Le service semble complètement détaché et insensible à nos problèmes internes, même si cela nuit au public, même lorsqu’elles ne viennent pas travailler une semaine entière pendant les vacances sans nous prévenir. Rien ! Au bout de la énième intimidation, retard et absence, la chef de projet réagit une semaine avant la fin de leur contrat. « Ma décision est prise, me dit-elle le matin, elles ne reviendront plus. En tant que directrice adjointe, tu seras présente lors de l’annonce. » 

Lors du rendez-vous, elle leur insinue, pas même subtilement, que la décision vient de moi ! J’enrage intérieurement ! Pourquoi n’assume-t-elle pas ? Je comprends qu’elle se couvre… En septembre, ces deux filles reviendront pour se venger. Elles me jetteront de l’eau de javel dessus et, dans l’optique de me défendre, je serai contrainte de me battre avec l’une d’entre elles.

Je comprends que c’est un prétexte. Je gêne !

L’année-là, il y a eu une restructuration du service. Nous ne sommes, hors direction, que deux rescapés de l’ancienne équipe. Avec la nouvelle équipe, tout se passe très bien, mais l’ambiance se détériore avec la directrice. Je fais part de mes désaccords qui sont de plus en plus nombreux. Un jour, elle nous explique que les enfants doivent repeindre une pièce au sein des locaux à la demande du dragon chef de projet. « Pourquoi pas, dis-je, c’est une pièce qu’ils vont pouvoir investir ensuite. » « Ah non, ils vont juste la repeindre. » Je ne comprends pas l’utilité du projet, si ce n’est exploiter les enfants. Je lui fais part de mon point de vue et elle me sort alors tout un tas d’arguments pédagogiques auxquels je sens qu’elle ne croit pas elle-même.

Quelque temps après, je suis convoquée. On me stipule que la période d’essai en vue de ma titularisation s’arrête au motif de retards (effectivement quelques uns ce mois-ci dû au RER B, particulièrement capricieux pendant cette période). Je comprends que c’est un prétexte. Je gêne ! Ils n’ont rien d’autre, j’ai toujours été pro et investie. Je vis tout cela extrêmement mal. J’avais fait un réel travail avec le public, la confiance et le respect s’étaient développés.

Je travaille maintenant pour une association en tant que responsable médiation et ALSH (accueil de loisirs sans hébergement). L’association a été fondée pour de bonnes raisons par une personne qui a de vraies valeurs et qui a su perpétuer ses convictions aussi bien au sein des bureaux que sur le terrain.

 

Clara, 35 ans, salariée, Colombes

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